«Que l’on ne s’y trompe pas: la sortie de crise au Mali ne pourra se faire que par le haut! Mais seulement si l’État malien retrouve une légitimité aux yeux des populations maliennes, dans leur ensemble et pas qu’au nord. Et qu’il parvient à rétablir sa présence partout sur le territoire. De même que, sans une plus grande solidarité entre les États sahéliens –surtout ceux qui sont affectés par les attaques djihadistes et les trafics en tout genre–, il n’y aura pas de sortie de crise. Un État, seul, ne pourra pas s’en sortir au Sahel sans que les autres s’en sortent aussi», a prévenu l’ex-Premier ministre Modibo Sidibé qui était l’invité de Sputnik France, le 29 janvier.
De passage à Paris où il a été reçu au Sénat, l’homme d’État malien a démontré qu’il avait su garder sa liberté de ton. Aujourd’hui dans l’opposition, Modibo Sidibé, qui a occupé de nombreuses fonctions dans le gouvernement, en plus d’être Premier ministre pendant quatre ans (2007-2011), échange régulièrement avec des élus français sur la manière dont la situation évolue sur le terrain au Mali et notamment l’opinion des Maliens à l’égard de la France et de la force Barkhane, déployée au nord du pays depuis 2014, en remplacement de l’opération Serval.
Il les informe également sur la manière dont est perçue la présence des Casques bleus de la Minusma, qui font l’objet d’attaques récurrentes depuis plusieurs mois du fait de la dégradation de la situation sécuritaire au nord et au centre du pays. Son parti, les FARE, qui signifie Forces alternatives pour le renouveau et l’émergence, a d’abord été une plateforme d’association avant de se muer, en 2013, en un parti républicain d’inspiration sociale-démocrate. Mais face au morcèlement de la classe politique malienne, il est le premier à prôner l’union sacrée car «l’heure est grave au Mali», a-t-il reconnu lors de son intervention.
«La multitude de partis reflète la vivacité de la démocratie au Mali mais il est impératif que nous nous unissions autour d’une vision très claire de ce qu’il faut faire pour redresser le pays. Nous sommes dans une situation critique et c’est collectivement que nous devons réfléchir à comment sortir de cette crise. Les problèmes du Mali ne se limitent pas aux problèmes du nord», a déclaré le président des FARE au micro de Sputnik France.
L’argent de la drogue
Bien qu’il n’ait jamais été impliqué dans aucune affaire entachant sa moralité ni son intégrité, cet inspecteur général de police et criminologue de formation a été arrêté trois fois par la junte militaire qui a fait tomber, en mars 1992, le Président Amani Toumani Touré, dont il est très proche. Ce dernier avait dû être exfiltré vers le Sénégal où il a vécu jusqu’en décembre 2019 avant de rentrer, en décembre dernier, chez lui à Mopti, à l’occasion de la célébration des 100 ans de cette ville classée au patrimoine mondial de l’Unesco, mais aujourd’hui désertée par les touristes.
Libéré grâce aux pressions de la communauté internationale et, notamment de la France, Modibo Sidibé avait alors fait l’objet d’une vaste campagne de calomnies. Sa sécurité étant menacée, il avait été obligé de vivre dans la clandestinité dans son propre pays qu’il n’a, pourtant, jamais voulu quitter. Mais quand on lui pose la question de la responsabilité du Président Touré concernant l’entrée de l’argent de la drogue au Mali, considérée comme le point de départ de la déliquescence de l’État malien par de nombreux analystes, surtout après l’atterrissage forcé en novembre 2009 près de Gao (Nord-Est) d’un Boeing chargé de cocaïne en provenance du Venezuela dont l’équipage et la cargaison s’étaient mystérieusement volatilisés, il s’insurge:
«La vulnérabilité de l’État malien vient de beaucoup plus loin. Elle est structurelle. En ce qui concerne le trafic de drogue au Mali, Amani Toumani Touré, au contraire, a été le premier à mettre en place les instruments majeurs d’une lutte contre ce trafic. Depuis son retour à Mopti, il a dit qu’il voulait aider. Car le plus important, à ce stade, c’est de désamorcer la crise. Amani Toumani Touré n’a jamais parlé de se représenter (à l’élection présidentielle de 2023, ndlr) mais seulement d’aider à la médiation entre les belligérants: il connaît tout le monde dans cette zone, il peut être utile. Nous devons repartir sur un dialogue apaisé pour que la reconstruction soit possible», rétorque Modibo Sidibé.
Malgré ou sans doute à cause de sa longévité dans les arcanes du pouvoir, l’opposant malien n’est arrivé qu’en quatrième position (sur 26 candidats) lors de l’élection présidentielle de juillet 2013. Aux législatives de décembre 2013, les FARE obtiennent 6 sièges (sur 147 députés). Puis aux communales de 2016, ce sont 205 élus dont deux maires et dix femmes qui gagnent sous son étiquette. L’année suivante, Modibo Sidibé crée un nouveau pôle de gauche républicaine et démocratique qui regroupe aujourd’hui une demi-douzaine de partis.
«Je dis bien un gouvernement de mission (et pas d’union), car sinon c’est la porte ouverte à un nouveau partage des prédations. Les Maliens ont besoin de pouvoir refaire confiance à leurs dirigeants. Nous ne pourrons recréer cette confiance que dans l’apaisement et dans la réconciliation en dressant une feuille de route claire pour y parvenir», insiste Modibo Sidibé au micro de Sputnik France.
Rétablir l’autorité de l’État
S’il se réjouit que le sommet de Pau qui a réuni, le 13 janvier dernier, les États du G5 Sahel (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad), à la demande d’Emmanuel Macron, ait permis d’«obtenir des clarifications» et de «lever tous les tabous» concernant le renforcement de l’État malien, il reste encore à ce dernier à rétablir son autorité sur l’ensemble du territoire. Ce qui n’est pas une mince affaire au vu des attaques djihadistes récurrentes et de plus en plus meurtrières, notamment dans la région du Liptako Gourma, dite région des Trois frontières, à la confluence du Mali, du Niger et du Burkina Faso.
Le Président français, qui avait annoncé à l’issue de ce sommet un renfort de 220 soldats, a d’ailleurs décidé de porter à 600 le nombre de troupes supplémentaires allouées à Barkhane pour renforcer les effectifs au Mali, notamment dans cette région, selon un communiqué publié le 2 février dernier par le ministère des Armées. Ce qui va faire passer l’effectif des forces françaises déployées sur le terrain «de 4.500 à 5.100 hommes». Pour sa part, Modibo Sidibé n’en démord pas:
«Soit dit en passant, il y avait déjà une autorité transfrontalière sur le Liptako Gourma, mais elle n’était pas aidée jusqu’à présent et, donc, incapable d’agir. Idem avec le commandement conjoint G5 Sahel/armée malienne sur le fuseau de Sévaré qui est également complètement dépourvu de moyens. Ce qui prouve bien que l’on ne peut pas faire l’économie d’un rétablissement des charges régaliennes et, donc, de l’autorité de l’État sur son territoire si on veut trouver une solution à cette crise», martèle l’ex-Premier ministre.
En revanche, concernant l’initiative du professeur Dioncounda Traoré, haut représentant du Président de la République pour les régions du Centre, d’envoyer des émissaires pour rencontrer Amadou Koufa et Iyad Ag Ghali, respectivement chef de la Katiba Macina, un groupe affilié à Ansar Dine, puis au Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM) qui, lui, est commandé par Iyad Ag Ghali, il y est diamétralement opposé.
«Est-ce vraiment le moment de dire que l’on va négocier quand le GSIM vient de revendiquer l’attentat de Sokolo (qui a fait 19 morts dans les rangs de l’armée malienne, ndlr). Le plus important dans un conflit, c’est de savoir sortir par le haut Or, nous n’en sommes pas encore à ce stade», martèle-t-il
Même s’il ne nie pas que l’envoi, en juillet 2019, d’un émissaire pour le centre par le Président Ibrahim Boubacar Keïta a permis d’apaiser les conflits entre communautés peules et dogons, qui se déchiraient depuis le massacre d’Ogossagou intervenu en mars 2019, négocier avec Amadou Koufa «qui n’est pas le chef des Peuls», insiste-t-il, est «hors de question!».
«La présence de Diocounda Traoré a permis de redonner du sens à la présence de l’État. Depuis le massacre d’Ogossagou, il y a eu mille et une initiatives locales pour désamorcer les affrontements entre communautés. Seules des avancées dans le dialogue national, s’appuyant sur notre histoire, notre République, et des initiatives endogènes de nos forces armées nous permettront de faire durablement cesser les hostilités», estime-t-il.
Il en va de même, selon lui, en ce qui concerne la résolution de la crise au Nord-Mali. L’accord de paix signé à Alger en juin 2015 prônait «un vrai dialogue avec l’ensemble des Maliens», argue-t-il. Or, Iyad ag Ghali, qui n’a pas signé cet accord, est actuellement dans une posture. Il a créé un groupement qui essaie de s’étendre par rapport à l’État islamique au Grand Sahara* (EIGS), dirigé par Abou Walid Al-Sahraoui.
Depuis janvier 2018, EIGS et le GSIM ont décidé de coopérer pour lutter contre la coalition antiterroriste du G5 Sahel. Il s’agit d’une différence majeure dans la stratégie sur le terrain de ces groupes terroristes par rapport à leurs «maisons mères» au Moyen-Orient, mais qui ne les met pas à l’abri de querelles intestines ou de nouveaux affrontements «dont les pays du Sahel sont en train de faire les frais», selon un rapport d’International Crisis Group (ICG).
«Même si l’État malien a failli sur certains points et qu’il existe, à certains endroits dans le pays, un terreau fertile pour les terroristes, il ne faut pas perdre espoir. La crise au nord n’est qu’une partie de la crise malienne. C’est donc de la responsabilité de la classe politique malienne, comme de celle du Burkina Faso et du Niger, les trois pays les plus touchés par la recrudescence des attaques terroristes après la fusion des groupes djihadistes proches d’Al-Qaïda* en 2017, d’ouvrir de nouvelles perspectives. Et pour cela, il faut qu’un front régional puisse être opposé aux assaillants en impliquant, partout où c’est possible, les populations», préconise Modibo Sidibé.
Opération Maliko
Quant au renforcement de la sécurité sur le terrain, un décret signé directement de la main du Président Ibrahim Boubacar Keïta et rendu public jeudi 30 janvier dernier stipule que l’opération Maliko va permettre de «contrer les menaces terroristes et criminelles» et de réaffirmer l’autorité de l’État sur l’ensemble du territoire malien. Placée sous le commandement direct du chef d’état-major général des forces armées, cette opération militaire d’envergure est destinée à redonner la main aux militaires et aux forces de sécurité maliennes sur leurs assaillants et permettre, ainsi, le retour des populations déplacées grâce au rétablissement de l’administration publique et de l’État de droit, «partout au Mali».
*Organisation terroriste interdite en Russie.