Du fait du renversement de situation au Sahel, après celui de la Libye, on est aujourd’hui en présence d’un «véritable cocktail de violence» dans cette région avec l’irruption d’acteurs multiples: milices armées, criminalité transnationale, sans compter les acteurs hybrides qui semblent dicter leur agenda aux armées déployées sur le terrain. Ce constat journalier d’attaques récurrentes qui ne cessent jamais doit inciter les États sahéliens à «sortir du tout sécuritaire» pour mettre en place une stratégie régionale fondée sur une approche basée sur la sécurité humaine, estime le fondateur du think tank Africajom Center, Alioune Tine. Car, pour le militant sénégalais des droits de l’Homme, le temps est venu de «repenser les politiques sécuritaires en fonction du contexte, de la nature des États souvent faibles, non préparés à faire face aux conflits asymétriques, peu présents sur toute l’étendue d’immense territoire ou simplement totalement absents».
Pour cet expert indépendant des Nations unies, basé à Bamako de façon ponctuelle afin de surveiller la situation des droits de l’Homme au Mali, il faut également «prendre acte que les deux mécanismes de régulation de la paix au Sahel n’ont pas encore donné les résultats escomptés». Le premier mécanisme à réformer, selon lui, est «l’approche consistant à mettre exclusivement l’accent sur les moyens militaires dans la lutte contre le terrorisme». Le deuxième est «la construction de la paix et de la réconciliation nationale reposant sur l’existence d’un accord de paix», comme c’est le cas au Mali qui a signé, en 2015, l’accord de paix dit d’Alger soutenu par des tentatives de dialogue, de réconciliation nationale ou de déradicalisation, comme au Niger, mais qui ne fonctionnent pas.
«Nous exprimons notre profonde préoccupation, notre vive indignation et condamnons avec la dernière énergie ces attaques et appelons les États à repenser de façon globale et holistique les stratégies sécuritaires nationales qui, toutes, ont montré leurs limites», a déclaré Alioune Tine, le fondateur d’Afrikajom Center à Dakar dans un communiqué rendu public le 16 décembre dernier et dont Sputnik France a obtenu une copie.
Ces groupes armés djihadistes, dont les plus importants sont le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) et l’État islamique* dans le Grand Sahara (EIGS), «fonctionnent de plus en plus en coalition», précise ce communiqué. Et sont, de surcroît, «de mieux en mieux armés, de mieux en mieux organisés et de plus en plus téméraires avec un agenda qui leur assure toujours une avance sur les États ciblés, souvent pris de cours et surpris par les effets catastrophiques des attaques», selon Alioune Tine.
«Jamais ces États n’ont été aussi menacés dans leur survie, aussi vulnérables dans leur histoire politique depuis les indépendances. D’autant plus que la communauté internationale et africaine n’a jamais semblé si impuissante en dépit de l’impressionnant dispositif sur le terrain avec les troupes de la MINUSMA, de Barkhane, du G5 Sahel et de l’appui de l’Union européenne, des budgets et de toute la logistique investie, estime le fondateur d’Afrikajom.
Après des études à Paris où elle s’est spécialisée en médecine aéronautique et économie de la santé, l’Algéro-Nigérienne qui n’exerce plus aujourd’hui sauf à titre gracieux retourne s’installer à Niamey. Elle y fonde une famille tout en exerçant dans des cliniques privées pendant de nombreuses années. Ses cinq fils ont tous fait des études supérieures. S’ils sont encore en dehors de Niamey, ils n’aspirent qu’à une seule chose: «c’est d’y revenir le plus vite possible!» explique-t-elle fièrement. Aujourd’hui consultante en santé et développement, elle a rejoint le think tank Afrikajom il y a un an, au moment de sa création, mais présidait jusqu’alors sa propre association appelée Medcom qui lutte contre les maladies non transmissibles ainsi que plusieurs autres associations.
Dans cet entretien exclusif avec Sputnik France, elle confie que sa décision de rejoindre Afrikajom a été motivée par le souci qu’elle a de «militer pour une meilleure gouvernance, une démocratie participative et un meilleur respect des droits de l’Homme» dans son pays, le Niger. Si elle fait sienne les recommandations du think tank visant à créer, dans les meilleurs délais, une troupe formée de militaires de tous les pays de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), elle pense qu’une révision des politiques sécuritaires ne sera pas suffisante sans une correction préalable «des profondes inégalités et des fossés entre les élites urbaines et le monde rurale» qui existent actuellement dans cette région. Pour y remédier, un passage en revue des pathologies de l’État post colonial, à savoir la déliquescence des outils de la régulation de la démocratie, de la gouvernance, de la sécurité et de l’environnement, va donc s’imposer urgemment aux États du Sahel.
Djamila Ferdiani: Oui, car ce n’est pas que le Niger qui est menacé mais aussi tous les pays voisins et, au-delà, l’Europe elle-même. Donc, une alliance régionale voire internationale, la plus large possible, pour lutter plus efficacement sur le terrain contre les attaques terroristes, est la bienvenue.
Sputnik France: Le Président Emmanuel Macron a-t-il également eu raison de s’arrêter à Niamey, le 22 décembre, de retour d’Abidjan, après avoir fait des annonces sur le franc CFA?
Djamila Ferdiani: Oui, c’est également une bonne chose que le Président français soit venu pour se recueillir sur la tombe des 71 militaires nigériens tombés à Inates. Est-ce que cela a diminué le sentiment anti-Français qui règne en ce moment dans la sous-région? Je n’en suis pas sûre. Néanmoins, je pense qu’il a eu raison de vouloir réunir ses pairs le 13 janvier, à Pau, car c’est important d’essayer de comprendre pourquoi alors que la France est présente au Sahel il y a néanmoins toujours autant d’attentats meurtriers dans cette région.
Le Président Issoufou, de son côté, en répondant à l’invitation du Président Macron, va pouvoir lui expliquer ce que ressentent vraiment les Nigériens qui, à l’instar des autres populations de la sous-région, sont déstabilisés par la situation actuelle. C’est vrai que les combattants djihadistes représentent de plus en plus une nébuleuse et sont difficiles à combattre. Mais que les attaques terroristes soient aussi récurrentes et meurtrières malgré la présence de la France passent mal!
Sputnik France: Quel bilan tirez-vous de la situation au Niger par rapport au Mali ou au Burkina Faso?
Djamila Ferdiani: Le Niger est mieux loti, si l’on peut parler ainsi, en termes de nombre de victimes ou de déplacés par rapport au Mali qui est l’épicentre de la crise sécuritaire au Sahel. C’est pourquoi ce pays présente le bilan le plus lourd dans la région, sans parler des près de trois millions d’enfants maliens qui sont déscolarisés. Le Burkina Faso, lui, vient de connaître l’année la plus meurtrière de son Histoire. Mais le Niger est tout aussi menacé, si ce n’est plus, que ses voisins au vu de sa position géostratégique au cœur du Sahel et de ses nombreuses frontières avec l’Algérie, le Nigeria en plus des autres États de la région.
La réponse du Président Issoufou, qui a toujours penché pour un tout sécuritaire, a sans doute fait la différence par rapport à ses voisins. Mais il se rend compte, maintenant, que c’est loin d’être suffisant. Car la sécurité sans le développement n’est pas viable à long terme. C’est pourquoi il faut apporter un plus dans toutes ces contrées du Sahel, notamment, en termes d’éducation. Pour éviter que les jeunes ne soient enrôlés par les djihadistes et, aussi, pour éviter que ne s’installe une pauvreté crasse qui enlèverait tout espoir aux populations.
Sputnik France: Justement, qu’est-ce que cela vous a fait d’apprendre que le Niger avait rétrogradé à la dernière place de l’indice de développement humain (IDH) du PNUD?
Djamila Ferdiani: Ça nous a fait très mal, car nous voyons bien que la situation se dégrade de jour en jour faute d’investissements dans le secteur de la santé ou de l’éducation qui pèsent lourds dans le calcul de l’IDH. À cause des problèmes sécuritaires que vit le Niger, le classement de l’IDH vient rappeler que le pays paie un lourd tribut. L’école publique s’est terriblement dégradée. Et pour ceux qui ne peuvent pas payer d’écoles privés, leurs enfants sont tout simplement sacrifiés. Avec toutes les conséquences que cela peut avoir…
Djamila Ferdiani: Effectivement, le rempart contre le djihadistes que représentait la Libye du temps de Kadhafi est tombé. Maintenant, les jeunes Nigériens sont laissés à eux-mêmes. Et comme l’aide internationale tarde à venir, notamment à travers le G5 Sahel, il y a bien sûr un manque de moyens patent des États pour lutter contre le terrorisme qui est une anomalie dans cette région. C’est pourquoi Afrikajom appelle tous les pays de la CEDEAO à créer, dans les meilleurs délais, une troupe formée de militaires chargée de soutenir les pays du Sahel, pourvu que ces derniers soient spécialisés dans le combat contre le terrorisme. Le G5 Sahel, ce n’est pas suffisant d’autant que tous les pays de la CEDEAO sont menacés, à commencer par le Nigeria mais aussi le Togo, le Bénin, etc. Même si, évidemment, c’est vers la France que se tourne le Niger en priorité pour l’aider sur le plan militaire, car c’est la France qui a le plus de moyens.
Sputnik France: L’État du Niger souffre-t-il de «macrocéphalisme», c’est à dire que les institutions, les ressources, les infrastructures, les services sont concentrés dans la capitale?
Djamila Ferdiani: Oui, c’est effectivement le cas au Niger avec des zones rurales complètement délaissées. Donc, là aussi, c’est toute une politique publique qu’il faudrait revoir. De même qu’il faudrait passer en revue ce que nous appelons à Afrikajom les «pathologies de l’État post colonial», à savoir la déliquescence des outils de la régulation de la démocratie, de la gouvernance, de la sécurité et de l’environnement.
La question de la corruption qui gangrène l’État, les institutions et la société de même que la question de l’impunité et des violations des droits humains sont elles aussi de nature à créer de profondes inégalités et des fossés entre les élites urbaines et le monde rural. On met rarement l’accent dans ces conflits sur les effets du changement climatique qui crée des pressions et des compétitions à l’accès à certaines ressources notamment l’eau et la terre.
Enfin, il faudrait aussi explorer les possibilités offertes par la réconciliation, par le dialogue politique, surtout avec les citoyens entrés en rébellion contre leurs États. Ces rébellions permettent de constater, là encore, les fractures profondes dans le développement entre les zones urbaines et les zones rurales.
Sputnik France: En tant que ressortissante algérienne, mais aussi nigérienne de sol, pensez-vous que l’Algérie devrait davantage s’impliquer dans cette région et, notamment, au Niger?
Djamila Ferdiani: Oui, j’y suis favorable pour ma part, car l’Algérie a une grande expérience de la lutte contre le terrorisme depuis les années noires, chez elle, lors de la décennie 1990. Elle devrait davantage en faire profiter les autres pays de la sous-région. Et on devrait plus souvent se tourner vers l’Algérie et la solliciter à cette fin.
*Organisation terroriste interdite en Russie