L’offre de médiation des ex-chefs d’États africains pourra-t-elle faire taire les armes dans la crise meurtrière qui déchire le Cameroun depuis plus de trois ans? La démarche est d’autant plus importante que toutes les tentatives de solution à la crise n’ont pas eu, jusque-là, de suite favorable.
Initialement annoncé l'année dernière, le Forum des anciens chefs d’État et de gouvernements africains pour la paix, encore appelé le Forum Afrique, envisage finalement d’organiser en avril prochain à Nairobi au Kenya un colloque sur la situation au Cameroun. Objectif: «apporter son soutien à la résolution pacifique» de ce conflit. De quoi susciter l’espoir chez certains anglophones. Comme Wannah Immanuel Bumakor, universitaire, beaucoup conviennent que cette formule a davantage de chances d’aboutir que le grand dialogue national récemment organisé au Cameroun.
«C'est peut-être le genre de dialogue auquel les Camerounais s'attendaient car il répond à presque tous les critères du dialogue inclusif et sincère que la société civile camerounaise et la communauté internationale ont toujours voulu», souligne l’universitaire originaire du Nord-Ouest anglophone au micro de Sputnik.
«Il est très possible que ce dialogue soit un succès car les organisateurs ont la possibilité d'inviter toutes les parties prenantes impliquées dans le conflit, ce que le grand dialogue national organisé l'année dernière par Paul Biya n'a pas réussi à faire. Cette fois-ci, les groupes pro-sécessionnistes pourront participer sans craindre d'être arrêtés car il se déroulera sur un terrain neutre», poursuit Wannah Immanuel Bumakor.
Abondant dans le même sillage, Ayah Ayah Abiné, originaire du Sud-Ouest anglophone, président de la Fondation Ayah qui assiste les sinistrés de la crise séparatiste, se félicite de l’initiative qui en réalité, selon son analyse, est un aveu d’échec pour les dirigeants camerounais dans la recherche de la solution à la crise.
«L’initiative est à encourager, même si j’aurais souhaité que ce problème se règle en interne entre Camerounais. Mais tout porte à croire que l’option de la résolution interne de la crise ne fait pas partie des priorités de ceux qui tirent profit de la situation actuelle», estime-t-il.
En effet, très attendu pour apporter un début de solution dans cette crise, le «grand dialogue national», qui s’est tenu du 30 septembre au 4 octobre derniers en l’absence des principaux leaders séparatistes, n’a pas tenu ses promesses. La mise en application des résolutions qui en sont ressorties, notamment le statut spécial octroyé aux deux régions anglophones, n’a pas suffi à stopper le conflit. Le professeur Pascal Messanga Nyamding, membre du comité central du parti au pouvoir, a sa vision du défi qui attend le club des anciens chefs d’État.
«Le défi sera de mobiliser ceux qui entretiennent cette guerre. Ils sont pour la plupart installés à l'étranger», affirme-t-il au micro de Sputnik.
Le gouvernement camerounais, qui a souvent multiplié les déclarations pour limiter l’implication des partenaires extérieurs dans ce processus de pacification, sera-t-il cette fois-ci disposé à s’ouvrir entièrement à cette médiation? Pour le professeur Messanga Nyamding, le profil des médiateurs peut permettre de l’espérer.
«Lorsque vous avez été chef d'État, vous possédez à la fois les instruments juridiques et institutionnels nationaux et internationaux pour accéder à un autre Président de la République. Ces anciens chefs d’État disposent de la compétence avérée qui peut permettre d'atténuer le conflit dans les régions du Nord-Ouest et le Sud-Ouest», croit-il savoir.
Un optimisme que le président de la fondation Ayah essaie de relativiser. Le leader anglophone juge l’attitude des dirigeants camerounais peu compatible avec la perspective d’un dénouement heureux.
«Tout dépend de la bonne foi de nos dirigeants. Mais je n’attends rien d’eux vu leur attitude depuis des décennies. J’espère juste que cette intervention viendra mettre un terme à cette guerre qui n’a pas cessé de nous endeuiller», lance le leader anglophone.
Des positions tranchées?
Alors que les observateurs saluent la symbolique d’une telle initiative dans la mesure où les Africains sont très souvent considérés comme incapables de résoudre les conflits sur leur continent, Mathias Éric Owona Nguini, politologue, pense que «ce colloque n’aura aucune influence réelle sur le conflit armé dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest». Pour lui, les chances de réussite de cette médiation internationale sont presque nulles «au vu de la complexité du problème».
«Elle n'a pas de chances de réussir parce qu'il est assez difficile pour ses organisateurs de mobiliser les acteurs de premier plan qui existent dans chaque groupe de conflit. Ce sont eux qui peuvent jouer un rôle prépondérant dans une dynamique efficace de sortie de crise fondée sur l'obtention d'un compromis entre les protagonistes dans le conflit», argue le politologue.
Bien que pour le moment on n’en sache pas beaucoup sur l’identité des leaders séparatistes invités, encore moins sur la présence effective du gouvernement camerounais, le club des ex-chefs d’État continue à mener des consultations auprès des protagonistes. Le Forum entend remettre au Président Paul Biya en personne les recommandations issues de ses travaux.