Les coups de couteau se multiplient en France: peut-on parler d'épidémie?

Un adolescent de 14 ans est décédé à Paris d’un coup de couteau. Un énième fait divers du genre. Mais les chiffres officiels manquent pour mesurer l’ampleur d’un phénomène qui semble pourtant de plus en plus palpable. Comment expliquer une telle violence et existe-t-il des moyens de s’en prémunir? Analyse.
Sputnik

Il a été poignardé, et le couteau a frappé la cuisse. Les policiers l’ont trouvé gisant dans son sang, une passante faisant au mieux pour le sauver. La rixe entre trente jeunes individus a tourné au drame, dans le 10e arrondissement de Paris, dans le quartier de la Grange aux Belles. La victime, un adolescent de 14 ans, a été transportée en état d’urgence absolue à l’hôpital, après avoir fait une crise cardiaque. Il est décédé jeudi 30 janvier, au petit matin. L’auteur présumé des coups de couteau, lui aussi âgé de 14 ans, et déjà connu des services de Police, a été rapidement interpellé grâce à des témoins.

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Les raisons sont difficiles à établir, mais les agressions au couteau semblent de plus en plus nombreuses dans les rubriques faits-divers. Un phénomène où agressions de petites frappes et terrorisme djihadiste «aux mille entailles» se cumulent. L’usage d’une lame semble s’être répandu, et serait un signe supplémentaire de l’escalade de la violence physique en France, escalade que les chiffres officiels reflètent déjà en partie: entre autres, l’augmentation des homicides (+9% en 2019) et des faits de coups et blessures (+8%). Mais aucun chiffre précis n’est disponible à l’heure actuelle sur les agressions à l’arme blanche.

En Angleterre, 47.000 agressions au couteau

De l’autre côté de la Manche, en Angleterre, les médias ne craignent plus de parler d’épidémie. Les chiffres sont hallucinants: 47.000 agressions au couteau, dont 14.800 pour la seule agglomération londonienne, ont été enregistrées entre mars 2018 et mars 2019, dans un rapport de l’Office national des statistiques. Si 285 se sont avérées mortelles, le nombre de blessés est quant à lui inconnu. Le profil des auteurs inquiète tout autant en Angleterre: l’écrasante majorité est composée de jeunes adultes, des adolescents. L'âge moyen des victimes est passé entre 2003 à 2014 de 30 à 18 ans, selon le Royal London Hospital.

Que faire? Les pouvoirs publics semblent quant à eux impuissants et le traumatisme collectif s’installe: des couteliers ont désormais mis en vente des couteaux de cuisine dépourvus de pointe. Une initiative pointless? La gauche, quant à elle, préfère dénoncer l’austérité du gouvernement conservateur britannique: privés de loisirs et de services sociaux, désœuvrés, les jeunes seraient poussés au crime.

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L’explication sociale est pourtant sujette à caution. «Non, la violence gratuite n’est pas due à la précarité: 50% des parents de mineurs violents travaillent et n’ont pas de problèmes financiers», écrit ainsi le psychiatre Maurice Berger dans le récent essai Sur la violence gratuite en France. Adolescents, hyperviolents, témoignages et analyses (L’Artilleur, 2019). Dans cet ouvrage passé trop inaperçu, le docteur Berger souligne que nombreux sont ses patients qui possèdent un couteau. Pourquoi se munir d’une lame? «On ne sait jamais», lui répondaient les jeunes individus, souvent impliqués dans des trafics dangereux.

Le Dr Berger évoque les causes innombrables et imbriquées de cette violence. Parmi celles-ci, l’exposition répétée à des scènes de violence conjugale durant les premières années de la vie (qui concerne près de 70% des jeunes violents), les maltraitances et donc l’absence d’affection ressentie durant l’enfance. Il évoque aussi le «fonctionnement clanique» de nombreuses communautés d’origine étrangère, une éducation «sans interdits cohérents», avant de pointer du doigt l’échec du système pénal et une impulsivité caractéristique du système neurologique, qui n’arrive à maturité qu’après l’âge de 20 ans.

La violence devient dès lors une reproduction d’un phénomène transgénérationnel. Parmi les conséquences, les jeunes individus violents, souvent âgés de 11 à 13 ans, révèlent une absence totale d’empathie et même une incapacité totale à reconnaître les émotions primaires sur le visage des autres. Un regard peut dès lors être mal interprété et infliger une souffrance, par exemple par des coups de couteau, devient alors un jeu d’enfant.

Les professionnels de l’autodéfense, quant à eux, soulignent constamment l’extrême imprévisibilité d’une attaque au couteau. Laurent Bendayan, instructeur de systema, un art martial russe, nous résumait quant à lui la situation ainsi: «tout le monde tient chaque jour un couteau, tout le monde sait ce que c’est.»

Silencieuse, la lame est d'une furtivité perverse: «80% des personnes qui ont subi une attaque au couteau n’ont pas vu celui-ci», estime Laurent Bendayan.

À voir, l’entretien avec Laurent Bendayan en intégralité: 

Le couteau: instaurer un ascendant psychologique

Un constat que rejoint Romain Carrière, formateur en défense personnelle et directeur de RC Autodéfense à Toulouse. A ses yeux, le couteau serait «un peu l’arme du faible, du pauvre». En effet, avec un tel outil, nul besoin «d’avoir une grande maîtrise technique de l’arme: l’agresseur fera de toute façon de gros dégâts». L’analogie avec le monde animal ne fait aucun doute, selon Romain Carrière:

«Il y a une explication qui relève de la psychologie de la prédation: l’agresseur va prendre le minimum de risques. Il va cibler une personne paraissant faible. Et pour prendre encore moins de risques, pour un maximum de bénéfice, le couteau crée la disproportion et l’inégalité qui lui est nécessaire.» 

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Un couteau est évidemment «impressionnant»: une arme blanche contribue à faire peur jusqu'à la paralysie, et donc à instaurer l’ascendant du prédateur sur sa proie, ajoute Romain Carrière. Aucun agresseur ne s’engage dans une confrontation sans la certitude d’être vainqueur. Le couteau, c’est s’en assurer, s’il ne chasse pas à dix contre un ou si la proie est physiquement dissuasive.

Le 27 janvier, un autre adolescent a reçu plusieurs coups au thorax à Rezé, près de Nantes, pour avoir refusé de donner son sac à un agresseur. Par chance, il a survécu. Car de la chance, il en faut. En attendant les statistiques officielles et une action publique digne de ce nom.

 

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