«Nous devons comprendre que l’avenir est avec les pays qui développeront l’IA [intelligence artificielle, ndlr.] et investiront dans cette question. Les pays qui ne le feront pas seront sans aucun doute à la traîne.»
Oksana Tarasenko, vice-ministre de l’Économie et du Développement de la Fédération de Russie, n’y est pas allée par quatre chemins lors de la conférence consacrée à l’intelligence artificielle, qu’elle animait à la Maison russe de Davos. Intelligence artificielle, ou plus précisément les stratégies déployées par les États pour la développer. Un club constitué de 32 pays, dont la France, que la Russie a récemment rejoint. Le 11 octobre 2019, Vladimir Poutine approuvait par décret une stratégie nationale de développement de l’IA d’ici 2030, au nom de «l’indépendance technologique», ainsi que la «compétitivité» du pays.
Une phrase en particulier avait alors attiré l’attention de la presse occidentale, qui n’avait pas manqué d’y voir une velléité de domination mondiale du locataire du Kremlin. «Qui deviendra le leader dans l’intelligence artificielle deviendra le maître du monde», avait-il asséné. Il faut dire que si l’IA est appelée à permettre à l’humanité, par ses débouchés, de faire un pas majeur dans sa marche effrénée vers le progrès, elle assurera aux pays qui la maîtriseront un avantage compétitif incontestable sur tous les autres.
En effet, l’utilité de l’IA ne se limite pas à la reconnaissance faciale ou à surclasser les humains aux échecs. Pour l’heure, l’étendue de ses retombées concrètes reste floue. S’il est attendu qu’elles facilitent et améliorent nos vies, voire nos capacités cognitives, il existe également tout un éventail d’utilisations militaires sur lequel lorgnent déjà certains pays, États-Unis en tête.
Google et Microsoft, via leurs projets respectifs Maven et Joint Enterprise Defense Infrastructure (JEDI), ont ainsi été mandatés par le Pentagone pour travailler sur différents débouchés de l’IA utiles à l’armée américaine. À la clef de Marven, l’automatisation de la guerre, à savoir rendre capable les drones de l’US Air Force de porter la mort sans qu’un humain n’ait à prendre la décision d’appuyer sur la gâchette. Sur la base d’algorithmes, le drone déterminera si un individu qu’il aura ciblé et appris à reconnaître doit être ou non «traité».
«Notre expérience est que les individus en ont appris plus sur les données collectées par leur téléphone, ou celles utilisées par leurs entreprises», regrettait Kay Firth-Butterfield durant la conférence de la Maison de la Russie à Davos.
Il faut dire que des scandales comme celui de Cambridge Analytica n’ont pas contribué à véhiculer auprès de l’opinion une bonne image de ce que l’IA pouvait techniquement accomplir. Des dérives à l’encontre desquelles le pape François avait d’ailleurs averti les géants de la Silicon Valley.
À la tête du département Intelligence artificielle et apprentissage automatique du Forum économique mondial, Kay Firth-Butterfield prenait ainsi le contre-pied de l’optimisme d’Alexandre Ivlev, directeur associé d’EY (ex-Ernst and Young), responsable régional adjoint pour l’Europe centrale, orientale et du sud-est et l’Asie centrale. Ce dernier estime que «nos citoyens doivent comprendre toutes les valeurs de l’IA», avançant «cinq grandes tendances dont l’État peut profiter et dont les citoyens peuvent bénéficier», comme la facilitation des démarches administratives grâce à un meilleur traitement du big data, qui pourrait ainsi permettre à une personne de renvoyer plusieurs fois les mêmes documents à différentes –ou la même– administrations.
«Que va-t-il se passer ensuite?» s’interroge-t-il toutefois. Alexander Ivlev évoque notamment le précédent du nucléaire, technologie aujourd’hui décriée, mais présentée à ses débuts comme particulièrement prometteuse. Tous comme celle des avantages et des risques, l’étendue des conséquences qu’aura cette révolution de l’IA sur les générations futures reste inconnue. Liés au développement de l’IA, les smartphones et diverses tablettes, aujourd’hui omniprésents dans la plupart des foyers de la planète, représentent ainsi des milliards d’appareils bien loin d’être «environment-friendly» et dont l’utilisation est lourde de conséquences pour le développement intellectuel, notamment des plus jeunes.
«Pourtant, la quatrième révolution est inarrêtable et nous ne voulons d’ailleurs pas l’arrêter», lui répond Oxana Tarashenko, qui tient par ailleurs à rappeler que la protection des données est l’un des points clefs de la stratégie russe en matière d’IA.
«À mon avis, notre pays se dirige exactement dans la bonne direction, car si nous regardons l’histoire récente de la Russie, tout ce que l’État a lancé comme projets a été mené à bien», assure Alexandre Ivlev.
De son côté, Emmanuel Macron a présenté le 29 mars 2018 sa vision et son plan de développement l’IA en France. Une feuille de route qui ambitionne de «faire de la France un pays leader de l’intelligence artificielle.» Une stratégie nationale «ambitieuse», dont les bases avaient été posées par la mission Villani, menée par le député de l’Essonne.
Le CNRS inaugure d’ailleurs ce vendredi 24 janvier à Saclay un supercalculateur, baptisé Jean Zay, commandé à l’Américain Hewlett-Packard. Avec une puissance de calcul de 16 pétaflops, soit 16 millions de milliards d’opérations par seconde, il est dépeint comme l’un des plus puissants d’Europe et vient multiplier par deux la puissance de calcul française.