La guérilla juridique contre la loi sur la laïcité au Québec se poursuit et ses opposants s’apprêtent à tirer leur dernière cartouche. En décembre 2019, la Cour d’appel du Québec rejetait la demande d’un groupe de plaignants, opposé à la nouvelle loi sur la laïcité adoptée par Québec en juin 2019.
«Nous avons dit aux Québécois et aux Canadiens que nous n’arrêterions pas notre travail tant que cette loi injuste n’aurait pas été vaincue», déclarait alors Mustafa Farooq, directeur du Conseil national des musulmans canadiens.
Insatisfaits du jugement de la Cour d’appel, les plaignants se tournent maintenant vers la Cour suprême, plus haute juridiction du pays, pour tenter de faire suspendre la loi.
Pour Guillaume Rousseau, l’un des architectes du texte controversé, le dispositif dérogatoire prévu par la Constitution devrait empêcher la Cour suprême de le suspendre. Ce dispositif permet à une province de soustraire une loi aux exigences des Chartes de droits et libertés en vigueur. M. Rousseau est professeur de droit à l’Université de Sherbrooke et vice-doyen aux études et à l’innovation de sa faculté.
«La Cour suprême fera savoir d’ici quelques semaines si elle accepte d’entendre l’appel des demandeurs. Juridiquement, les demandeurs ont peu de chances de faire suspendre la loi, car elle est présumée valide et protégée par l’article 33 de la Charte canadienne», précise d’emblée M. Rousseau en entrevue avec Sputnik.
Le 1er décembre, Frédéric Bastien, historien réputé et candidat à la direction du Parti québécois –principal parti souverainiste au Québec–, a déposé une plainte au conseil canadien de la magistrature contre la juge Nicole Duval Hesler, l’un des magistrats chargés d’entendre les plaignants.
Selon M. Bastien, la juge Duval-Hesler n’était pas impartiale dans ce dossier, notamment en comparant en pleine cour la loi à des «allergies visuelles» face aux signes religieux. Après avoir créé la controverse avec ses sorties et engagements publics en faveur du multiculturalisme, la juge s’est prononcée contre la loi, mais ce n’a pas été le cas de ses deux collègues, pour qui elle ne devait pas être suspendue. C’est à la suite de ce jugement que les plaignants ont annoncé qu’ils se rendraient jusqu’en Cour suprême.
«La loi sur la laïcité s’applique depuis plusieurs mois sans causer de problèmes dans les écoles. Contrairement aux prédictions catastrophistes formulées par ses opposants, il n’y a pas eu d’accrochages importants. Donc plus le temps passe, plus cette tentative de suspendre l’application de cette loi apparaît vouée à l’échec», analyse M. Rousseau.
Dans un texte paru dans le journal Le Devoir le 18 janvier dernier, l’un des intellectuels les plus renommés au Québec, Gérard Bouchard, a encore une fois vivement critiqué la loi sur la laïcité.
«Gérard Bouchard confond démocratie et libéralisme. Le gouvernement de la CAQ se tient aussi loin du populisme que de l’élitisme. Il se veut équilibré et pragmatique dans ce dossier. [...] Sinon, rappelons que la Loi 21 reprend des idées du rapport de 2008 de M. Bouchard en ajoutant les enseignants et directeurs d’école aux personnes visées par les interdictions. Le simple fait d’ajouter les enseignants et les directeurs d’école ferait tomber le gouvernement Legault dans le populisme?», ironise-t-il.
La saga sur la laïcité est donc loin d’être terminée. D’aucuns pensaient que l’adoption de la loi mettrait fin à ce débat interminable, mais ce ne semble pas du tout être le cas.
«Les opposants à la Loi 21 sont extrêmement déterminés et prêts à tout pour faire valoir leur position. En revanche, les arguments juridiques des plaignants sont faibles et la Cour suprême est généralement consciente des enjeux politiques. Une décision défavorable à la laïcité québécoise nuirait à l’unité canadienne», a conclu Guillaume Rousseau.