Algérie: les producteurs de pommes de terre en ont gros sur la patate

Les producteurs algériens de pommes de terre sont en colère. Confrontés à un marché désorganisé, ils subissent ces dernières semaines de plein fouet la chute du prix du tubercule. Stockage, exportation, transformation… plusieurs solutions s’offrent à la filière pomme de terre, à condition que l’État joue pleinement son rôle de régulateur.
Sputnik

Dimanche 22 décembre. Fraîchement élu, Abdelmadjid Tebboune choisit de se rendre à la Foire de la production nationale pour son baptême du feu. Et sa première déclaration publique, le nouveau Président algérien la consacre à… la patate.

«La pomme de terre ne doit pas dépasser les 60 dinars (0,45 euro) le kilogramme, c’est le maximum supportable (par le consommateur). Stockez les quantités qu’il faut et faites en sortir à chaque fois que l’exige le marché. Il faut que l’Algérien consomme de la pomme de terre à 60 DA, pas plus! Il est inacceptable de revenir à de la pomme de terre à 100 DA et 120 DA le kilogramme (0,75 et 0,90 euro)», lance Tebboune à un groupe d’agriculteurs.

Les aspects liés aux prix et aux infrastructures de stockage sont justement au centre d’une grave crise du secteur de la pomme de terre. Des vastes étendues sahariennes de Oued Souf au piémont des montagnes de Kabylie, des milliers de producteurs subissent une chute vertigineuse des prix de ce produit agricole. À 25 dinars (0,18 euro) le kilogramme en gros, ce tarif ne permet pas de payer les frais d’ensemencement.

L’action de protestation la plus singulière se déroule samedi 18 janvier à Bouira (à 100 kilomètres à l’est d’Alger) où des agriculteurs bloquent l’autoroute A1 en déversant de grande quantité de pomme de terre. Une première en Algérie!

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Les propos aux relents «dirigistes» de Tebboune, qui vont à l’encontre même des principes élémentaires de la loi du marché, s’expliqueraient par le fait que le tubercule est un produit hautement stratégique dans le pays, au même titre que le lait et la semoule. Mais pour Smaïl Lalmas, économiste et président de l'association Algérie Conseil Export, cette déclaration est inappropriée: «imposer un prix-plafond pour un produit signifie que l’État le soutient financièrement. C’est illogique, car l’objectif est justement de mettre un terme à cette politique de subvention à outrance», dit-il à Sputnik.

«Le marché est libre»

L’expert agronome Yahia Zane a lui aussi un avis tranché sur la question. «Le marché est libre. Ni le Président de la République ni le ministre de l’Agriculture ne peuvent le gérer. Encore une fois, les gouvernants s’agitent dans tous les sens dès qu’une crise se profile», assène-t-il dans une déclaration à Sputnik.

Avec 111 kilogrammes de pomme de terre par an, l’algérien consomme l’équivalent de trois fois la moyenne mondiale qui est de 31 kilogrammes. L’Algérie produit annuellement 47 millions de quintaux, la demande locale étant assurée par les producteurs locaux. Mais voilà, la désorganisation qui caractérise cette filière provoque un surplus à certaines périodes de l’année. D’importantes quantités que le marché ne peut absorber, ce qui a tendance à tirer les prix vers le bas. C’est justement le cas depuis quelques semaines. D’où la colère des producteurs. Pour tenter de réguler le marché, les autorités ont mis en place depuis une dizaine d’années un mécanisme de régulation: le Système de régulation des produits de la large consommation. Le principe est simple: l’État achète les quantités en surplus auprès des producteurs, les stocke dans des chambres froides et les mets sur le marché lorsque cela est nécessaire. Ce système a fini par montrer ses limites à cause des prix d’achat officiel jugés trop bas et des capacités de stockage qui n’ont pas pu suivre la courbe ascendante de la production nationale.

«Nous sommes encore dans un système agricole archaïque, la tentative de créer des filières a été un échec. Certains agriculteurs qui subissent actuellement la crise de la pomme de terre l’abandonneront pour une autre culture l’année prochaine. Cela provoquera inévitablement une baisse de la production et aura pour effet d’augmenter les prix. Le véritable challenge consiste à identifier les professionnels et à encourager la création des filières», précise à Sputnik Yahia Zane qui a été président de l’Union nationale des agronomes.

Quelle stratégie agricole à adopter? 

La filière pomme de terre, comme tout le secteur agricole algérien, dispose d’un réel potentiel, notamment en termes d’exportation.

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Mais il y a des préalables: définir une stratégie agricole et organiser le marché. Selon Smaïl Lalmas, «le travail d’identification de l’offre à l’export n’a jamais été réalisé».

«Le marché n’est pas organisé, il est impossible d’aller vers une politique d’exportation dans la situation actuelle. Exporter c’est avant tout savoir planifier. Nous devons connaître avec précision la nature de la demande afin de définir l’offre. L’État doit mettre en place une stratégie d’exportation et agir dans un cadre intersectoriel. Actuellement, la seule stratégie des autorités se limite à utiliser la rente pétrolière pour tout importer. De plus, il est inconcevable de vouloir exporter des pommes de terre à la dernière minute quand on se retrouve avec un surplus de plusieurs milliers de tonnes», note Smaïl Lalmas.

«On ne peut pas demander à l’agriculteur d’être en même temps commerçant, logisticien et exportateur. C’est impossible car il ne maitrise pas tous ces métiers», ajoute pour sa part Yahia Zane. La transformation de la pomme de terre peut également être un débouché prometteur pour la filière. La production de purées et autres frites nécessite là encore la mise en œuvre d’une stratégie agricole cohérente. Aucun industriel n’investira un sou dans un environnement où il n’est pas certain de la disponibilité de la matière première.

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