Quel avenir pour les Conservateurs canadiens?
N’ayant pas réussi à battre Justin Trudeau aux élections fédérales du 21 octobre, le chef du Parti conservateur, Andrew Scheer, a démissionné le 12 décembre dernier. Poussé vers la sortie par des membres de son parti, insatisfaits de sa performance électorale, il a décidé de se retirer avant que l’unité brisée de sa formation ne devienne trop évidente.
«J’ai pris cette décision parce que c’est meilleur pour notre parti. [...] Pour changer le cours des choses, ce parti, ce mouvement, a besoin de quelqu’un qui peut s’investir à 100%. Et après des discussions avec mes enfants, mes proches, j’ai senti qu’il était temps d’accorder la priorité à ma famille», se justifiait Andrew Scheer à la Chambre des communes.
Les Conservateurs n’ont pas perdu leur temps depuis: la course à la direction de ce parti a officiellement débuté le 13 janvier dernier. Il faut dire que le temps presse, car les gouvernements minoritaires ne durent généralement pas plus de deux ans au Canada. Les Libéraux de Trudeau devraient donc rapidement refaire face aux Conservateurs.
Le temps presse pour les Conservateurs
Pour le politologue Christian Dufour, auteur de plusieurs best-sellers au Québec, la compétition pour l’investiture des Conservateurs sera l’une des plus intéressantes de l’histoire canadienne. Pourquoi? D’abord, parce qu’elle met en scène de grands acteurs de la vie politique et que les analystes observent l’essoufflement de Trudeau, malgré sa récente réélection. Le choix du nouveau chef conservateur sera dévoilé le 27 juin prochain à Toronto. Le dernier livre de M. Dufour, Le pouvoir québécois menacé, est paru en août 2019.
«Cette course est exceptionnellement intéressante, car nous avons l’impression d’assister au choix du prochain Premier ministre du Canada. Ce sont plusieurs grands fauves politiques qui se retrouvent impliqués dans cette course d’une manière ou d’une autre. Par exemple, l’ex-Premier ministre fédéral Stephen Harper tient à ce que l’Ouest ne perde pas son influence au sein du parti. Nous aurons droit à un vrai débat d’idées et pas seulement de personnalités», souligne le politologue en entrevue avec Sputnik.
Mais c’est aussi parce que Jean Charest, rien de moins, est dans la course qu’elle s’annonce aussi intéressante, estime M. Dufour. Ayant gouverné le Québec sous la bannière provinciale libérale de 2003 à 2012, M. Charest sera un adversaire de taille pour le Premier ministre Trudeau. De fait, Jean Charest est considéré comme un politicien très habile et charismatique par ses fidèles admirateurs comme par ses plus grands détracteurs. On raconte d’ailleurs que Jean Charest a toujours aspiré à devenir Premier ministre canadien, son long passage en politique québécoise apparaissant maintenant comme un échauffement.
«Jean Charest a automatiquement augmenté l’intérêt pour la course à la chefferie en annonçant qu’il y serait. C’est une bête politique. [...] Si Jean Charest était élu chef du Parti conservateur, c’est lui qui aurait les meilleures chances de battre Justin Trudeau. En revanche, ironiquement, Jean Charest aurait plus de difficultés à devenir chef du Parti conservateur que Premier ministre du Canada, parce qu’il y a deux visions opposées qui s’affrontent en interne», précise Christian Dufour.
L’élection de Jean Charest comme chef du Parti conservateur serait interprétée comme un retour en force de l’aile plus centriste de cette formation. Un courant idéologique que représentait l’ex-Premier ministre Brian Mulroney (1984-1993), alors qu’il était à la tête du Parti progressiste-conservateur, l’un des ancêtres du Parti conservateur actuel. Certains militants conservateurs souhaitent à tout prix éviter ce virage, mais il serait stratégiquement rentable pour leur formation, analyse Christian Dufour. Ce grand parti de droite aurait avantage à revenir à un «conservatisme plus modéré», ne faisant entre autres pas de l’avortement un débat public.
«Allons-nous revenir à cette spécificité canadienne qui a toujours étonné les étrangers, à savoir un Parti progressiste-conservateur pouvant séduire de nombreux Canadiens? Pour ma part, je crois que le Parti conservateur a un avenir prometteur s’il parvient à se recentrer idéologiquement et géographiquement. [...] Le parti reviendra à cette vision si Jean Charest en devient le chef, mais on verra s’il n’est pas considéré comme trop libéral par un certain nombre de militants», soulève-t-il.
Le plus grand handicap de Jean Charest demeure toutefois les histoires de corruption auxquelles il est associé au Québec, pourtant sans n’avoir jamais été formellement accusé d’aucun délit. Dans la Belle Province, l’avocat de profession fait toujours l’objet d’une enquête de l’Unité permanente anticorruption concernant les liens entre le financement du Parti libéral québécois –son ancien parti provincial– et l’octroi de contrats publics. Baptisée «Mâchurer», cette enquête criminelle a débuté en 2014 et n’est toujours pas terminée.
«C’est certain que ces histoires de corruption préoccupent les commentateurs et éditorialistes au Québec. Cela dit, je note que l’Unité permanente anticorruption est aussi largement discréditée au Québec. Cette unité enquête depuis des années sur le passé de M. Charest et n’a jamais été capable d’obtenir quelque chose de précis et de concret contre lui. Le reste est fait de rumeurs et d’hypothèses», conclut le politologue.