Le 16 décembre dernier, Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire aux Retraites a présenté sa démission du gouvernement. Un poste extrêmement important dans le contexte de la réforme des régimes spéciaux, qu’il a dû abandonner à cause de révélations sur l’omission d’au moins 13 mandats dans sa déclaration d’intérêts à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Sous la pression médiatique, impossible pour lui de conserver sa charge: l’exigence de «l’exemplarité et de la transparence doit s’appliquer à tous» selon ses propres mots. L’association Anticor a ainsi demandé à la HATVP de saisir le parquet pour deux manquements à la transparence, voire deux délits: le fait pour l’ancien haut-commissaire d’avoir omis des activités, mais surtout d’avoir perçu près de 140.000 euros du think tank Parallaxe (groupe IGS) en tant que président d’honneur, alors qu’il était en fonctions au gouvernement.
Jean-Christophe Picard, président d’Anticor et auteur de La colère et le Courage (Éd. Armand Colin) publié ce 15 janvier, a répondu à nos questions sur les combats de l’association depuis sa création en 2002 par des citoyens et élus souhaitant restaurer le lien de confiance entre les politiques et le peuple.
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C’est feu Jacques Chirac le premier qui a provoqué, bien malgré lui, la médiatisation du combat d’Anticor.
Anticor, le chevalier blanc
L’ancien Président de la République fut condamné en 2011 à deux ans de prison avec sursis par le tribunal correctionnel de Paris, après avoir été reconnu coupable de «détournement de fonds publics» et «abus de confiance». Seule l’association Anticor tenta de se constituer partie civile. Puis en 2015, la consécration lui est venue directement du ministère de la Justice, alors dirigé par Christiane Taubira qui lui accorda l’agrément permettant à l’association d’exercer les droits reconnus à la partie civile. Avec Anticor, elles ne sont que trois en France à recevoir cet agrément avec Sherpa et Transparency international. Pour Jean-Christophe Picard, cet agrément délivré à la discrétion du pouvoir et renouvelable tous les trois ans, a été pour l’association d’un immense secours:
«Nous pouvons empêcher que certains dossiers politiques soient enterrés en nous constituant partie civile et en provoquant une instruction judiciaire devant un juge d’instruction, magistrat plus indépendant qu’un procureur de la République.»
Aujourd’hui, l’association est impliquée dans une centaine de cas au niveau national, notamment l’affaire des sondages de l’Élysée, qui cible les proches de Nicolas Sarkozy, l’affaire Alstom, l’affaire Kohler, l’affaire Richard Ferrand, l’affaire Benalla.
«Nouveau Monde» et lobbies
Avec l’élection d’Emmanuel Macron en 2017 avec des promesses de renouvellement de «l’Ancien Monde», Jean-Christophe Picard est reçu par le nouveau ministre de la Justice, François Bayrou, pour évoquer sa loi de la moralisation de la vie publique. Depuis, il a quitté le gouvernement, à cause de son implication dans une affaire d’emplois fictifs au Parlement européen, comme seize autres de ses collègues. Le 28 août 2018, coup de massue au gouvernement, l’un de ses ténors, Nicolas Hulot a démissionné en direct sur France Inter du ministère de l’Écologie. En cause? Les lobbies. Le représentant d’Anticor se rappelle des mots très forts employés par le militant écologiste:
«Qui gouverne? Qui a le pouvoir? Et on n’a pas encore répondu. Il posait la question en connaissant la réponse. Effectivement, ceux qui gouvernent et ceux qui ont le pouvoir, ce ne sont pas forcément ceux que l’on a élus. Les centres de décision, ce n’est pas forcément ceux que l’on croit, puisque vous savez que le mot lobbying vient du mot couloir, ça veut dire que les décisions se prennent dans les couloirs, c’est exactement le problème du lobbying. On ne sait pas qui influe sur qui, où les décisions sont prises, c’est un énorme problème au niveau européen, au niveau français. Il faut se rappeler que dans le programme du Président Macron, il s’était engagé à encadrer le lobbying, ce qui pour l’instant n’a pas été fait.»
«On est devenus gênants depuis qu’on a un agrément»
L’association n’est toutefois pas épargnée par le monde politique. Eric Alt, son vice-président, par ailleurs magistrat, est l’objet d’une enquête de l’Inspection générale de la justice pour ses déclarations sur deux dossiers judiciaires: l’affaire immobilière concernant Richard Ferrand et une enquête sur des fraudes aux aides européennes en Corse. Accusée de «politisation» dans Le Monde et d’avoir une «part d’ombre» dans le JDD, Anticor se défend de tout parti-pris.
«On est devenus gênants depuis qu’on a un agrément, qui nous permet d’empêcher que certains dossiers soient enterrés. Par exemple, pour l’affaire Ferrand, le procureur enterre le dossier, le classe, et nous nous décidons de nous constituer partie civile pour que ce dossier soit confié à un juge d’instruction. Ça les agace, évidemment.»
Ce 10 janvier, Anticor a organisé à Paris la cérémonie 2020 des Prix éthiques et des Casseroles, afin de récompenser les «comportements vertueux» et de dénoncer «les agissements déplorables». Deux casseroles ont été décernées à une sénatrice «pour son cynisme en politique» et un couple d’élus locaux, «pour leur art de contourner les lois sur l’inéligibilité». Mais le député Les Républicains Olivier Marleix a été récompensé d’un prix éthique pour son implication dans la commission parlementaire suite au scandale Alstom. Comme quoi les politiques ne sont pas tous pourris.