Réagissant à l’annonce samedi 21 décembre à Abidjan de la fin du franc CFA, Nathalie Yamb, conseillère exécutive de Mamadou Koulibaly, candidat désigné du LIDER (Liberté et démocratie pour la République, parti d’opposition) à la présidentielle d’octobre 2020 en Côte d’Ivoire, a résumé en une formule cinglante l’opinion de la plupart des activistes anti-CFA en Afrique de l’Ouest. Comme elle, le Togolais Kako Nubukpo ou le Béninois Kemi Séba — lequel vient à nouveau de se faire expulser d’un pays africain, cette fois du Burkina Faso — n’ont pas manqué de réagir, dénonçant ce qu’ils considèrent comme une «mascarade» de la part du Président ivoirien Alassane Ouattara d’annoncer la mort présumée du franc CFA alors qu’il change simplement de dénomination.
Profitant de la visite officielle d’Emmanuel Macron dans son pays du 20 au 22 décembre, le chef de l’État ivoirien a déclaré lors de la conférence de presse conjointe avec son homologue français qu'outre le changement de nom, la réforme concernant le franc CFA prévoyait «l'arrêt de la centralisation de 50% des réserves au Trésor français» ainsi que le retrait de la France «des instances de gouvernance dans lesquelles elle était présente». Il a aussi précisé que cette réforme avait été «négociée depuis plusieurs mois» et s’appliquait immédiatement.
Principal obstacle à l’industrialisation
Expulsée manu militari de Côte d’Ivoire le 2 décembre pour «activités incompatibles avec l’intérêt national», la Suisso-Camerounaise Nathalie Yamb n’en démord pas. Pour elle, les huit chefs d’État de l’UEMOA, au nom desquels le Président Ouattara affirme parler, se livrent à un véritable «kidnapping de l’ECO» sous la houlette de la France. En effet, le 29 juin à Abuja, lors d’un sommet extraordinaire de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), le nom qui avait été choisi pour la future monnaie commune des 15 États membres de l’Afrique de l’Ouest, y compris le Nigeria et le Ghana, était justement «ECO».
Or, affirme-t-elle, la lecture du communiqué final du 56e sommet ordinaire de la CEDEAO du samedi 21 décembre à Abuja, auquel a participé le matin Alassane Ouattara, «offre un cinglant démenti après la comédie d’Abidjan». Loin de se laisser berner, la CEDEAO aurait refusé que la dénomination «ECO» soit récupérée par le duo Macron-Ouattara au nom de la zone UEMOA. «À l’instar de la ministre des Finances nigériane, je reste convaincue que l’ECO ne verra pas le jour en 2020», ajoute-t-elle, précisant que «pour l’instant, rien de fondamental n’a bougé» et que «le franc CFA reste le franc CFA!» puisque, de toute façon, la parité fixe avec l’euro n’est pas modifiée, a-t-elle déclarée dans une mise au point à Sputnik France.
«2020 pour que l’ECO voit le jour, c’est utopique! Il n’y a pas encore de statut de la Banque centrale de la CEDEAO de défini, ni de dénomination pour les coupures... Or, une monnaie commune, ce n’est pas un Monopoly. C’est un instrument de souveraineté, une institution dans laquelle les peuples doivent se reconnaître», avait analysé Nathalie Yamb au micro de Sputnik France la veille de l’annonce officielle de la fin du CFA en Afrique de l’Ouest.
Pour elle, la stratégie du Président ivoirien consistant à dire que les critères de convergence étant «plus ou moins atteints» par les différents États membres de l’UEMOA, ceux-ci peuvent déjà adopter l’ECO; et que les autres États de la CEDEAO les rejoindront quand ils seront prêts est un leurre «pour garder l’ECO dans le format du CFA en faisant simplement un changement de dénomination.»
«Nos chefs d’État (dans la zone euro) ne sont animés ni d’audace, ni de volonté politique de changement! On sent qu’ils sont pris en tenaille entre la volonté de maintenir le statu quo et les demandes de la base qui veut que ça change. Or, eux, considèrent que c’est de la France que doit venir le changement. C’est pourquoi ils sont obligés de jouer les équilibristes à l’intérieur, mais changer le nom d’une monnaie sans en changer les mécanismes ne servira à rien», a-t-elle insisté lors de son passage dans les studios de Sputnik France à Paris.
Car la principale tare du franc CFA à ses yeux est d’empêcher l’industrialisation de l’Afrique compte tenu de son rattachement à une monnaie forte comme l’euro. Il est donc néfaste au développement d’économies émergentes, comme l’Afrique en compte de plus en plus, du fait de sa parité fixe (1 euro = 655 francs CFA) qui l’empêche de fluctuer.
«En Europe, il n’y a que l’Allemagne qui arrive à gérer l’euro de façon satisfaisante Tous les autres pays ont des problèmes, car ils sont moins industrialisée. Imaginez pour nous en Côte d’Ivoire qui n’avons même pas de tissu industriel! Comment voulez-vous que nous sortions de la pauvreté, voire même que nous essayions de nous industrialiser avec une monnaie qui a des effets négatifs avérés sur des économies européenne comme la Grèce, la France, l’Italie, l’Espagne?», demande-t-elle.
Après la Seconde Guerre mondiale, beaucoup d’anciennes colonies françaises ont commencé à vouloir s’émanciper, y compris sur le plan monétaire. Or, le maintien de la tutelle par le biais du franc CFA a permis à la France de garder sous contrôle cette volonté d’émancipation comme cela s’est produit, par exemple, au Togo au moment de l’indépendance. Les velléités du premier Président togolais, Sylvanus Olympio, de sortir du franc CFA pour battre sa propre monnaie ont été étouffées dans l’œuf, entraînant son assassinat le 13 janvier 1963.
«Nous sommes les derniers portes étendards en Afrique d’une monnaie, le franc CFA, qui a disparu, aujourd’hui, même en France. Mais ce que je dénonce, avant tout, c’est un système d’accaparement et de monopoles protégés qui fait que nous sommes devenus la propriété de représentants d’une caste en France qui en retirent les bénéfices, pour eux-mêmes, comme en Afrique», affirme-t-elle.
Pour elle, comme le franc CFA ne fait pas partie des enjeux électoraux pour les élus français, on n’en parle jamais en France. C’est donc aux diasporas africaines binationales de faire en sorte que les Français comprennent que si les migrants (subsahariens) viennent en si grand nombre, c’est parce qu’ils fuient chez eux «quelque chose» qui est perpétré par les dirigeants français.
Changer les mentalités en Afrique
Ce lien ombilical maintenu avec la France se traduit, selon elle, par un «aplatissement» des dirigeants africains. Ceux-ci, à l’instar du Président Alassane Ouattara, ont non seulement beaucoup de mal à dire «non» à Paris mais font preuve, parfois, d’un «zèle embarrassant», estime-t-elle.
Toutefois, le plus grave à ses yeux reste le maintien des «privilèges» dont bénéficient les entreprises françaises en Afrique. Si elle milite pour «casser» le système du CFA, insiste-t-elle, c’est pour permettre aux 15 États de la zone franc de sortir du carcan de la Françafrique.
«On nous dit que [pendant la visite d’Emmanuel Macron, ndlr] on va parler du franc CFA, mais en réalité, c’est du métro d’Abidjan [construit par la France, ndlr] dont le prix est astronomique que l’on va parler. Même chose pour les contrats C2D de désendettement qui profitent uniquement aux entreprises françaises sur des projets choisis par la France. Bouaké a besoin d’un grand marché? C’est la France qui le dit, car elle a des entreprises qui veulent construire à cet endroit!», dénonce Nathalie Yamb.
En tant que conseillère du candidat Mamadou Koulibaly, qui se réclame comme l’un des principaux opposants aujourd’hui au régime d’Alassane Ouattara, elle est consciente que son expulsion de Côte d’Ivoire n’est pas seulement due à ses prises de positions sur le franc CFA.
«M.Ouattara a vu là le moyen d’essayer de fragiliser la campagne d’un concurrent qui prend de plus en plus son envol et s’affirme comme une alternative à un système historique de partis qui n’apporte plus rien à la jeunesse ivoirienne. En m’expulsant, il a frappé le parti (LIDER), s’est débarrassé d’un électron libre et a fait plaisir du même coup à M.Macron», estime-t-elle.
«Je garde mon agenda ouvert et m’assure que celui du Professeur Koulibaly le sera aussi. Le Président Macron aura grand plaisir à s’entretenir avec lui si ma tête ne lui revient et il verra qu’il est très urbain. Et qu’en tout état de cause, nous ne sommes pas des excités», ajoute-t-elle.
Très proche de l’ancien Président ghanéen Jerry Rawlings qui l’a accueillie à Accra après son expulsion d’Abidjan, elle rêve pour son candidat d’une élection à la présidence de la Côte d’Ivoire qui permettrait, selon elle, d’apporter un véritable changement dans la manière de gouverner en commençant par un changement dans les mentalités.
«C’est tout le logiciel dans nos têtes qu’il faut reparamétrer. Mais je ne me fais pas d’illusion: ce n’est pas une présidence de Mamadou Koulibaly qui permettra d’apporter tous les changements dont rêve la jeunesse de ce grand pays qu’est la Côte d’Ivoire. Il faudra beaucoup de décennies pour en venir à bout, mais je suis certaine que nous finirons par y arriver», conclut-elle.