Un pavé dans la mare ? Lors de la 21e session ordinaire de la conférence des chefs d’État et de gouvernement de l’Union Économique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) qui s’est tenue le 12 juillet 2019 à Abidjan, le Président ivoirien Alassane Ouattara s’est positionné en faveur du maintien d’un taux de change fixe entre l’euro et l’ÉCO, la future monnaie unique appelée à remplacer le franc CFA à partir de 2020.
Selon Alassane Ouattara, par ailleurs président en exercice de la conférence des chefs d’État et de gouvernement de l’UEMOA, «aucun changement de parité ne devrait intervenir dans l’immédiat entre l’euro et le franc CFA,» qui s’effacera progressivement au profit de l’ÉCO, adoptée le 29 juin 2019 par les 15 États de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).
«Nous considérons que ce taux de change fixe vis-à-vis de l’euro a bien servi nos économies, maîtrise l’inflation, nous permet d’avoir des taux de croissance les plus élevés du continent. Il n’y a rien de pire pour les populations que l’inflation. Je suis très fier de dire que la Côte d’Ivoire depuis sept ans n’a jamais dépassé un taux d’inflation de 1 à 2% par an, et il faut que cela soit maintenu», a déclaré Alassane Ouattara.
Les déclarations du chef de l’État ivoirien, économiste chevronné qui a occupé de hautes fonctions au Fonds Monétaire International (FMI) et à la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), font débat. En effet, les grands argentiers de la CEDEAO ont, eux, retenu pour l’ÉCO un «régime de change flexible comme cadre de politique monétaire».
Les détracteurs d’Alassane Ouattara l’accusent d’être un pion au service des intérêts français. Ils pointent à l’appui de leur thèse la rencontre entre le chef d’État ivoirien et son homologue français Emmanuel Macron, le 9 juillet, trois jours seulement avant la conférence de l’UEMOA.
Loin des critiques formulées à l’encontre de la position du dirigeant ivoirien, partisan de l’orthodoxie financière et de la maîtrise de l’inflation, Sputnik a interrogé Stéphane Ganhi, économiste du développement, spécialiste en finance inclusive, qui estime plutôt qu’un taux de change flottant pour l’ÉCO serait bénéfique pour la Côte d’Ivoire.
Sputnik France: Pour la monnaie unique de la CEDEAO et au regard des économies des pays membres, quel régime de change est le plus approprié?
Stéphane Ganhi: «Cette déclaration du Président ivoirien incite à se demander quelle est la vision de nos dirigeants pour cette future monnaie. Étant donné que le Président ne fait pas partie du comité de pilotage et de suivi de la future monnaie, sa déclaration ne saurait remettre en cause le caractère flottant qui a été adopté, même si les politiques doivent donner leur avis.
Un taux de change flottant garantirait la confiance des investisseurs qui se manifesterait par une rigueur de gestion. Mais ce change flottant conduit à adopter un dispositif qui nous permettra de circonscrire l’inflation qui affecterait nos économies. La parité fixe a actuellement le privilège de nous préparer dans un délai d’un an, avant de passer au taux flottant. Sachant que nos pays sont sous-industrialisés, les balances commerciales sont pour la plupart déficitaires. Dans ce cas de figure, la demande de monnaie étrangère par un taux de change flottant pourrait mettre en avant le caractère de solidarité et d’union dans la zone, comme c’est le cas dans les pays de la zone euro.
Pour la CEDEAO, l’adoption d’un système de taux de change flottant pourrait être bénéfique, car elle favoriserait les échanges entre les pays membres, tout en réduisant les importations, ce qui contribuera à améliorer nos exportations pour une balance commerciale qui deviendrait excédentaire. Car il faut remarquer que les échanges commerciaux entre les pays de la CEDEAO sont très faibles comparés aux échanges avec les pays développés. La Côte d’Ivoire gagnerait à s’aligner sur ce taux de change flottant, étant un grand exportateur de café et cacao.»
Sputnik France: Le projet de création à partir de 2020 d’une monnaie unique de la CEDEAO vous paraît-il vraiment viable?
Stéphane Ganhi: «À ce stade, il ne s’agit pas de penser à la viabilité, mais plutôt de penser à une stratégie à définir afin que cette monnaie remplisse ses fonctions. Il y a un certain nombre de préalables à remplir pour une bonne gestion de la nouvelle monnaie. Il faut notamment une stratégie monétaire bien définie à court et moyen terme, ainsi que l’établissement du statut de la Banque centrale afin de connaître la mission à lui confier pour atteindre les objectifs de maîtrise de l’inflation, de réduction du chômage, d’un équilibre budgétaire et du contrôle de la dette de souveraineté selon les standards internationaux.
Il ne faut par ailleurs pas perdre de vue le fait que la future monnaie ne viendra pas résoudre les problèmes d’ordre structurel que connaissent nos États. En plus de donner une vision stratégique à la monnaie, il faudrait, entre autres, trouver des solutions au fléau de la corruption et à nos systèmes éducatifs qui ne répondent pas aux exigences de notre époque.»
Sputnik France: Pensez-vous que la mise en place de l’ÉCO pourra favoriser l’inclusion financière dans les quinze États membres de la CEDEAO et à terme, leur développement?
Stéphane Ganhi: «Avant tout, il faut savoir que l’inclusion financière consiste à favoriser l’accès aux services financiers aux populations exclues du système bancaire orthodoxe, par la combinaison de la finance et de la technologie, et ce à moindre coût. Sans une stratégie monétaire bien définie avec une vision à court terme et des implications à long terme, l’inclusion financière demeure une politique sans effet.
Pour ce faire, il faudrait avec l’ÉCO définir la stratégie d’inclusion financière au niveau régional, par le biais de la Banque centrale. Les pays anglophones de l’ÉCO, contrairement aux francophones, ont déjà un mode de suivi de leur population qui se caractérise par les adresses des individus. Le statut de la Banque centrale dans la mise en place d’un bureau de crédit pour le suivi des populations qui contracteraient des crédits dans les zones ex-CFA se verrait donc limité, car n’ayant pas de mesure d’identification de suivi et collecte de données des populations. On assisterait alors à la non-promotion de l’accès aux crédits pour ces populations, ce qui fragiliserait la monnaie, entraînant un retour aux limites perçues actuellement avec le franc CFA.»