Avant de se rendre en France le 10 novembre dernier sur invitation d’Emmanuel Macron pour prendre part à la deuxième édition du Forum de Paris sur la paix, Paul Biya a convoqué le corps électoral en vue des prochaines élections législatives et municipales qui se tiendront le 9 février 2020.Une convocation qui s’est faite par le biais d’un communiqué de la présidence lu sur les ondes de la radio nationale.
«La priorité dans le pays est le conflit en cours dans les régions anglophones. Pour l’heure, aucune solution tangible, efficace ou pragmatique n’a été trouvée en rapport avec cette guerre civile qui déchire le Cameroun et qui d’ailleurs se propage aux autres régions depuis trois ans. Nous avons encore des prisonniers politiques dans les geôles du régime de Yaoundé», souligne le porte-parole du MRC au micro de Sputnik.
Dans une déclaration faite au soir du 10 novembre, l'Honorable Jean Michel Nintcheu, député du Social Democratic Front (SDF), parti d'opposition, ne cache pas son courroux face à ce qu'il considère comme un «acte suicidaire».
«Paul Biya sera tenu pour principal responsable de la très éventuelle déflagration qui surviendra à la suite de ce décret paranoïaque dont nul n'avait pourtant urgemment besoin en cette période extrêmement sensible de la vie de notre Nation», a écrit le député sur son compte Facebook.
Après deux reports, le décret du président Paul Biya met ainsi terme au mandat des députés et conseillers municipaux élus en 2013 qui avait été prorogé de douze mois par un décret en juillet dernier. Si aucune raison n’avait été donnée dans le texte présidentiel pour expliquer l’ajournement de ce scrutin, l’opposition avait déjà suspecté une manœuvre politique visant à préparer le terrain à la fraude. Dans les rangs du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), le parti au pouvoir, des cadres comme Robert Mouthe Ambassa, membre du comité central, pensent qu’il est «nécessaire d’aller à ces élections», nonobstant les multiples crises sécuritaires.
«Quand le Président a renvoyé deux fois ces élections, sa décision a toujours été diversement interprétée. D’aucuns estimaient qu’il voulait tricher pour donner l’avantage au RDPC, entre autres raisons. Il est vrai que nous sommes dans un contexte délicat avec la crise dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest et les problèmes de sécurité dans l’Extrême-Nord et à l’Est mais cela ne doit pas nous empêcher d’évoluer», commente-t-il au micro de Sputnik.
«Le grand dialogue national a été fait et on a essayé de ramener plusieurs acteurs de la crise à la même table. Il y encore des radicaux sur le terrain qui continuent de commettre des exactions, il y a des leaders sécessionnistes à l’étranger qui n’ont pas pu venir au dialogue parce qu’ils avaient peur pour leur sécurité. Cependant, on continue de mener des discussions avec les combattants en forêt. Des mesures sont en train d’être prises pour faire taire les armes. Les élections devant se tenir en février, on espère pouvoir mettre tout le monde d’accord d’ici là», précise-t-il.
En attendant, sur le théâtre des opérations, les populations sont prises entre deux feux et soumises à de nombreuses exactions. Une situation tendue qui suscite des interrogations chez nombre d’observateurs comme David Eboutou, analyste politique et consultant permanent pour une télévision privée à Douala, qui s’interroge encore sur la nécessité de l’annonce d’élections dans ce contexte.
«Pourquoi absolument y aller? Est-ce la quête absolue d’une légitimité? Puisque la légitimité elle-même est conférée par le peuple. Pourquoi ne pas d’abord se soucier des conditions de vie de ce peuple-là qui continue de vivre une torture psychologique morale du fait d’une crise sécuritaire qui dure depuis trois ans? Pourquoi ne pas se concentrer pour la résoudre définitivement avant de penser à poser les jalons d’une politique saine, porteuse de légitimité?», questionne-t-il.
Paul Biya va-t-il réussir le pari de ramener la paix dans les régions anglophones avant la tenue de ces élections locales? Répondant aux questions d’un panel sur la crise séparatiste au Cameroun le mardi 12 novembre au Forum sur la Paix de Paris, Paul Biya a déclaré que les régions en crise du Nord-Ouest et du Sud-Ouest bénéficieront d’un statut spécial, l’une des multiples recommandations du grand dialogue national.
«Nous avons eu des conflits qu’on est entrain de résoudre en ce moment. Nous allons octroyer à la partie anglophone du Cameroun un statut spécifique, mais elle reste dans l’unité de la nation […] Ce statut spécial reconnaît la spécificité de la zone anglophone, mais celle-ci reste dans l’intégrité territoriale», a souligné le Président camerounais.
De quoi susciter de l’espoir chez ses partisans qui projettent un retour à la paix avant la prochaine échéance électorale.
Un code électoral toujours querellé
«Nous pensons que nous devons aller à ces élections pour mettre de côté ceux qui détruisent le Cameroun depuis 37 ans, notamment le régime de Paul Biya. Nous invitons à l’organisation d’élections, claires, transparentes et objectives», tient à préciser Sosthène Médard Lipot au micro de Sputnik.
Même son de cloche au sein du Parti camerounais pour la réconciliation nationale (PCRN). Cabral Libii, le président national de ce parti d’opposition arrivé en troisième position à la dernière élection présidentielle, a d’ores et déjà mobilisé ses troupes pour «rectifier le tir de 2018», dit-il.
En effet, longtemps critiqué par l’opposition et la société civile, le code actuellement en vigueur au Cameroun est considéré par l’opposition comme étant l’un des principaux instruments de fraude qui permet au Président Paul Biya de se maintenir au pouvoir. Pour David Eboutou, la révision de ce code aurait pu être un préalable sérieux si ces partis «avaient mutualisé leurs efforts pour créer un rapport de force».
«Ceci montre clairement qu’il y a un déficit de stratégie important dans ces partis politiques. Ces mêmes acteurs qui avaient annoncé des plans de résistance sont en train de s’engouffrer dans les règles d’un code électoral qu’ils ont décrié. On peut se demander comment ils comptent glaner des places dans des élections qu’ils disent totalement contrôlée par l’appareil gouvernant», commente-t-il.
Pour le MRC, en revanche, le débat sur la réforme du système électoral est loin d’être clos.
«Ce code électoral est conflictogène […]. Il faut qu’un nouveau code soit prêt avant les élections, ne serait-ce que pour les règles du jeu électoral, c’est une préoccupation», martèle Sosthène Médard Lipot.
Ces élections législatives et municipales devraient parachever le processus de renouvellement de la classe politique camerounaise engagé en octobre 2018 avec la présidentielle. Une élection à l’issue de laquelle le Président Biya avait été donné vainqueur avec 71%, mais dont les résultats sont toujours contestés par Maurice Kamto, officiellement classé deuxième avec 14%.