Quatre ans après le 13 novembre, «les services ne se sont pas encore complètement adaptés à la menace djihadiste»

Quatre ans après la terrible soirée du 13 novembre 2015, Sputnik revient sur l’état de la menace terroriste et les enjeux liés à celle-ci. Noam Anouar, ancien des renseignements généraux affecté en Seine-Saint-Denis, évoque la menace islamiste, le retour des djihadistes et le niveau de préparation des services face à ces menaces. Entretien.
Sputnik

C’était certainement la soirée la plus tragique qu’a vécue la France au XXIe siècle. Ce 13 novembre 2015, trois commandos islamistes semaient le chaos dans les rues de Paris et sa banlieue, tuant 130 personnes. Depuis, de nombreux Français vivent encore avec la peur que de telles scènes d’horreur se reproduisent.

​Quatre ans et une quinzaine d’attentats plus tard, nous revenons sur l’état actuel de la menace terroriste en France, la capacité d’accueillir les djihadistes partis combattre au Levant, la situation dans les banlieues et les prisons. Pour se faire, Sputnik a tendu le micro à Noam Anouar, ancien de la DRPP (Direction du renseignement de la préfecture de police), affecté en Seine-Saint-Denis pendant près de huit ans. Il est l’auteur du livre La France doit savoir, paru en septembre 2019 aux éditions Plon.

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Sputnik France: quatre ans après 13 novembre 2015, quel est l’état de la menace terroriste? Sommes-nous encore à la merci d’un attentat type Bataclan, des terrasses ou du Stade de France?

Noam Anouar: «La particularité des attentats du 13 novembre, c’est un niveau de préparation, de technicité, qui est peu commun, avec une utilisation d’armes de guerre, d’explosifs. Ça demande une préparation logistique importante, un soutien financier et, a priori, rien de cet acabit ne s’est reproduit depuis. Aujourd’hui, on a plutôt des attentats légers à l’arme blanche, type couteau ou marteau. Il y a eu des tentatives d’attentats importants avec des bonbonnes de gaz comme à Notre-Dame ou l’immeuble du XVIe, mais elles ont été déjouées.

Ça me semble donc peu probable de revoir un attentat de l’ampleur de celui du 13 novembre. Après, la menace existe, donc rien n’est à exclure, car c’est avant tout une idéologie à laquelle on fait face et non une organisation politique ou militaire. On constate aussi, quatre ans après, que nos services de renseignements sont assez peu performants, il faut le dire. L’actualité récente de l’attaque à la préfecture nous rappelle d’ailleurs à quel point le niveau de sécurité est faible.»

Sputnik France: La menace s’est tout de même métamorphosée: le chef est mort, le califat est tombé. Comment les services et la police se sont-ils adaptés à cette menace nouvelle, isolée, venant plutôt de l’intérieur?

Noam Anouar: «Je pense d’abord que les services ne se sont pas encore complètement adaptés. Depuis 2015, la plupart des projets d’attentats concernant Paris ou la petite couronne ont été menés à terme. Quand on entend que de nombreux attentats ont été déjoués, que de nombreuses affaires ont été élucidées, je pense que les services de communication des ministères concernés vont un peu vite en besogne. Le dernier exemple en date c’est ce “11 septembre à la française” qui a été évité, alors qu’il s’agissait simplement d’un jeune homme dont les communications ont été interceptées sur Telegram, alors qu’il parlait de détourner un avion, mais il était dans la fantaisie totale et n’avait aucun moyen de mener à bien cette action.

Face à «l’hydre islamiste», pour un agent de renseignement, «la détection, c’est un métier»

On n'est clairement plus dans des configurations type Al-Qaïda* avec une organisation, un financement, une logistique… Nos services font désormais face à des loups solitaires, qui peuvent prendre un couteau à pain et commettent un attentat à tout moment. C’est extrêmement difficile à contrer et aujourd’hui, sauf s’il y a des informations dont je ne dispose pas, nos services ne sont pas à la hauteur de contrer ces menaces. Si aujourd’hui, vous faites un sondage auprès des Français pour savoir s’ils se sentent protégés ou pas, je pense que vous aurez une grande majorité de non.»

Sputnik France: Que faut-il faire pour lutter contre ces loups solitaires?

Noam Anouar: «Il faut avant tout lutter contre cette idéologie mortifère. Dans ma jeunesse, dans les années 90, on n’avait peu ou pas de salafisme dans les banlieues. Aujourd’hui, on assiste à une explosion de ces idéologies, parce que je pense que c’est quelque chose qui a été autorisé, par passivité ou de façon active. Aujourd’hui, l’idéologie des Frères musulmans a pignon sur rue, que ce soit sur Internet, dans les mosquées, dans des conférences, sur les chaînes télé par câble… Lutter contre la préparation matérielle des attentats serait la cerise sur le gâteau, mais le travail de fond, c’est avant tout l’idéologie salafiste, et j’ajouterai le racisme, car l’idéologie salafiste se nourrit de ce racisme.»

Certaines personnalités parlent de possible partition de certains quartiers d’où viendrait la menace, de personnes qui vivaient côte à côte et vivront bientôt face à face. Ceux qui disent cela sont-ils dans le vrai? Où est-ce un délire paranoïaque que de parler aujourd’hui en France d’«enclaves islamisées»?

Noam Anouar: «Il y a dans certains quartiers sensibles, des gens qui détestent la République et ses Institutions et qui le revendiquent ouvertement. Ça ne devrait pas être possible aujourd’hui. Néanmoins, je pense que dire qu’il y a des “enclaves islamiques” à l’échelle de quartiers entiers qui seraient régis par la charia, ça, c’est du registre du fantasme.»

De nombreux djihadistes vont bientôt être libérés, car ils ont purgé leurs peines. Constituent-ils une menace importante? Comment réinsérer ces individus? Feront-ils toujours l’objet d’une surveillance accrue?

Noam Anouar: «C’est intéressant que vous me posiez la question pour les quatre ans du 13 novembre 2015. On a appris ce 12 novembre via vos confrères de Médiapart que les terroristes du Bataclan et du Stade de France étaient en contact avec un certain nombre de détenus incarcérés en France. On est très loin de l’étanchéité dans les cellules et ça montre le chemin qu’il reste à parcourir, tant au niveau des renseignements qu’au niveau carcéral. Un service de renseignement carcéral a tout de même été mis en place au printemps 2016. Maintenant, pour ceux qui vont être remis en liberté, il ne faudra pas faire l’économie des moyens de surveillance, voire de mesures de restrictions de liberté.»

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Quid des djihadistes français partis combattre en Irak et en Syrie?

Noam Anouar: «On voit déjà que la Turquie fait pression sur l’Europe et menace d’ouvrir les vannes des réfugiés ou des djihadistes à tout moment. Tout d’abord, il faudra négocier avec eux, mais aussi avec la Syrie et l’Irak pour voir s’ils sont prêts à en garder certains. Pour ceux qui rentrent, il faudra que la Justice soit extrêmement ferme, notamment sur les mesures de liberté conditionnelle, de remise de peine. Il y aura matière à les juger pour apologie et participation à une entreprise terroriste.»

Les autorités et les renseignements sont-ils prêts à faire face à des retours en nombre de djihadistes revenant de cette zone?

Noam Anouar: «Clairement pas. Regardez l’attentat de Saint-Étienne-du-Rouvray, Adel Kermiche était fiché S, avait un bracelet électronique et faisait l’objet d’une condamnation. Son complice également faisait l’objet d’une condamnation pour avoir tenté de partir en Turquie pour rejoindre la Syrie ou l’Irak. À partir de ce moment-là, si on arrive à identifier les gens, prendre connaissance de leur volonté, mais qu’après on ne peut pas les empêcher de passer à l’acte, c’est qu’on n’est pas prêts à accueillir un nouveau flux de djihadistes en puissance.»

*Organisation terroriste interdite en Russie

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