Lettre de Gilets jaunes à Macron: «S’il refuse de nous rencontrer, cela confirmera son dédain pour le peuple»

Plusieurs figures des Gilets jaunes, dont Jérôme Rodrigues, ont envoyé une lettre à Emmanuel Macron, lui demandant une rencontre «avant le 16 novembre», date du rassemblement qui devra marquer l’anniversaire du mouvement. Une initiative qui a ses soutiens et ses détracteurs parmi les Gilets jaunes. Jérôme Rodrigues nous explique ses motivations.
Sputnik

C’est une lettre au ton sec qui a été adressée au Président de la République. Jérôme Rodrigues et Priscillia Ludosky, deux figures bien connues des Gilets jaunes, ainsi que le chef d’entreprise Fabrice Grimal et le militant associatif Faouzi Lellouche ont envoyé une lettre ouverte à l’Élysée. Ils demandant à rencontrer Emmanuel Macron «avant le 16 novembre», premier jour du week-end qui doit marquer l’anniversaire de ce mouvement de protestation sociale inédit en France.

​En plus de parler des «multiples dérives en matière de maintien de l’ordre», du «rôle de l’IGPN» (Inspection générale de la Police nationale) ou «des agissements du ministère de l’Intérieur», le but de la rencontre serait de «remettre en mains propres le manifeste du “Vrai débat”» au Président de la République. Cette consultation organisée par les Gilets jaunes en parallèle du très controversé «Grand débat national» organisé l’hiver dernier par les autorités a, selon ses organisateurs, recueilli «un million de votes sur 25.000 propositions». De ce travail sont ressorties 59 mesures phares, réparties en quatre grands thèmes (transformation profonde du système politique, renforcement du service public, justice fiscale et écologie solidaire et accessible) que les auteurs de la lettre souhaitent présenter au locataire de l’Élysée.

«Aucune de vos prises de parole ne mentionne cette plateforme et vos annonces témoignent de l’absence de prise en compte des revendications qui s’y trouvent», écrivent les auteurs de la lettre.

Les annonces faites par Emmanuel Macron après le Grand débat national, qui allaient d’une baisse de l’impôt sur le revenu des classes moyennes de cinq milliards d’euros à l’assouplissement du référendum d’initiative populaire, n’ont donc pas convaincu ces Gilets jaunes de la première heure.

Mais au sein du mouvement, l’initiative a ses détracteurs. Notamment sur les réseaux sociaux, comme Facebook et Twitter, quand ce ne sont pas des figures des Gilets jaunes, à l’instar d’Eric Drouet, qui s’y opposent:

«Il n’y a pas de discussion à avoir, ça fait presque un an qu’on est dans la rue, aucune réponse, des morts, des blessés, des mutilés, l’heure n’est plus à la discussion, mais à la démission de tout ce gouvernement!»

Thierry-Paul Valette, autre figure du mouvement, s’est également opposé à cette demande de rencontre, appelant à la place à «un véritable débat ouvert entre Emmanuel Macron et les Gilets jaunes».

Sputnik France a demandé à Jérôme Rodrigues de nous expliquer pourquoi il a décidé de se joindre à cette initiative. Il a notamment réagi aux critiques dont elle fait l’objet et à un éventuel refus d’Emmanuel Macron.

Sputnik France: Pourquoi une telle demande d’entrevue avec Emmanuel Macron?

Jérôme Rodrigues: «Je privilégie la discussion, le débat et l’échange. Plutôt que de se faire éclater la tronche dans la rue, mieux vaut essayer de discuter et d’imposer nos idées et les solutions que l’on propose. C’est toujours mieux que se prendre des pains et du gaz dans la tronche.

À un moment donné, il est compliqué d’appeler les millions de sympathisants des Gilets jaunes un par un pour leur demander s’ils sont intéressés par telle ou telle initiative. Sur le terrain, je discute avec l’ensemble des manifestants et je parle bien de ceux qui marchent le samedi et pas forcément de ceux présents sur les réseaux sociaux, car il s’agit de deux mondes très différents. Et ceux qui descendent dans la rue tous les week-ends sont fatigués, veulent que cela avance. Ils cherchent des solutions, de la structuration. Et cela passe par un schéma de discussions, afin d’essayer d’actionner tous les leviers possibles et imaginables pour trouver des solutions à la situation.»

«Les Gilets jaunes, ce n’est que le début, les 16 et 17 novembre seront énormes», prévient Jérôme Rodrigues

Sputnik France: Vous comprenez les critiques?

Jérôme Rodrigues: «Tout ce que l’on fait sera l’objet de critiques. On vit dans un monde de critiques. Aujourd’hui, elles se situent essentiellement sur Facebook, car des révolutionnaires de canapé sont frustrés, donnent l’impression de toujours vouloir aller au combat et de faire de la police un ennemi alors que l’ennemi, c’est le système. Et ce système a un représentant: Macron. À nous de le combattre avec toutes les armes en notre possession et quand je dis “armes”, je veux dire celles de la discussion et du débat, qui sont les premières. Depuis le début du mouvement, c’est mon discours. Je me suis réveillé le matin du 27 janvier et j’ai appelé au calme. Je reste fidèle à ma ligne de conduite.»

Sputnik France: Vous dites que tout ceci est «symptomatique de notre époque»…

Jérôme Rodrigues: «Je pense que ces critiques sur les réseaux sociaux ont beaucoup à voir avec l’époque actuelle qui fait de la recherche de la notoriété une priorité pour beaucoup. Certains se disent: “Pourquoi eux et pas moi?” Je leur réponds: “Pourquoi tu ne l’as pas fait?” Moi je n’ai pas envie de passer à la télé et de faire ma star sur les plateaux, contrairement à certains critiques qui sont venus me voir par le passé en me disant: “Moi les médias, jamais”. Personnellement, la seule chose que je veux, c’est de rentrer chez moi.»

Sputnik France: Vous croyez donc toujours au dialogue?

Jérôme Rodrigues: «Durant un an, des milliers de Gilets jaunes ont eu la possibilité de rencontrer leurs représentants aux niveaux municipal, départemental, régional ou même national. Ils ont pu échanger. Ils n’ont pas demandé la permission à qui que ce soit pour le faire. À un moment donné, il faut cesser de critiquer le chemin emprunté et plutôt où il peut nous mener.»

Sputnik France: Le ton de la lettre est plutôt sec. Était-ce volontaire?

Jérôme Rodrigues: «Quand vous installez une discussion cordiale avec quelqu’un, vous répondez cordialement. Quand vous avez affaire à un individu comme Macron, dirigiste, autoritaire, vous ne pouvez pas lui envoyer des fleurs. Nous nous mettons à son niveau.»

Cet été, avec les Gilets jaunes, le «Vrai débat» à l’assaut de vos boîtes aux lettres

Sputnik France: Cette initiative est également stratégique…

Jérôme Rodrigues: «Cela fait des mois que les médias ne parlent plus de nous. À de nombreuses reprises, on nous a demandé quelles étaient nos revendications. Aujourd’hui, elles sont écrites noir sur blanc. Nous souhaitons nous rappeler au bon souvenir de Monsieur Macron. Au-delà de ça, l’objectif est de montrer à l’opinion publique que nous sommes des gens structurés, avec de la cohérence. Cela nous a pris un an et les premiers effets sont là.»

Sputnik France: Comment réagiriez-vous à un refus d’Emmanuel Macron?

Jérôme Rodrigues: «Cela ne ferait que confirmer le dédain du Président pour son peuple et son manque d’intérêt à la servir.»

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