L’accord Russie-Turquie sur la Syrie n’offre «pas d’échappatoire à Erdogan»

L’accord entre Moscou et Ankara sur la Syrie a permis de temporairement mettre fin aux combats entre les Turcs et leurs alliés et les Kurdes. Est-ce un premier pas vers une paix durable en Syrie? Sputnik revient avec Michel Raimbaud, ancien diplomate et spécialiste de la région, sur les enjeux régionaux et internationaux de cet accord.
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«Historique», c’est l’adjectif qu’a utilisé le Président turc pour qualifier l’accord conclu entre la Turquie et la Russie au sujet de la Syrie. D’après les deux parties, cette entente permettrait de mettre un terme immédiat aux violences opposant les forces kurdes du nord-est de la Syrie à l’armée turque et ses supplétifs.

«Aujourd’hui, avec Vladimir Poutine, nous avons conclu un accord historique pour la lutte contre le terrorisme, l’intégrité territoriale et l’unité politique de la Syrie ainsi que pour le retour des réfugiés», a déclaré le Président Erdogan à l’issue de sa rencontre avec Vladimir Poutine en Russie le 22 octobre.
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Les deux puissances, impliquées depuis de nombreuses années en Syrie, sont parvenues à s’entendre sur un contrôle partagé de la zone précédemment contrôlée par les Américains et leurs alliés kurdes. De plus, les deux dirigeants sont parvenus à s’entendre sur une éventuelle restitution de l’intégrité territoriale syrienne, ce que de nombreux analystes pensaient peu probable.

​Cet accord présente également une dimension géostratégique importante. En effet, les nouvelles puissances décisionnaires de la région ont changé, et cet accord semble être l’acte final de cette passation de pouvoir entre les grandes puissances influentes d’hier et d’aujourd’hui au Moyen-Orient. Pour en parler, Sputnik a tendu le micro à Michel Rimbaud, ancien diplomate en poste dans plusieurs pays arabo-musulmans, spécialiste de la géopolitique du Moyen-Orient et auteur du livre Les guerres de Syrie, paru en 2019 aux éditions Glyphe. Entretien avec un diplomate connu pour ses positions tranchées.

Sputnik France: Moscou et Ankara ont parlé d’un accord historique. Pensez-vous que ce qualificatif est approprié?

Michel Rimbaud: «Absolument! C’est le qualificatif convenable pour cet accord. Le ministre des Affaires étrangères syrien évoquait régulièrement les “miracles” diplomatiques de Vladimir poutine, c’était souvent exagéré, mais je pense qu’ici, on peut réellement parler de miracle de diplomatie. En tant qu’ancien diplomate, je suis assez admiratif du résultat, bien que celui-ci ne me surprenne pas. J’ai toujours été persuadé que la Russie parviendrait à dénouer, sans trop de dégâts, l’inextricable conflit syrien.»

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Michel Rimbaud: «oui, certainement. Du point de vue territorial, l’acteur numéro un, le gouvernement syrien, a repris le contrôle d’environ 85% du territoire et à peu près l’équivalent en termes de population. Il restait à traiter, hormis quelques problèmes dans le sud, avec Israël, Idlib et la partie Est de l’Euphrate, pour une récupération pleine et entière de l’intégrité territoriale syrienne. C’est presque fait. Les Turcs ont annoncé qu’ils n’ont pas vocation à rester dans le nord-est de la Syrie, même s’il faut se méfier de la fiabilité d’Erdogan, qui a soutenu de nombreux groupes djihadistes. Néanmoins, je pense que le Président Erdogan ne peut plus se dérober à ses responsabilités s’il veut un jour récupérer la paix.»

Le fait que cet accord ait été conclu à Moscou n’est-il pas une preuve tangible de plus que la Russie est graduellement en train de prendre la place des États-Unis au Moyen-Orient?

Michel Rimbaud: «Je dirai même que c’est acté. Il y a eu tout un travail de navette des diplomates russes entre Ankara, Damas et Téhéran en vue de préparer cette rencontre, et on voit là que les Russes ont pris un rôle de leader dans la région. De plus, ils cultivent partout dans la zone des relations avec tous les acteurs majeurs. Si la fiabilité d’Erdogan reste un point de doute dans la stratégie russe, je pense que ce dernier a été amené par la diplomatie russe à remplir les engagements qu’il a pris publiquement. C’est bien pour ça que l’accord est historique, c’est qu’il n’y a pas d’échappatoire possible pour le Président turc.»

Les États-Unis et leurs alliés occidentaux ont-ils perdu tout levier d’influence au proche et Moyen-Orient?

Michel Rimbaud: «Je le crois, oui. Les États-Unis restent une grande puissance, mais je pense que le Président Trump veut sincèrement se dégager de la région. C’est une promesse électorale qu’il compte tenir, malgré les fortes oppositions auxquelles il fait face en interne.»

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Et concernant la France? Ce qui se passe dans cette région menace directement la sécurité et les intérêts français…

Michel Rimbaud: «La France en particulier a perdu toute influence au Moyen-Orient. En atteste le conseil de défense qui a suivi le début de l’offensive turque en Syrie: les Français ont condamné l’attaque contre les Kurdes et non pas le fait que ça soit une attaque contre la Syrie en tant que telle. Ça montre très bien à quel point les Français et les Occidentaux sont à côté de la plaque sur le sujet. Ils se sont d’ailleurs éjectés eux-mêmes du dossier à force d’entêtement et mauvaise identification des enjeux. Il y a un camp gagnant en Syrie, je dirai autour de l’État légal (Damas, Moscou, Téhéran), et un camp perdant, c’est l’Occident.»    

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