La Chine et l’Inde forment un triangle avec la Russie

Xi Jinping s’est rendu en Inde pour une visite non officielle. Suite à ce déplacement, le Premier ministre indien Narendra Modi a annoncé le début d’une «nouvelle ère» dans les relations avec la Chine, avec lequel l'Inde entretient un litige territorial de longue date.
Sputnik

Le rapprochement entre Pékin et New Delhi change radicalement la situation dans le bassin Indo-Pacifique et ouvre de nouvelles possibilités pour la diplomatie russe. Selon les diplomates et les experts interrogés par le quotidien Kommersant, Moscou n’aura plus besoin de faire un choix entre ses deux partenaires stratégiques, et le triangle Moscou-Pékin-Delhi sera l’un des facteurs décisifs de la politique mondiale.

L’événement principal de la tournée asiatique du Président chinois Xi Jinping, qui vient de prendre fin et a notamment inclus des visites en Inde et au Népal, a été ses pourparlers avec le Premier ministre indien Narendra Modi au Tamil Nadu, l’État d’Inde le plus développé du point de vue industriel, dans le Sud du pays.

La vitrine de l’État est la ville de Mahabalipuram, sur le littoral de l’océan Indien: il s’agit d’un ancien port qui, selon certains chercheurs, avait déjà des liens commerciaux avec la Chine au premier millénaire av. J.-C. Qui plus est, il existe à Mahabalipuram un ensemble de temples inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco.

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Le Premier ministre Modi, en habit traditionnel du Sud du pays, a joué le rôle de guide pour son hôte chinois qui venait en Inde pour la première fois.

Les relations entre New Delhi et Pékin, qu'un litige territorial non réglé oppose depuis la guerre de 1962 - la Chine occupait à l’époque une partie du territoire indien - sont restées tendues pendant des décennies. On a même craint un nouvel affrontement armé entre l’Inde et la Chine pendant l'été 2017, quand les Chinois avaient commencé à construire une voie ferrée sur le plateau contesté du Doklam en faisant fi des protestations du Bhoutan. L’Inde, alliée de ce dernier, avait déployé ses forces sur le territoire du royaume, alors que la Chine a renforcé son contingent militaire sur le plateau. Les parties avaient mis deux mois et demi pour s’entendre sur le retrait des troupes et mettre fin à la guerre des nerfs.

La première tentative sérieuse de normaliser les relations a été entreprise en avril dernier dans la ville chinoise de Wuhan à l’initiative du Président chinois Xi Jinping: il s’agissait de sa première rencontre informelle avec Narendra Modi. On a constaté plus tard une menace de retour en arrière: en février dernier, Pékin a bloqué au Conseil de sécurité de l’Onu la proposition des États-Unis, de la France et du Royaume-Uni d'inscrire sur la liste des terroristes internationaux l’ennemi mortel de l’Inde, Masood Azhar, leader du groupe islamiste Jaish-e-Mohammed, qui se cachait sur le territoire du Pakistan (Pékin a révoqué plus tard son opposition).  

Enfin, en août dernier, suite à la décision du gouvernement indien de modifier le statut de l’État Jammu-et-Cachemire, frontalier du Pakistan, la Chine a accusé l’Inde de déstabiliser la région - soutenant ainsi Islamabad, son allié de longue date.

La veille de la rencontre des deux leaders, les opposants indiens ont appelé le Premier ministre à faire preuve de fermeté. «Que notre leader respecté Narendra Modi montre sa large poitrine à monsieur Xi, qui soutient le Pakistan», a écrit sur Twitter Kapil Sibal, l'un des leaders du Congrès national indien, parti d’opposition.

Vers une réconciliation historique?

La partie d’accueil a cependant montré par tous les moyens qu’elle n’avait pas invité le Président Xi Jinping sur le littoral de l’océan Indien pour se quereller mais pour entamer une réconciliation historique. Dans la ville de Chennai, capitale de l’État du Tamil Nadu, 2.000 écoliers ont organisé un flash-mob en l’honneur de l’hôte chinois: en portant des masques à son effigie, ils ont formé un hiéroglyphe qui signifiait son nom en chinois.

«Nous avons décidé que nous surmonterions raisonnablement nos divergences et ne leur permettrions pas de se transformer en conflits. Nous conserverons une attitude délicate envers les questions qui nous inquiètent, et nos relations favoriseront la paix et la stabilité dans le monde», a annoncé suite à la rencontre Narendra Modi, considérant ce sommet informel au Tamil Nadu comme le «début d’une nouvelle ère dans les relations entre l’Inde et la Chine».

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«Nous devons aspirer conjointement à ce que le développement des relations interétatiques sino-indiennes soit une force motrice encore plus durable qui fera briller encore davantage la civilisation asiatique», a confirmé Xi Jinping.  

«Le deuxième sommet informel de Narendra Modi et de Xi Jinping a été un nouvel exemple des relations solides de l’Inde avec les principales puissances mondiales et une confirmation du fait que le premier ministre Modi parle d’égal à égal avec les autres leaders mondiaux. La rencontre des deux leaders aura une influence positive sur les relations au sein du triangle Moscou-Pékin-Delhi et sur la coopération des trois pays au sein des BRICS», affirme l’ambassadeur indien à Moscou, Bala Venkatesh Varma.

«La deuxième rencontre informelle des leaders indien et chinois s’est déroulée dans un contexte où les facteurs irritants de longue dans de leurs relations, tels que le litige frontalier ou le problème du Cachemire, avaient perdu de leur acuité, et alors que l'on avait constaté l’apparition de nouveaux facteurs. Du point de vue militaire et économique, l’Inde devient un pays de plus en plus fort, dont l’influence dépasse les limites de l’océan Indien. Dans ce contexte, les vieilles divergences territoriales passent à l’arrière-plan à cause de la nécessité de trouver des possibilités de coexistence dans le grand espace Indopacifique», estime Alexandre Lomanov, chef du Centre d’études asiatiques et pacifiques de l’Institut de l’économie mondiale et des relations internationales de l’Académie des sciences de Russie.

Selon l'expert, l’affrontement actuel entre les États-Unis et la Chine, qui se fait ressentir de la manière la plus aiguë dans le domaine commercial et économique, offre à l’Inde l'opportunité unique de s’entendre avec la Chine sur les problèmes économiques.

«Les divergences sino-américaines poussent la Chine à faire plus attention aux exigences de l’Inde concernant le déséquilibre des échanges bilatéraux et l’introduction des entreprises chinoises sur les marchés indien et régional. La Chine n’a pas intérêt à voir l’Inde offensée se transformer en allié des États-Unis en matière économique et militaire», fait remarquer Alexandre Lomanov.  

«Il s’agit d’une tendance encourageante pour la Russie, car Moscou ne sera plus obligé de faire un choix difficile entre ses partenaires stratégiques: la Chine et l’Inde. L’assouplissement des divergences entre deux parties du triangle Moscou-Pékin-Delhi transforme ce dernier en construction plus efficace et plus viable, même si le rapprochement initié entre la Chine et l’Inde pourrait se solder à terme par une diminution du rôle de la Russie», conclut-il.

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur de l'article repris d'un média russe et traduit en français.

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