Une tragédie… dont les magistrats semblent indirectement responsables. Dans la nuit du 9 au 10 septembre, Olivier Quenault a croisé le chemin d’une bande de voyous. Son corps nu et sans vie a été retrouvé au petit matin, dans les jardins de l’Hôtel de Ville de Rouen. Le visage mutilé, il aurait, selon le rapport médico-légal, été battu à mort –rampant pour tenter d’échapper à ses meurtriers. Un premier mineur de 17 ans et de nationalité ivoirienne a été interpellé dès le lendemain, puis deux complices supposés de 15 et 17 ans le surlendemain, disposant, eux, de papiers français. Leur mobile reste flou, comme si leur barbarie était insondable.
Depuis l’été, une bande se faisait déjà remarquer, semant la terreur dans les rues de la ville. Dans les commissariats de Rouen, elle est maintenant qualifiée d'«Orange mécanique». Le soir de la Fête de la musique, au moins l’un des suspects avait participé à l’agression d’un couple. L’homme avait eu le nez fracturé et sa compagne les doigts retournés, mais elle avait heureusement hurlé, attirant l’attention et faisant fuir les agresseurs. Pourtant, bien que la Police ait relevé d’autres violences commises avec un mode opératoire identique, le parquet avait alors ordonné un classement sans suite de l’affaire. Les petites frappes étaient reparties en liberté, les mains dans les poches… jusqu’au meurtre d’Olivier Quenault.
Pouvait-on éviter le massacre?
Mais pourquoi une telle imprudence des magistrats? L’avocat pénaliste Laurent-Franck Liénard, qui défend de nombreux policiers, n’est guère surpris par un tel «fait divers». Entre deux plaidoiries, il nous explique l’attitude du parquet, qui décide de l’opportunité des poursuites et éventuellement le classement sans suite: «le parquet décide qui doit être poursuivi et qui ne doit pas l’être, au sens d’une certaine politique pénale. Et le problème c’est que vous avez là le mot politique…» Et d’asséner:
«La justice en France, c’est une grande loterie. La réponse pénale est à géométrie variable, en fonction de certains parquets, du prisme idéologique de certaines juridictions: on est dans l’aléa le plus total. Il n’y a pas de visibilité de la sanction encourue réellement: pour la même infraction, vous pouvez avoir un traitement pénal extrêmement dur dans certains parquets et extrêmement laxiste dans d’autres.»
Mais Liénard ne tourne pas autour du pot: pour lui, le laxisme domine à l’heure actuelle: «la réponse pénale est complètement inadaptée, nous sommes dans l’impunité du délinquant». Un délinquant peut ainsi accumuler plus d’une dizaine de mentions au casier judiciaire «avant d’avoir une peine qui lui fasse vraiment mal». En définitive, les premières confrontations avec l’institution judiciaire «ne servent à rien», puisqu’elles «ne servent même pas d’avertissement». Pire, les peines se révèlent plus contre-productives que dissuasives:
«D’abord, une peine avec sursis, puis un sursis avec mise à l’épreuve, puis quand la mise à l’épreuve n’est pas respectée, on lui met un bracelet électronique. Quand il va au braquage avec un bracelet, bon là, on le met en détention. Mais il continue le trafic avec un portable qu’il n’a pas le droit d’avoir, en menaçant les matons pour avoir la paix.»
Et la prison? «C’est la fête», ironise Laurent-Franck Liénard.
Des policiers croulant sous la paperasse
À la fracture entre magistrature et police judiciaire, s’ajoute de surcroît la crainte de la hiérarchie ou de l’Inspection Générale de la Police Nationale (L’IGPN, la «police des polices»). «De nombreux policiers sont mis en examen et interdits d’exercice des fonctions sur la base de suppositions.»
Ainsi, le 13 septembre dernier, un policier s’est bagarré avec un médiateur à Sevran, une scène qui a fait l’objet de vidéos virales. Sur cette base, le préfet de police de Paris a demandé la suspension du fonctionnaire et saisi l’IGPN. Eric Morvan, directeur général de la police nationale, refusera toutefois cette suspension.
Les magistrats aussi sont réputés d’une extrême dureté avec les membres des forces de l’ordre: «les magistrats m’opposent souvent une “vision du dossier” divergente», nous indique Laurent-Franck Liénard. Un euphémisme qui décrit la difficulté à saisir le quotidien des policiers et en conséquence leur manque récurrent d’empathie: «le juge décide de broyer le policier a priori, avant qu’il ne soit jugé», accuse l’avocat.
Un quotidien qui est avant tout laborieux: «le travail de Police judiciaire est de plus en plus complexe», souligne Liénard: «ils ont l’impression que c’est le tonneau des danaïdes, ils ne travaillent pour rien toute la journée!» Et l’avocat de décrire:
«Ils peuvent traiter quatre fois le même délinquant dans la journée. S’il a 14 ans, il va venir, on va le relâcher, il va venir, on va le relâcher, il va venir, on va le relâcher, il va venir, on va le relâcher… et ça, c’est la journée!»
Face à eux, les délinquants se gaussent: «Quand on attrape un Roumain en France, il déclare “moi je viens en France parce qu’en France il n’y a pas de prison!”». Une réputation surréaliste:
«C’est connu dans tous les pays qui nous entourent, que la France est le pays de l’impunité!»