Le 31 août dernier, l’Ordre des avocats au barreau du Cameroun annonçait dans un communiqué la «suspension du port de la robe et la non-fréquentation des cours et tribunaux sur toute l’étendue du territoire pendant cinq jours».
Ce débrayage de l’une des professions les plus en vues au Cameroun est prévu du 16 au 20 septembre 2019. S’il a lieu, il inclura le boycott des tribunaux pour dénoncer les maux qui minent la justice camerounaise et le viol délibéré des droits de la défense.
Dans un entretien exclusif accordé à Sputnik, Me Christian Daniel Bissou, président de la Commission des droits de l'homme au barreau du Cameroun, revient sur les entraves à l’exercice de la profession. L’une des principales doléances du barreau du Cameroun est, en effet, que «très souvent, le libre accès des avocats à leurs clients dans les lieux de détention (Secrétariat d’État à la Défense, commissariats de police, brigades de gendarmerie et prisons) leur est refusé». Le 4 septembre dernier, ils ont déposé auprès des autorités compétentes une longue liste de revendications pour faire changer les choses.
Sputnik: Pourquoi cette menace d’une grève des avocats du barreau du Cameroun, y compris le boycott des tribunaux? Quelles sont vos principales revendications?
Christian Daniel Bissou: En premier lieu, nous voulons que soit retirée l’autorisation qui a été donnée par l’administration à des groupes concurrents (notamment un groupe appelé l’Association des conseillers juridiques spécialisés), suivant une déclaration préfectorale du 3 mai 2019, d’exercer la profession d’avocat. La plupart de ces «conseillers» ont prêté serment afin de pouvoir pratiquer la profession en tant que conseils, mais en réalité, ils exercent comme avocats.
Par ailleurs, le bâtonnier et le Conseil de l’ordre ont identifié un certain nombre d’éléments qui tournent autour des gardes à vue judiciaires, mais qui se transforment le plus souvent en gardes à vue administratives. Par exemple, lorsque vous êtes arrêté par une unité de police ou de gendarmerie et que celle-ci dépasse les délais de garde à vue réglementaires, elle saisit alors le préfet et elle lui demande de vous mettre en garde à vue administrative dans le cadre de la lutte contre le grand banditisme. Or, nous ne trouvons pas cela normal dans la mesure où la loi dit que la durée de la garde à vue est de 72 heures, renouvelables une fois.
Il y a aussi le cas du maintien en détention des personnes qui ont été libérées par des juridictions de jugement mais qui demeurent incarcérées parce que le parquet, par exemple, n’a pas fait son travail.
Ou bien encore le refus de délivrer un certain nombre de décharges, tant au parquet que dans les différentes juridictions.
Sputnik: Parmi vos plaintes, vous évoquez aussi «l’exigence abusive des frais de justice». Est-ce problème récurent dans les tribunaux?
Christian Daniel Bissou: Oui c’est un problème majeur. L’exigence abusive des frais de justice, c’est-à-dire le fait que les magistrats ne respectent plus la réglementation qui est liée aux frais de justice, n’est pas acceptable pour nous.
Par exemple, lorsque vous avez un transport judiciaire, chaque juge devant chaque juridiction en taxe les frais à sa guise. Ces frais de transports judiciaires ne reviennent pas dans les dépens des décisions pour pouvoir être récupérés.
Enfin, nous nous insurgeons contre les interpellations et les détentions arbitraires subies par les prisonniers dans les unités de police et de gendarmerie, accompagnées d’un certain nombre de violences exercées par les éléments de la force de l’ordre sur les avocats dans l’exercice de leurs professions.
Sputnik: Les avocats du barreau du Cameroun passent leur temps à dénoncer des cas de violation des droits de l’homme. Comment en finir avec cet état de choses?
Christian Daniel Bissou: Il nous faut trouver une solution définitive et durable pour que la paix revienne dans ce pays. Ce n’est qu’à cette condition que nous pourrons créer un environnement favorable à l’évaluation et à la mise sur pied des droits de l’homme.
Pourquoi pensez-vous que les mesures prises jusqu’à présent par le gouvernement n’ont pas trouvé d’écho favorable? Tant que la stabilité du contexte social n’est pas rétablie, il n’y aura pas de paix possible.
C’est donc à nous, les défenseurs des droits de l’homme, de nous battre pour que la quête de la paix soit le facteur transversal permettant de créer un environnement favorable à la réalisation de ces droits.
C’est en trouvant une solution aux multiples crises que traverse le pays que nous serons en mesure de véritablement respecter les différentes valeurs de démocratie, de développement économique et socioculturel, de protection des femmes, des enfants, des personnes détenues... qui sont le signe d’une véritable démocratie.
Sputnik: Les avocats de l’ordre ont été reçus le 4 septembre dernier par le ministre délégué auprès du ministre de la Justice, garde des Sceaux, afin de négocier une levée du mot d’ordre de grève. Qu’est ce qui a été décidé?
Christian Daniel Bissou: Le gouvernement a demandé aux procureurs généraux de prendre des mesures pour faciliter l’exercice de la profession d’avocat. Depuis cette rencontre du 4 septembre, un certain nombre de recommandations ont été faites demandant, notamment, aux procureurs généraux de respecter les dispositions qui sont prises et articulées dans le Code de procédure pénale actuellement en vigueur.
À côté de ces mesures dites urgentes, il y a la création d’un secrétariat permanent conjoint entre le barreau du Cameroun et les différents corps intervenant dans la chaîne de la justice pénale. Le ministre a pris des engagements qui sont en train d’être mis en œuvre pour éviter toute entrave à l’exercice professionnel.
Nous avons depuis quelque temps un nouveau Code de procédure pénale. Il serait bon que tout le monde s’adapte à ce texte. Le barreau du Cameroun n’exige rien d’extraordinaire! Seulement l’application des textes de loi qui existent et qui demandent que les avocats ne soient plus humiliés par les unités de police ou par la gendarmerie, qu’ils aient accès à tous les lieux et à tous les centres de détention, et que les droits de la défense, qui sont consacrés par les lois et les traités internationaux, soient mieux respectés.
Sputnik: Quelle suite allez-vous donner au mot d’ordre de grève?
Christian Daniel Bissou: Le bâtonnier et le Conseil de l’ordre ont prévu que cette grève se déroulerait à partir du 16 septembre 2019, justement pour épuiser toutes les voies de négociation. Nous nous donnons ainsi le temps de voir si les conditions sont réunies pour que la grève n’ait pas lieu. Si le Conseil de l’ordre estime que les attentes des avocats ont été comblées, alors il se fera un devoir de lever le mot d’ordre de grève.
Mais soyons clairs: quels que soient les actes qui seront posés par le ministre de la Justice, par le secrétaire d’État à la gendarmerie, par le délégué général à la Sureté nationale et par toutes les personnes qui interviennent dans la chaîne de la justice pénale, il faudra que le dialogue, le consensus et surtout le compromis qui sortira de ce consensus-là puissent vraiment être appliqués pour que nous renoncions à notre mot d’ordre de grève.
Sputnik: Quelles sont vos attentes vis-à-vis du gouvernement?
Christian Daniel Bissou: Notre principale attente, c’est qu’il comprenne une fois pour toutes que l’avocat camerounais doit cesser d’être humilié. Le gouvernement camerounais doit comprendre que la défense fait partie du service public de la justice et qu’elle est, de surcroît, un point focal, un point central de la procédure de justice.
Ce que les avocats camerounais veulent aujourd’hui faire comprendre à ceux qui nous gouvernent, c’est que les hommes en robe dans ce pays – comme dans tous les pays du monde –sont ceux qui participent, en amont comme en aval, au fonctionnement de la justice.
Comme il y en a qui doivent juger, il y en a d’autres qui doivent défendre. Car il ne peut pas y avoir de démocratie sans justice, il ne peut pas y avoir de justice sans défense et il ne peut pas y avoir de défense sans avocat. Le Cameroun ici, ne fait pas exception.