Une apparition inespérée, pour ne pas dire miraculeuse. Le même témoignage revenait, au détail près, dans la bouche des quelques centaines de personnes présentes, toutes touchées par la grâce. À l’intérieur du Palais des Congrès, situé en plein cœur du centre-ville de Tunis, les tribuns se succédaient mercredi 28 août, micro à la main, annonçant la Bonne Nouvelle: la naissance du parti Al Watan Al-Jadid (la Patrie nouvelle).
Le dernier prêche ayant été donné, les projecteurs s’éteignirent et sous un tonnerre d’applaudissements, des ténèbres surgit la lumière: l’hologramme aux reflets bleuâtres d’un petit personnage auréolé. Quoique son costume gris fût dépourvu de cravate, son aspect était suffisamment contemporain pour écarter d’emblée la piste Saint-Pierre, et même toute vision mariale. L’hypothèse d’une angélophanie se trouvait exclue, à plus forte raison.
«Slim Riahi n’est pas en état de fuite, puisqu’il n’a jamais refusé de se présenter devant le juge d’instruction après une convocation. Il se trouve que, par un concours de circonstances, il était à l’étranger [depuis novembre 2018, ndlr] au moment où le mandat d’arrêt a été émis à son encontre », explique l’avocat Taïeb Bessadok.
La décision prise le 17 avril 2019 est liée aux «suspicions de malversations» visant l’homme politique et d’affaires tunisien. «Un dossier inconsistant», clame son conseil, qui est «certain» que l’appel qu’il avait interjeté serait accepté, et que son client pourrait regagner la Tunisie avant le 2 septembre, date d’ouverture de la campagne électorale.
Mouillera-t-il sa chemise (et son costume gris) sur le terrain? Ou restera-t-il en France pour mener une télé-campagne électorale? Dans tous les cas, Slim Riahi, qui n’a jamais figuré parmi les grands favoris du scrutin du 15 septembre, ne réalisera probablement pas d’exploit.
Surfer sur l’affaire Karoui?
Ayant fait fortune en Libye grâce, dit-on, à sa proximité avec le pouvoir de Kadhafi, Slim Riahi fit littéralement irruption dans le paysage politique et médiatique tunisien dans le courant de l’année 2011, peu après la chute de Tripoli.
Slim Riahi (ou plutôt son hologramme) a une autre interprétation, plus politique, puisqu’il n’hésitera pas à se qualifier le 28 août de «premier militant [exilé] après la révolution». Son départ à l’étranger, en novembre 2018, avait effectivement coïncidé avec une plainte qu’il avait déposée contre le chef du gouvernement, Youssef Chahed, pour fomentation de coup d’État. Une plainte classée sans suite en décembre 2018 par la justice militaire tunisienne.
Les deux affaires ont effectivement ceci en commun qu’elles illustrent cette interférence fâcheuse «entre temps électoral et temps judiciaire», selon une formule popularisée en Tunisie par l’islamo-conservateur Rached Ghannouchi, et reprise depuis en boucle par les journalistes et observateurs politiques.
Le président du parti Ennahda avait été l’un des premiers à commenter l’arrestation «inquiétante» de Nabil Karoui, trois semaines avant un scrutin présidentiel dont il est un des grands favoris. Le publicitaire, patron de la chaîne de télévision Nessma, dont il a fait un outil de propagande politique, était poursuivi depuis 2016 pour «évasion fiscale» et «blanchiment d’argent», suite à une plainte déposée contre lui par l’ONG I Watch, affiliée à Transparency International.
De nombreux autres candidats ont fait part de leur «inquiétude» quant à «la dégradation du climat politique», insinuant que le chef du gouvernement Youssef Chahed, également candidat à la présidentielle, ne serait pas totalement étranger à l’arrestation de ce rival qui le dépassait dans les sondages.