RCA: six mois après l’accord de paix de Khartoum, de fragiles avancées

Le 6 février 2019, les protagonistes de la crise qui secoue la République centrafricaine depuis 2013 ont signé un accord pour le retour à une vie normale dans le pays. Six mois après, il peine toujours à être appliqué sur le terrain. Le gouvernement et 14 groupes armés signataires ont fait le point à Bangui. Décryptage avec l’analyste Éric Yombi.
Sputnik

Violences, routes barricadées, taxes illégales, non-levée des barrières… Les violations du 8e accord de paix sont encore nombreuses en République centrafricaine (RCA). Six mois après sa signature, de nombreux observateurs de la crise centrafricaine dressent encore ce triste constat, à l’instar d’Éric Yombi, journaliste spécialiste des relations internationales, auteur de Décrypter la CEMAC, (Éd. Du mérite, 2012) et de Décrypter les questions et les relations internationales, (Éd. Du mérite, 2014), interrogé par Sputnik. Il note néanmoins quelques avancées.

«L’aspect positif de ce bilan concerne le fait qu’il existe un gouvernement inclusif qui a été mis en place et qui comprend évidemment les groupes armés. Cependant, en ce qui concerne les éléments négatifs, on note justement la violation de certains termes de cet accord de paix. Selon un document des Nations unies, on recense entre 50 et 70 violations de l’accord de paix par semaine. À titre d’illustration, le droit international humanitaire n’est pas toujours respecté. Aussi, il existe toujours des taxes illégales qui sont instaurées au détriment de la population», déplore Éric Yombi au micro de Sputnik.

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C’est justement pour faire l’état des lieux de la mise en œuvre de l’Accord politique pour la paix et la réconciliation en République centrafricaine (APPR-RCA), six mois après sa signature par le gouvernement et 14 groupes armés, que toutes les parties se sont retrouvées, le vendredi 23 août 2019 à Bangui, autour du Premier ministre, Firmin Ngrebada. Convoquée à l’initiative du gouvernement centrafricain, la rencontre a permis aux participants d’évaluer les progrès accomplis, mais également d’appréhender les défis encore à relever. Le Premier ministre centrafricain a insisté sur la nécessité de mettre le citoyen au centre des préoccupations de chacun.

«Pour le bien de nos concitoyens, nous nous devons de converger nos efforts, afin que l'APPR-RCA ne soit pas un échec. Le monde entier nous regarde», a-t-il précisé au cours des travaux, comme indiqué dans ce tweet de la mission des Nations unies pour le maintien de la paix en Centrafrique (MINUSCA).

​Du côté des garants et facilitateurs, la question des violations de l’accord de paix est centrale. Nombre d’entre elles affectent les civils et les ONG: les taxations illégales et les restrictions de mouvement sont encore importantes. Mankeur Ndiaye, le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies en Centrafrique, se veut désormais plus ferme concernant ces violations:

«Cette réunion d’évaluation de ce 23 août est très importante, six mois après la signature de l’Accord de Khartoum du 6 février. Les groupes armés sont sommés de respecter leurs engagements, au risque de s’exposer à des sanctions prévues par l’article 35 de l’Accord», peut-on lire sur son compte Twitter.

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Cette sommation sera-t-elle efficace dans un pays encore contrôlé à 80% par des bandes armées qui agissent en toute impunité? Une chose est certaine, l’accord du 6 février peine à mettre un terme aux violences communautaires dans le pays. À titre d’exemple, le massacre de mai dans l’ouest de la RCA, qui a fait une cinquantaine de morts.

Éric Yombi estime qu’en dépit des violations répétées de l’accord de paix et de certaines mesures prévues dans l’accord restées lettre morte, comme le projet de désarmement, de démobilisation et de réinsertion (DDR) qui traîne à être mis en place, il faut miser sur le désir des populations d’accéder à une paix durable.

«On peut dire que les différents acteurs– y compris le gouvernement– sont animés par le désir de réussite. Et ce désir de réussite se comprend évidemment à l’aune d’une soif collective de paix et de sécurité que l’on doit aux Centrafricains. De ce point de vue, je pense que nous ne pouvons pas craindre particulièrement l’échec de cet accord. Il est tout simplement important qu’il y ait un certain nombre de recadrages. Et ces recadrages sont déjà en train de se faire à travers les différentes réactions énergiques du représentant des Nations unies en Centrafrique, de même que celles du représentant de l’Union européenne dans ce pays», souligne l’analyste au micro de Sputnik.

Même si les nombreuses violations de l’accord renforcent les craintes d’un énième échec dans le processus de pacification de la RCA, le journaliste spécialisé en relations internationales se montre optimiste, à certaines conditions:  

«Il faut prendre des mesures qui vont créer des conditions favorables à la consolidation de cet accord. De ce point de vue, les différents signataires devront tout simplement respecter les engagements auxquels ils ont souscrit à Khartoum en février dernier. Et s’ils doivent souscrire à ces éléments, ça veut dire qu’ils doivent rejeter avec la dernière énergie le recours à la violence qui engendre quelquefois la violation du droit international humanitaire. Ils devraient également mettre en place des mesures pour que les populations ne soient plus abusivement taxées», suggère Éric Yombi au micro de Sputnik.

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L’accord de paix de Khartoum, signé le 6 février dernier, est le huitième depuis 2013. Alors que sa mise en place est en cours, il ne se passe pas un jour sans qu’il soit transgressé par les signataires. L’émissaire de l’Onu pour la RCA, Mankeur Ndiaye, constatait fin juin au Conseil de sécurité que «chaque semaine, 50 à 70 violations de l’accord de paix, commises principalement contre les populations civiles par les groupes armés, sont rapportées».

Cet accord de paix, soutenu par tous les partenaires de Bangui, et qui se prépare depuis 2017 par l'Union africaine, aura-t-il enfin plus de chances de réussite? Il y a lieu de s’interroger, car aucun des précédents accords n’a porté de fruits, pas plus que la présence de la MINUSCA et de ses 11.000 casques bleus déployés en 2014.

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