Comment la Russie pourrait-elle répondre aux Tomahawk sol-sol des Américains?

Le Pentagone a testé avec succès le missile de croisière Tomahawk à partir d'un vecteur terrestre, ce qui était interdit jusqu'à présent par le traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI).
Sputnik

Il se pourrait que les États-Unis décident de déployer des Tomahawk au sol en Asie et en Europe, ce qui déclencherait une nouvelle course aux armements, écrit le quotidien Vzgliad. Quel est le degré de risque et comment la Russie pourrait y faire face?

Les militaires américains ont annoncé que les essais d'un missile sol-sol non nucléaire avaient permis d'éliminer une cible «après plus de 500 km de vol», ce qui transgresse les conditions du traité FNI abandonné début août par les USA. Le porte-parole officiel du Pentagone, le lieutenant-colonel Robert Carver, a déclaré qu'il s'agissait d'essais d'une «version du missile de croisière Tomahawk».

Le fût de lancement pour le missile existait sur le polygone depuis 2015: les États-Unis avaient donc commencé à transgresser les termes du traité bien avant d'en accuser la Russie.

Le traité FNI engageait ses signataires à ne pas fabriquer, tester et déployer des missiles balistiques et de croisière sol-sol de courte (500-1000 km) et de moyenne (1000-5500) portées.

Les essais de la nouvelle version du Tomahawk aux États-Unis ont suscité une forte critique de la Russie. Le vice-ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Riabkov a noté que «la Russie ne [permettrait] pas aux États-Unis de l'entraîner dans une course aux armements». Et d'ajouter que Moscou resterait attaché au moratoire sur le déploiement de missiles de moyenne portée «tant que de tels systèmes ne seront pas déployés par les États-Unis où que ce soit dans le monde».

«Nous prenons ces faits calmement, sans émotions. Nous supposions que les événements évolueraient précisément dans ce sens. Nous ne nous laisserons pas entraîner dans une course aux armements coûteuse», a déclaré Sergueï Riabkov.

Le vice-ministre a également souligné que l'essai du missile indiquait que Washington élaborait depuis longtemps de tels systèmes. «Il ne pourrait y avoir de confirmation plus claire et flagrante que les États-Unis développaient de tels systèmes depuis longtemps, et que la préparation à la sortie du traité incluait notamment des travaux de recherche et développement dans ce domaine», a indiqué le diplomate russe.

Fin du Traité FNI: le Pentagone dévoile les enjeux de son nouveau missile
Plus tôt, le vice-président de la commission de la Défense de la Douma (chambre basse du parlement russe) Alexandre Cherine avait supposé que cela avait été fait précisément pour tester les missiles interdits par le FNI. Et le président de la commission des affaires internationales du Conseil de la Fédération (chambre haute du parlement russe), Konstantin Kossatchev, avait déclaré que la Russie serait contrainte de réagir au déploiement de missiles de croisière américains testés en Asie ou en Europe, car de tels missiles représenteraient une «menace militaire directe» pour la Russie.

D'après Pavel Palajtchenko, qui a participé aux négociations sur la réduction des armes conventionnelles à Vienne et aux négociations sur la réduction des missiles à portée intermédiaire à Genève (1980-1983), les Américains ne tenaient pas au secret l'élaboration de la nouvelle version sol-sol du missile.

«Cela n'a rien d'une surprise. Mais cela signifie la poursuite de l'effondrement du système de restriction et l'éventualité d'une nouvelle course aux armements. Washington crée une situation dangereuse par ce que les choses évoluent vers le déploiement de tels missiles en Europe et en Asie», a déclaré Pavel Palajtchenko au journal Vzgliad. Et d'ajouter que les États-Unis avaient préparé ce missile pour les essais «sans le cacher».

«Après les accusations de la Russie de violation du FNI, le Pentagone a reçu des fonds pour créer et tester des missiles sol-sol d'une portée supérieure à 500 km, c'est-à-dire interdite par le traité», explique l'expert.

Et d'ajouter que la probabilité que ces missiles puissent faire leur apparition en Europe restait floue.

«Cependant, leur déploiement ne prendrait pas longtemps. Leur principe est justement la mobilité des vecteurs et du risque de déstabilisation stratégique. C'est pourquoi, en l'occurrence, tout dépend de la décision politique», estime Pavel Palajtchenko.

Poutine: les États-Unis se sont retirés du Traité FNI pour tester un nouveau missile
Alexandre Bartoch, membre de l'Académie des sciences militaires, note également que les Américains transgressent depuis longtemps le traité FNI en planifiant un déploiement terrestre du Tomahawk.

«En agissant ainsi, ils ont été les premiers à enfreindre le traité. Le lancement réussi de ce missile quelques semaines après le retrait des Américains du FNI montre qu'ils menaient une double politique mensongère», ajoute l'expert.

Tout en indiquant qu'il s'agit d'une nouvelle tromperie des USA: «Ils affirmaient d'abord qu'il avait parcouru moins de 500 km, mais on en doutait fortement. J'estime qu'ils l'ont développé en tant que missile-cible en utilisant les élaborations créées pour d'autres missiles en matière d'interception par l'ABM», a supposé l'interlocuteur.

Les Tomahawk sol-sol représenteront une menace significative pour la sécurité nationale russe.

«Ils pourraient déployer des missiles en Europe et en Asie - au Japon, en Corée du Sud, d'où, avec une portée de 5.000 km, ils pourraient couvrir l'espace de la Russie jusqu'à Novossibirsk. Et dans ce cas, nos bases et missiles seraient en ligne de mire», a déclaré l'expert.

D'après lui, les Américains travailleront d'abord à augmenter la portée et de la précision des missiles, et ils les prépareront pour un déploiement sur tout le périmètre de l'Asie du Sud-Est. «On n'en parle pas encore en Europe parce qu'elle a déjà proposé d'imposer un moratoire sur le déploiement de missiles. Mais si les Américains le faisaient, nous répondrions», déclare-t-il. Et d'ajouter que Moscou «dispose de tous les moyens nécessaires pour se protéger contre de tels missiles».

 «La Russie peut s'en prémunir avec des chasseurs-intercepteurs et des systèmes terrestres de défense antimissile. Nous disposons de systèmes de défense et nous aurons du temps pour la réaction de l'ABM en cas de nécessité», conclut Alexandre Bartoch.

L’accord qui fera suite au FNI doit inclure la France et le Royaume-Uni, selon Moscou
De son côté, Dmitri Drozdenko, observateur du magazine Arsenal Otetchestva, indique que la nouvelle version du missile ne représentera un risque pour la Russie que si elle se trouve à une distance de lancement inadmissible par rapport au territoire russe.

«Quel était le danger de tels missiles et pourquoi le FNI a-t-il été signé? Le temps d'approche d'un tel missile est très réduit étant donné qu'il navigue sous couvert du relief. Ce n'est pas l'impossibilité de détruire de tels missiles qui est dangereuse, mais la possibilité d'une riposte. Il est très difficile de faire la différence entre un tir de ces missiles et des oiseaux, ou un bug informatique. Dans ce cas un certain objet pourrait être pris pour un missile, ce qui serait suivi d'une riposte erronée», résume l'expert.

«Pour les gros missiles balistiques, il existe des systèmes d'avertissement spatiaux et terrestres qui laissent du temps pour identifier la cible, traiter les données et les rapporter aux commandement pour prendre une décision. Alors qu'avec de tels missiles il y a très peu de temps pour prendre une décision, ce qui augmente le risque de déclenchement d'une guerre réciproquement destructrice», constate l'expert.

«Évidemment, si les États-Unis déployaient de tels missiles à proximité dangereuse de nos frontières, la Russie ferait de même. C'est la raison pour laquelle le chef des armées a donné l'ordre de développer une version terrestre du Kalibr. Certaines de ses caractéristiques techniques dépassent même celles du Tomahawk. De plus, le missile Iskander sera modernisé prochainement à ces fins», note Dmitri Drozdenko.

«De notre côté, ce sera une réponse efficace. Nous revenons à l'époque qui avait précédé le FNI. Vladimir Poutine a dit que la Russie ne déploierait pas de missiles en Europe si les États-Unis ne le faisaient pas. Autrement dit, le président de notre pays a laissé les Européens décider. A une époque, c'est l'Europe, avec l'Allemagne et la France, qui ne voulait pas se retrouver sous les frappes américaines. A présent la balle est dans leur camp», conclut Dmitri Drozdenko.

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur de l'article repris d'un média russe et traduit dans son intégralité en français.

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