Rencontre Gbagbo-Bédié, vers une alliance contre Ouattara pour la présidentielle de 2020?

Le 29 juillet, à Bruxelles, Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo ont échangé «pour le retour d’une paix définitive et durable» en Côte d’Ivoire. Une rencontre entre les deux anciens Présidents ivoiriens qui laisse présager, selon certains observateurs, une alliance contre Alassane Ouattara à la présidentielle de 2020. Décryptage.
Sputnik

Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo ne s’étaient plus rencontrés depuis le… 10 mai 2010! On comprend mieux dans ces conditions l’émoi qu’ont suscité leurs retrouvailles, lundi 29 juillet, à Bruxelles, à la résidence qu’occupe Laurent Gbagbo depuis sa mise en liberté conditionnelle par la Cour Pénale internationale (CPI). Déjà, à l’époque, leurs échanges avaient porté sur le processus électoral en Côte d’Ivoire et la présidentielle à venir. Entre temps, il y a eu la crise postélectorale de 2010-2011 qui a fait plus de 3.000 morts.

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Depuis la fin de la crise postélectorale, le Front Populaire Ivoirien (FPI) fondé par Laurent Gbagbo (74 ans, Président de la Côte d’Ivoire entre 2000 et 2011) et le Parti Démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) présidé par Henri Konan Bédié (85 ans, 1993-1999) étaient en froid.

Au second tour de la présidentielle de 2010, Henri Konan Bédié avait appelé ses militants à voter Alassane Ouattara, en lice contre Laurent Gbagbo. Il avait par la suite lancé un appel similaire à la présidentielle de 2015, dans l’ensemble boycotté par le FPI.

Mais, depuis quelques mois, les deux partis se sont beaucoup rapprochés. En mai, de retour de Bruxelles où il avait rencontré Laurent Gbagbo et préparé la venue de son président, Maurice Kakou Guikahué, le numéro 2 du PDCI, s’était réjoui d’annoncer la «fin des palabres» avec le FPI.

La rencontre entre Bédié et Gbagbo, deux des trois poids lourds de la scène politique ivoirienne, a d’ailleurs aussitôt été saluée par une partie de la classe politique dans la mesure où elle pourrait constituer un pas non négligeable vers la réconciliation nationale tant souhaitée par les Ivoiriens.

​Me Habiba Touré, avocate de Laurent Gbagbo, a pour sa part préféré nier en bloc: «L’alliance entre le FPI et le PDCI en vue de remporter la présidentielle de 2020 contre Alassane Ouattara ou le candidat qu’il aura désigné “n’a absolument pas été abordée” lors de cette rencontre», a-t-elle clamé.

Pourtant, pour nombre d’observateurs, ces échanges dans la capitale belge entre les deux ex-Présidents ivoiriens constituent «un acte fort pour la mise en place d’une alliance inéluctable.» Interrogé par Sputnik, l’analyste politique Innocent Gnelbin reste prudent, estimant que «ce serait trop vite aller en besogne de voir dans cette rencontre l’officialisation d’une alliance PDCI-PFI pour 2020».

«Une alliance entre les deux partis n’est pas aussi évidente que certains semblent le penser. En l’état actuel des choses, on n’en est pas encore là, car il y a tellement de réalités et situations qu’il faudra dépasser avant, notamment la clarification de la situation du Président Laurent Gbagbo à la CPI et les différentes embûches inhérentes au passif entre ces deux grandes formations politiques. Ce rapprochement est peut-être voulu par les partisans des uns et des autres, mais en tant qu’acteurs politiques de haut niveau, Bédié et Gbagbo sont conscients qu’on n’en arrive pas à une alliance d’un coup, mais par petits jets, exactement comme ce qui vient de se produire», déclare au micro de Sputnik Innocent Gnelbin.

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Dans le communiqué commun publié à l’issue de leur entretien, Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo ont, entre autres, «déploré les atteintes portées aux acquis démocratiques et à l’état de droit en Côte d’Ivoire» et appelé le gouvernement ivoirien à «procéder à une réforme profonde de la Commission Électorale Indépendante (CEI)».

Sur ce recul démocratique tel que souligné par les deux anciens chefs d’État, Innocent Gnelbin estime quant à lui que la responsabilité est partagée entre le pouvoir et l’opposition.

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«En effet, depuis 2011, il y a quelques regrets à avoir au niveau démocratique, mais il y a surtout une responsabilité partagée. Le pouvoir a une responsabilité dans ce recul, l’opposition aussi. Le régime en place veut rester au pouvoir. Il y a l’opposition qui veut acquérir le pouvoir, mais qui ne s’en donne pas les moyens en termes d’adhésion des populations autour de son projet», a déclaré l’analyste politique.

Dans l’après-midi du mardi 30 juillet, l’Assemblée nationale ivoirienne a adopté la loi controversée portant recomposition de la Commission Électorale Indépendante (CEI). Une loi que les députés de l’opposition ont tous votée contre.

Or, lors de la présidentielle de 2010, la CEI, la structure chargée d’organiser les élections, avait été au cœur des contestations. Aussi, de nombreux Ivoiriens craignent maintenant que le scénario ne se répète et que le pays connaisse à nouveau des heures sombres.

«Tout ne va pas forcément bien actuellement en Côte d’Ivoire, la CEI n’est d’ailleurs pas consensuelle, mais je ne pense pas qu’il puisse y avoir une crise comme celle de 2010-2011. Le contexte économique, politique et géostratégique, en l’état actuel des choses, ne le permet pas. Je pense que les acteurs politiques l’ont d’ailleurs si bien compris qu’ils savent qu’il n’y a que des alliances électorales qui peuvent leur permettre d’accéder au pouvoir», soutient l’analyste politique Innocent Gnelbin. 

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Pour le politologue et chercheur en sciences politiques, Diensia Oris-Armel Bonhoulou, la vie politique ivoirienne est dominée depuis 1990 par les ténors de l’après Félix Houphouët-Boigny, à savoir Henri Konan Bédié, Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara.

«Ces trois hommes politiques ont occupé une position privilégiée entre 1990 et 1993, les dernières années de la présidence de Félix Houphouët-Boigny (père de la nation ivoirienne). Henri Konan Bédié fut, dans cet intervalle de temps, président de l’Assemblée nationale; Alassane Ouattara fut Premier ministre; et Laurent Gbagbo fut à compter des années 1990, le leader de l’opposition après avoir obtenu 18 % des suffrages exprimés avant d’accéder à la magistrature suprême», a déclaré Diensia Oris-Armel Bonhoulou au micro de Sputnik.

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En 2020, cela fera donc 30 ans que la vie politique ivoirienne est dominée par trois personnalités qui selon le politologue ivoirien, «par manipulation constitutionnelle et jeux d’alliances, s’affrontent pour la conquête et la conservation du pouvoir».

«Alors qu’on croyait définitif le rapprochement entre Bédié et Ouattara, entamé depuis 2005, nous assistons à un an de la présidentielle de 2020 à un nouveau rapprochement entre Gbagbo et Bédié. Cela aura nécessairement des répercussions sur la vie politique», poursuit le politologue.

La première conséquence à craindre est, selon lui, la résurgence du problème identitaire. Pour rappel, la dernière alliance entre le PDCI et le FPI date de 2000, en pleine transition militaire, avec la création du Front Patriotique.

«Cette coalition éphémère s’était fixée comme objectif, la lutte contre la fraude sur la nationalité, et réclamait une révision en profondeur de la liste électorale afin d’exclure les étrangers du droit de vote. Lorsqu’on sait que depuis 2014 la réintroduction de la nationalité par la déclaration a permis à une certaine catégorie d’étrangers d’accéder légalement à la nationalité ivoirienne, l’on peut craindre, à l’avenir, des confusions pouvant déboucher sur des heurts, voire des conflits», s’inquiète Diensia Oris-Armel Bonhoulou.

La deuxième conséquence pourrait porter sur la volonté de ces trois personnalités se présenter à la présidentielle de 2020, dix ans après une crise postélectorale sanglante pour laquelle l’ancien Président Laurent Gbagbo a été jugé par la CPI, avant d’être acquitté le 16 janvier 2019 puis remis en liberté provisoire le 1er février dernier, en attendant un éventuel appel pour savoir s’il y aura un nouveau procès ou pas.

«L’article 55 de la Constitution de novembre 2016, permets aux deux anciens Présidents et à l’actuel de se lancer, s’ils le souhaitent, dans la compétition électorale de 2020», rappelle le politologue.

En Côte d’Ivoire, les avis sont partagés quant à une éventuelle candidature à la présidentielle de 2020 des trois grands de la politique ivoirienne. Certains aspirent à revoir leurs leaders, Gbagbo ou Bédié, de nouveau au pouvoir. D’autres souhaitent l’avènement d’une nouvelle génération de leaders politiques pour diriger la Côte d’Ivoire. C’est le cas notamment de la star du reggae Tiken Jah Fakoly qui, en mai 2019, a appelé les trois poids lourds de la politique ivoirienne à renoncer à se présenter.

«Le principal enjeu des élections de 2020 est le retour de la paix. La fin de la crise ivoirienne doit non seulement passer par le renouvellement de la classe dirigeante, mais aussi par la première passation de pouvoir pacifique d’un Président sortant à un Président élu depuis l'élection de Laurent Gbagbo», estime pour sa part le politologue Diensia Oris-Armel Bonhoulou.

 

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