«Nous validons le rapport (d’Amnesty international) qui porte sur les tortures dans les centres de détention au Cameroun et sommes solidaires tant sur la forme que sur le fond. Ce qu’Amnesty dit n’est pas nouveau. Les organisations de la société civile camerounaise l'ont toujours déploré. D'ailleurs, les actes de tortures ne se trouvent pas seulement au SED; les atrocités sont également commises à la Direction générale de la recherche extérieure (DGRE, service de renseignement camerounais Ndlr)», s'insurge au micro de Sputnik Maximilienne Ngo Mbe, responsable du Réseau des défenseurs des droits humains en Afrique Centrale (REDHAC).
Pour la militante des droits de l’homme de Douala, devenue au fil des ans la «bête noire» du régime de Paul Biya, la prise de conscience des «atrocités» commises à l’encontre d’opposants camerounais a enfin trouvé sa reconnaissance sur la scène internationale. Directement mis en cause dans un rapport d’Amnesty international rendu public vendredi 26 juillet, qui a été largement relayé par la presse internationale, le secrétariat d'État à la Défense (SED) au Cameroun est accusé d’avoir soumis à des mauvais traitements «59 membres de l'opposition, dont six femmes durant leurs interrogatoires».
«Les autorités camerounaises doivent diligenter une enquête indépendante sur les coups violents et les mauvais traitements auxquels 59 membres de l'opposition, dont six femmes, auraient été soumis durant leur interrogatoire au secrétariat d'État à la Défense (SED). Avant d'être relâchées, ces personnes ont été frappées à coups de bâton par les forces de sécurité et contraintes à se mettre dans des postures humiliantes», peut-on lire dans ce rapport.
Siège de la gendarmerie à Yaoundé, le SED est fréquemment pointé du doigt par les associations des droits de l’homme, qui affirment que la pratique de la torture y est monnaie courante. Des pratiques bien connues et décriées depuis longtemps par Maximilienne Ngo Mbe, même si, pour elle, c’est l’ensemble des services de surveillance de l’Etat camerounais qui sont devenus répressifs:
Les 59 membres de l'opposition ont été arrêtés le 1er juin 2019 dans la capitale, Yaoundé, lors d'une manifestation organisée par le parti de Maurice Kamto, qui continue de revendiquer sa victoire à la présidentielle du 7 octobre 2018. Conduits au SED pour y être interrogés: «ils ont été torturés et détenus arbitrairement par les forces de sécurité, qui leur ont ensuite fortement déconseillé de participer à une autre manifestation prévue une semaine plus tard». Des pratiques qui, pour Maximilienne Ngo Mbe, visent à museler l’opposition mais pas seulement:
«Les traitements inhumains et dégradants infligés aux personnes arrêtées pendant le contentieux postélectoral et dans la crise dite anglophone, démontrent bien que le gouvernement utilise la torture pour réduire l'opposition à néant, les journalistes et tous les défenseurs des droits humains», affirme la militante des droits de l’homme.
A ce sujet Marie-Évelyne Petrus Barry, directrice pour l'Afrique de l’Ouest et l'Afrique centrale à Amnesty international, exige la fin des actes de torture:
«Ces tactiques répressives et violentes destinées à réduire l'opposition au silence doivent cesser», a-t-elle déclaré
L’ONG demande également «la libération immédiate» du leader de l'opposition, Maurice Kamto et de plus d'une centaine d'autres sympathisants. Ceux-ci sont «détenus arbitrairement depuis six mois pour avoir participé pacifiquement à des manifestations», précise le communiqué.
Mutinerie dans les prisons
Dans le même temps, selon le Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC), plusieurs de ses militants détenus à la prison centrale de Yaoundé, ont été «brutalement enlevés pour une destination inconnue» après une mutinerie qui a éclaté le 22 juillet. Parmi eux, figure le vice-président du MRC, Mamadou Yacouba Mota.
«C'est avec une vive émotion, que les Camerounais ont appris, l'état de santé critique dans lequel se trouve Mamadou Mota, à cause de coups et blessures de ses tortionnaires. Le MRC exige la libération immédiate de son 1er Vice-président pour sa prise en charge médicale d'urgence», a annoncé le porte-parole du MRC, dans un tweet publié jeudi 25 juillet.
Lundi 22 juillet, une émeute avait été signalée dans la prison de Kondengui à Yaoundé, la capitale camerounaise. Des détenus identifiés comme des séparatistes, arrêtés dans le cadre de la crise anglophone et des membres de l’opposition, ont pris possession de la cour de la prison pour dénoncer la surpopulation, les lenteurs judiciaires et les conditions de détention. Les forces de sécurité ont par la suite pris d’assaut la prison, et tiré des coups de feu visant à empêcher les tentatives d’évasion. Réagissant à ce malheureux événement, René Emmanuel Sadi, porte-parole du gouvernement, a fait savoir dans un communiqué rendu public le 23 juillet que:
«Cent soixante-dix-sept détenus repérés parmi les meneurs ont été interpellés, et sont à l’heure actuelle, en détention dans les services de la police et de la gendarmerie. Il convient de relever également qu’aucune perte en vie humaine n’est à déplorer parmi les forces de maintien de l’ordre et les insurgés», peut-on lire dans ce communiqué du ministre de la communication du Cameroun.
Pour Maximilienne Ngo Mbe cette mutinerie démontre:
«L'incapacité du ministre de la justice à mettre en place des politiques concrètes pour humaniser les prisons. D'autre part, il n'a pas pu mettre en œuvre de façon efficace, le programme concernant la lutte contre la torture et l'indemnisation des victimes en passant par les sanctions administratives, civiles et pénales des agents coupables. C'est en toute impunité que ces agents infligent ces actes de tortures. Il faut également mettre en place des juridictions d'exception pour libérer les prévenus dont les dossiers sont vides», s’insurge-t-elle au micro de Sputnik.
Connue sous le nom de Kondengui, la prison centrale de Yaoundé connait une surpopulation carcérale croissante. Prévue pour 1.500 personnes, elle en accueille plus du double, selon des estimations des organisations des droits de l’homme. De nombreux militants de la cause anglophone arrêtés au moment de de la crise de 2016, y sont incarcérés. Certains ont été condamnés à de lourdes peines de prison, d’autres attendent d’être jugés pour être fixés sur leur sort. A ceux-ci s’ajoutent les militants et partisans de Maurice Kamto, arrêtés lors des marches de protestation contre le pouvoir de Yaoundé à travers le pays. Amnesty International décrie également les conditions inhumaines dans lesquelles vivent ces prisonniers et recommande:
«Les autorités doivent œuvrer à l’amélioration des conditions dans lesquelles sont entassés les prisonniers, libérer toutes les personnes incarcérées uniquement pour avoir exercé leur droit de manifester pacifiquement et veiller à ce que toutes les personnes détenues au-delà de la durée légale de détention provisoire soient immédiatement déférées devant un juge ou libérées», souligne Marie-Évelyne Petrus Barry, directrice pour l'Afrique de l’Ouest et l'Afrique centrale à Amnesty International.
Des émeutes ont également éclaté le mardi 23 juillet, à la prison de Buea, chef-lieu du Sud-Ouest du Cameroun, l’une des deux régions anglophones où armée et séparatistes s’affrontent depuis près de trois ans. Les prisonniers arrêtés dans le cadre de cette crise revendiquent aussi un meilleur traitement. Selon un bilan officiel, quarante-cinq personnes, dont 43 détenus, ont été blessées au cours de la mutinerie.