Depuis le 8 juillet, la Cour pénale internationale (CPI) entend les différentes parties dans l’affaire «la procureure [de la CPI, Fatou Bensouda] contre Al Hassan Ag Abdoul Aziz Ag Mohamed Ag Mahmoud», du nom d’un ancien chef islamiste poursuivi pour des crimes commis en 2012-2013 à Tombouctou, lorsque cette région du nord du Mali était, comme celles de Gao et Kidal, sous contrôle de groupes djihadistes et rebelles touaregs.
Cette audience dite «de confirmation des charges» se poursuit jusqu’au 17 juillet, avec des interventions de Fatou Bensouda, des représentants des victimes et de la défense, a précisé la CPI, qui siège à La Haye, aux Pays-Bas. De même source, «une audience de confirmation des charges n'est pas un procès. [Elle] sert aux juges à déterminer s'il y a des motifs substantiels de croire que le suspect a commis ces crimes.»
Bintou Founè Samaké Bouaré, à la tête d’un réseau d’ONG féminines maliennes, s’est félicitée de cette procédure dans un entretien avec Sputnik à Dakar, en marge d’une visite privée.
Cette juriste de formation, présidente du WILDAF-Mali (Women In Law and Development in Africa), un réseau de promotion et de protection des droits des femmes, a souligné la contribution d’ONG maliennes: elles ont fait «le monitoring des violences basées sur le genre, identifié les femmes victimes de ces violations, constitué des preuves petit à petit mais aussi monté des dossiers». Pour la procédure actuelle, elles ont «préparé» une vingtaine de victimes prêtes, selon elle, à confronter le suspect.
«Ce sont les organisations féminines maliennes qui ont mis en exergue les violences sexuelles qui se sont produites dans le nord du Mali, qui ont préparé les dossiers et ont pu porter ces dossiers devant les juridictions au niveau national comme au niveau international. Et aujourd’hui, nous avons un élément [accusé notamment de violences sexuelles] devant la CPI», a dit la juriste, également présidente du réseau des défenseurs des droits humains au Mali, faisant référence à Al Hassan Ag Abdoul Aziz Ag Mohamed Ag Mahmoud. «Et nous avons préparé 20 femmes victimes de violences sexuelles, qui sont des cas emblématiques, qui doivent participer comme victimes dans cette procédure devant la CPI», a-t-elle ajouté, ne dévoilant aucun détail.
Selon un document d’information de la CPI consulté par Sputnik, «les juges ont autorisé plus de 880 victimes à participer à la procédure», qui se déroule en leur absence physique de la salle d’audience, où trois avocats les représentent. Le suspect, lui, a deux avocats.
D’après la CPI, Al Hassan Ag Abdoul Aziz Ag Mohamed Ag Mahmoud, un Touareg, a été transféré le 31 mars 2018 à la CPI, qui le détient depuis lors, en vertu d’un mandat d’arrêt émis à son encontre le 27 mars 2018. Ce Touareg malien, qui aura 42 ans le 19 septembre 2019, est «suspecté de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité commis en 2012 et 2013 à Tombouctou».
Le suspect «aurait été membre d’Ansar Eddine [Ansar Dine, orthographe communément admise, ndlr] et aurait été commissaire de facto de la Police islamique. Il aurait également été associé au travail du Tribunal islamique à Tombouctou et aurait participé à l'exécution de ses décisions. M Al Hassan aurait pris part à la destruction des mausolées des saints musulmans à Tombouctou grâce à l'utilisation des hommes de la Police islamique sur le terrain. Il aurait aussi participé à la politique de mariages forcés dont des tombouctiennes ont été victimes, qui ont donné lieu à des viols répétés et à la réduction de femmes et de jeunes filles à l’état d'esclaves sexuelles» entre avril 2012 et janvier 2013, a expliqué la CPI.
C’est la deuxième fois qu’un Malien comparaît devant la CPI en lien avec «les crimes internationaux commis au Mali depuis la crise de 2012», après Ahmad Al Faqi Al Mahdi, mais «pour la première fois devant la CPI, la Cour examinera les persécutions basées sur le genre comme des crimes contre l’humanité», ont souligné la Fédération internationale des ligues des Droits de l’Homme (FIDH) et l’Association Malienne des Droits de l’Homme (AMDH) dans un communiqué commun consulté par Sputnik.
Cette audience «intervient trois ans après la condamnation à neuf années de prison pour crimes de guerre liés à la destruction de mosquées et mausolées» d’Ahmad Al Faqi Al Mahdi, qui est «un ancien complice d’Al Hassan» et membre présumé d’Ansar Dine, ont rappelé les deux ONG dans leur communiqué daté du 8 juillet. «À l’époque [du procès d’Ahmad Al Faqi Al Mahdi, ndlr] la FIDH et l’AMDH avaient regretté qu’Al Mahdi ne soit pas poursuivi pour son rôle dans d’autres crimes commis à Tombouctou, y compris les crimes contre l’humanité», ont-elles ajouté.
Les deux organisations de défense des droits humains se sont réjouies que «cette fois, en plus des attaques contre les monuments historiques et mausolées, la Procureure [Fatou Bensouda] a retenu à l’encontre d’Al Hassan des charges de crimes contre l’humanité très graves, tel que le viol et l’esclavage sexuel, le mariage forcé, la torture, d’autres actes inhumains et atteintes graves à l’intégrité, y compris des amputations, et la persécution basée sur le genre».
Elles «estiment qu’il y a suffisamment de preuves pour que les charges retenues contre Al Hassan devant la CPI soient confirmées et que le procès puisse commencer».
Les victimes maliennes et les ONG qui les appuient dans ce dossier nourrissent également l’espoir de voir l’audience suivie d’un procès, a assuré à Sputnik Bintou Founè Samaké Bouaré. Elles espèrent également que ces développements au plan international vont faire bouger les dossiers en attente actuellement au Mali, d’après elle.
«Nous avons 114 dossiers devant les juridictions du Mali, qui attendent d’être écoutés», a indiqué la présidente de WILDAF-Mali, se disant optimiste avec le vote récent d’une loi permettant au pôle judiciaire antiterroriste au Mali de traiter les affaires «de violences sexuelles liées au conflit». Cette loi a été votée à la suite d’une demande des organisations féminines, a-t-elle précisé, «maintenant, le défi est de pouvoir mettre en place le mécanisme permettant aux femmes de saisir le Pôle judiciaire spécialisé de lutte contre le terrorisme sans trop de difficultés. Notre souhait, c’est qu’il y ait une chambre spécialisée au sein de ce pôle uniquement pour les violences sexuelles liées au conflit».
L’Assemblée nationale malienne a adopté le 27 juin 2019 une loi élargissant les compétences du Pôle judiciaire spécialisé de lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée. Jusqu’au soir du 12 juillet, Sputnik n’a pu obtenir aucune indication sur la date de sa promulgation, qui marquera son entrée en vigueur. Quand cela sera effectif, ce pôle judiciaire «disposant de compétences et moyens d’enquêtes et instructions plus important que les juridictions de droits communs (...) sera ainsi compétent sur les crimes de crime de guerre, crime contre l’humanité et crime de génocide», ont relevé la FIDH et l’AMDH dans leur communiqué.
«Depuis 2014, l’AMDH et la FIDH n’avaient eu de cesse d’exhorter les autorités maliennes à élargir la compétence de ce pôle, afin de relancer les enquêtes sur les crimes commis au nord du Mali, qui sont au point mort depuis des années, et d’apporter une réponse judiciaire aux crimes qui continuent d’être perpétrés au centre du pays», ont-elles poursuivi.
Les deux ONG se désolent par ailleurs de la libération, en février 2019 au Mali, d’Aliou Mahamane Touré, ancien commissaire la Police islamique à Gao (nord du Mali) qui avait été condamné par la justice malienne en 2017. Il a été relâché «à l’issue de tractations sur des échanges de prisonniers».
Aliou Mahamane Touré était «le seul djihadiste condamné au Mali à 10 ans de prison en août 2017», il a été «libéré en dehors de tout cadre légal», a regretté l’avocat Drissa Traoré, vice-président de la FIDH, cité dans le communiqué.
Selon l’hebdomadaire panafricain Jeune Afrique, l’ex-chef de la Police islamique à Gao a été libéré avec 17 autres djihadistes qui étaient «retenus par la justice» malienne. Ils auraient été échangés contre «un préfet et un journaliste maliens enlevés dans le centre du pays» en 2018.