À 29 ans, Ernestine Matjabo aurait pu poursuivre sa carrière bien entamée en France, après ses études couronnée d’un diplôme d’ingénieur en production et management à l’école des hautes études d’ingénieur à Paris, et une Maîtrise en administration des affaires à l’institut supérieur de gestion de Paris en 2015. Sa trajectoire professionnelle se dessine plutôt bien: la jeune dame débute comme acheteuse pour le groupe Louis Vuitton Moët Hennessy (LVMH), le premier groupe de luxe au monde et par la suite, comme chef de produit junior pour «Le Printemps», un autre grand magasin parisien. Alors qu’elle est promue à un bel avenir dans cet univers, Ernestine en décide autrement. Après des vacances passées au Cameroun, elle décide de s’y installer pour une aventure entrepreneuriale. Ernestine lance Eko, son application mobile de digital learning. Un projet parti d’un constat, une anecdote qu’elle raconte toute souriante au micro de Sputnik.
Fort de ce constat et arrivée au Cameroun pour seulement deux semaines, Ernestine prend la décision de s’y installer définitivement et d’œuvrer à sa manière pour une meilleure formation de la jeunesse camerounaise.
C’est ainsi qu’Ernestine Matjabo, travaille à trouver des solutions pour des formations qualitatives permettant de s’instruire, qu’importe ses moyens et sa localisation. Elle lance alors dans le monde de l’entrepreneuriat avec un premier projet: Eko (signifie apprendre en Yoruba, qui est une langue de l’Afrique de l’Ouest), une plateforme d’apprentissage en ligne. Un exercice pas du tout aisé pour celle qui n’avait pas une formation préalable dans les métiers de l’informatique.
Ernestine va tenir son pari en lançant la première application mobile d’apprentissage en ligne 100 % camerounaise. Un outil qui donne la possibilité aux professionnels d’apprendre dans de différents formats: vidéo, audio ou en format lecture, et adapté aux réalités locales.
«La particularité c’est que l’ensemble de nos formateurs sont des Camerounais ou des Africains qui ont la maîtrise des enjeux et de la complexité en entreprise. Je n’ai pas voulu prendre des cours qui se trouvent ailleurs avec des formateurs étrangers parce que le problème est local. Une entreprise qui est basée en France n’a pas les mêmes problématiques qu’une entreprise au Cameroun. Il y a des enjeux et des contraintes qu’il faut expliquer afin d’être vraiment optimal en entreprise. Et aussi il y a une particularité technique que l’on retrouve dans d’autres applications, à savoir, la possibilité de télécharger le cours et le regarder même si on se retrouve dans des zones enclavées où il y a peu ou pas de connexion interne», décrit Ernestine au micro de Sputnik.
Adossée à sa start-up MAT’JUP Sarl qui compte une dizaine d’employés, l’application Eko a été présentée officiellement au public le 13 mars dernier. L’entrepreneure veut en faire un véritablement outil de renforcement de capacité et de mise à niveau des professionnels et étudiants.
«On avait commencé sur des formations qui étaient beaucoup plus académiques, mais là on est en train de rentrer dans le volet beaucoup plus professionnel. Je collabore avec de hauts cadres d’entreprises locales qui m’aident à proposer des formations, que ce soit en vente négociation, management, gestion de projets, finances. Il s’agit là entre autres des premiers modules que l’on va mettre en ligne dès le mois de septembre 2019», dit-elle au micro de Sputnik.
Avant de poursuivre sur les opportunités qu’offre Eko:
«Pour les entreprises, c’est un moyen de renforcer les capacités de ses employés, pour les particuliers c’est un moyen de développer une nouvelle compétence et pour les étudiants c’est aussi un moyen d’être beaucoup plus crédible et d’aborder avec beaucoup plus de maitrise le marché de l’emploi», tient-elle à préciser.
Avec 480 personnes inscrites sur la plateforme et environ 250 téléchargements à la date du 10 juillet, l’équipe travaille principalement à muscler le contenu de la plateforme et à vulgariser l’outil d’apprentissage auprès du plus grand nombre.
«Là, on est en train de se battre pour proposer des contenus de qualité et des contenus qui sont vraiment assez longs. Je peux parler d’une formation en gestion de projets d' entreprise qui dure 16 heures qui sera sur la plateforme. Vous vous rendez compte aussi que c’est un gros travail derrière parce qu’il faut prendre en compte la disponibilité du formateur, il faut prendre en compte aussi les autres éléments techniques, ce n’est vraiment pas facile. On se bat pour proposer le meilleur aux Camerounais et nous comptons sur les médias pour mieux nous faire connaitre», confie Ernestine qui projette commercialiser le contenu d’ici septembre prochain.
À côté du développement de sa plateforme d’apprentissage en ligne, la jeune dame travaille aussi à la numérisation dans la gestion des universités au Cameroun.
«J’ai mis en place un système dénommé School management système qui a pour but de rendre optimale la gestion des étudiants dans les universités; parce qu’aujourd’hui tout se fait encore de façon très archaïque et en mode papier. En effet lorsqu’un étudiant s’inscrit dans une université, les chances de suivre fidèlement son évolution sont hypothétiques», a-t-elle constaté.
Sur le terrain de la digitalisation, Ernestine se passionne aussi pour la transmission des connaissances à travers de multiples programmes dédiés notamment la formation des femmes dans les zones enclavées.
«Je collabore avec l’Onu Femmes afin d’aider les femmes à se former, non pas seulement dans le secteur du digital, mais dans bien d’autres domaines. Parce que dans les régions du Grand Nord Cameroun enclavées en raison de violences, les femmes n’ont pas accès à l’information et le seul moyen de communiquer avec elles reste jusqu’ici l’usage des langues nationales. Lorsqu’elles tentent de se réfugier dans les autres régions, elles font face à des personnes qui ne partagent pas la même langue qu’elles. Je collabore actuellement avec l’ONU Femmes pour essayer de mettre en place une application qui les aidera à apprendre les autres langues locales», confie-t-elle au micro de Sputnik.
«Je pense que le problème majeur c’est de comprendre les besoins réels des Camerounais. Parce qu’il est facile de copier un concept qui vient d’ailleurs et de le coller ici alors que contextuellement ça ne répond pas du tout à leurs attentes, et après on se retrouve à se dire qu’on a dépensé plusieurs millions pour rien même s’il est vrai que les entrepreneurs ne bénéficient pas toujours de la confiance des banques chez nous. Il y a des moments où c’est très compliqué de pouvoir payer les employés par exemple», déplore-t-elle.
Nonobstant ces difficultés, Ernestine Matjabo et son équipe travaillent également à faire agréer les formations offertes sur Eko, par le ministère de l’Emploi et de la Formation professionnelle au Cameroun. Ernestine croit fermement que le digital est un levier incontournable pour changer de paradigme dans le domaine de l’éducation et de la formation professionnelle.