Au Maroc, l’heure est à la discorde. Depuis le mois d’octobre 2018, le gouvernement de Saâdeddine El-Othmani a décidé de mettre fin, temporairement, à la dualité horaire, en vigueur dans le Royaume chérifien depuis une dizaine d’années. Le décret n°2-18-855 relatif à l’heure légale du Royaume, avait à l’époque annulé, en dernière minute, le passage programmé à l’heure d’hiver, en figeant les aiguilles sur GMT+1, au lieu de les reculer d’une heure. Si bien que les Marocains doivent s’accommoder, depuis, avec un « réchauffement horaire »…qui est loin de faire l’unanimité. À la tête de la Ligue marocaine pour la citoyenneté et les droits de l’homme, Driss Sedraoui explique à Sputnik ce qui fait « l’impopularité » de cette mesure.
«De nombreuses études ont démontré, aujourd’hui, les dangers de cette heure supplémentaire sur la santé, sur le sommeil, ou le manque de concentration. C’est ainsi que cette heure supplémentaire a augmenté le nombre des accidents de la circulation. Dès 2008, quand cette heure d’été a été pour la première fois appliquée, les statistiques nous ont indiqué une augmentation de 10% des accidents de la route, puis une augmentation moyenne de 56%, de 2009 à 2016», énumère le droit-de-l’hommiste marocain interrogé par Sputnik.
Faux, répondent les partisans de l’heure d’été, au sein du gouvernement, qui estiment que les implications négatives sur la santé et les troubles du sommeil sont moins imputables à l’adoption de l’heure d’été qu’aux changements récurrents d’horaires dans le Royaume. C’est ce qui ressort d’une étude menée par le ministère de la Réforme de l’Administration et de la Fonction publique sur la généralisation de l’heure d’été (GMT+1) à toute l’année, et dont le résultat s’est avéré globalement « satisfaisant », a rassuré, lundi 1er juillet, le ministre Mohamed Benabdelkader, lors d’une séance parlementaire de questions au gouvernement.
«Les gens ont des reproches à formuler à l’endroit de l’application de l’heure d’été. Mais il faut relever, aussi, que si elle est autant impopulaire, c’est parce qu’elle s’est associée, dans l’esprit des Marocains, aux inconvénients liés aux changements fréquents de fuseaux horaires dans le Royaume, qui pouvaient atteindre, jusqu’à quatre par an!» confirme à Sputnik Achraf Tribak, directeur du centre de recherche Hespress, à Rabat.
De fait, et jusqu’en 2018, les Marocains ne se contentaient pas d’avancer leur montre d’une heure en mars, pour la reculer d’une heure en octobre. Afin d’éviter aux jeûneurs des journées trop longues, une « parenthèse horaire » a été introduite pendant le mois de Ramadan. En raison du décalage du calendrier lunaire, le mois saint coïncide, depuis quelques années, avec la période estivale, si bien qu’il fallut passer à l’heure d’hiver pendant une trentaine de jours, avant de rétablir l’heure d’été quelques jours après l’Aïd, la fête de la rupture du jeûne! Contrairement au changement horaire « saisonnier », celui religieux semble avoir la peau dure, puisqu’il a été maintenu par le décret de 2018. En ce début de juin 2019, correspondant à la fin de l’Aïd, des signes d’exaspération contre la reprise de l’heure d’été étaient visibles sur les réseaux sociaux marocains. Sans pour autant que le ressentiment ne s’exprime dans la rue, comme ce fut le cas en octobre 2018. À l’époque, plusieurs villes marocaines voyaient défiler plusieurs centaines d’élèves protestant contre une mesure imposée « unilatéralement ». L’adoption de l’heure d’été avait coïncidé, de fait, avec une circulaire du ministère de l’éducation nationale instituant de nouveaux horaires. Un changement compliquant la tâche aux parents devant accompagner leurs enfants à l’école, puisqu’ils restent soumis aux mêmes horaires de travail, et qui conduit à une réduction du temps de pause de midi, avec toutes les contraintes logistiques engendrées pour les élèves n’ayant plus, ainsi, la possibilité de rentrer chez eux.
«L’implication de l’heure d’été sur les élèves, leurs conditions de travail, leurs examens, ainsi que la propriété catalyseuse des réseaux sociaux ont contribué à renforcer le ras-le-bol général au sein de la population», analyse, pour sa part, Achraf Tribak.
Protestations des élèves dans différentes région du #Maroc contre l’heure d’été, adoptée par le gouvernement contre la volonté des élèves et de l’ensemble du peuple marocain.
Devant ce ressentiment populaire, récurrent depuis l’automne 2018, le gouvernement préfère botter en touche…et mettre en avant les arguments énergétiques. Depuis octobre 2018, une réduction de consommation de l’électricité de l’ordre de 37,6 kW/ heure a été réalisée, de même qu’une économie de plus de 3 millions d’euros sur la consommation des hydrocarbures. La demande interne a également augmenté, et certains secteurs ont même connu une relance palpable, assure le gouvernement. Le tout, sans compter les dividendes écologiques, comme la réduction des émissions de CO².
«Nonobstant les assertions du gouvernement, le manque de productivité est là. Pour s’en rendre compte, il faut comprendre la réalité du tissu socio-professionnel au Maroc, qui diffère de ce qu’on peut trouver dans d’autres pays, notamment européens, où la plupart des secteurs professionnels sont organisés et structurés. Entre les cafés, les magasins, les administrations, et les professions « libres », on assiste, aujourd’hui, à une dualité horaire, entre ceux qui règlent leur « horloge professionnelle » sur l’heure d’hiver, et ceux qui sont soumis à l’heure d’été. Les seuls à être satisfaits par cette mesure, ce sont les multinationales de l’industrie automobile», déplore Driss Sedraoui, au micro de Sputnik.
L’activiste marocain met le doigt sur une critique récurrente, relayée par des observateurs et médias marocains. Celle affirmant que le changement d’horaire « surprise », décidé en 2018, ne faisait que répondre à une doléance exprimée par le patron du groupe Renault de l’époque, Carlos Ghosn. Pour sa part, le groupe Peugeot, a affirmé à Sputnik n’avoir « pas connaissance de telles déclarations impliquant le Groupe PSA dans une décision qui relève de la souveraineté du Maroc. (…) le Groupe PSA n’a aucun lien avec cette décision. », a déclaré Kaltoum Elyoussoufi, responsable de communication du groupe, chargée de l’Afrique et du Moyen-Orient.
«Ces multinationales, qui sont basées en France, sont favorables à une coïncidence entre les horaires de travail administratif au Maroc et en France, pour ne pas perdre une heure de travail», explique encore Driss Sedraoui.
Pour peu qu’elle soit avérée, « la doléance de Carlos Ghosn n’a contribué qu’à accélérer la prise de décision », nuance Achraf Tribak, en reconnaissant la recherche d’un alignement horaire avec les Européens, où le fuseau horaire Greenwich, celui de l’heure d’hiver marocaine, ne couvre que le Royaume Uni, l’Irlande et le Portugal.
«Le Gouvernement ne veut pas d’un décalage horaire important avec l’Europe. Ce souhait est principalement justifié par des raisons logistiques, et se trouve lié à des choix économiques du Royaume, comme l’installation de zones industrielles libres, ou les innombrables centres d’appel qui travaillent avec l’Europe. Tout cela est de nature à justifier la recherche d’une forme de cohésion horaire avec l’Europe. Le Gouvernement n’avouera pas que cette décision est particulièrement motivée par la pression de quelques lobbys économiques, c’est pour cela qu’il préfèrera, plutôt, évoquer des «avantages» pour le pays, et qu’on ne peut pas complètement occulter pour autant», décrypte l’analyste marocain Achraf Tribak.
Quelques semaines avant l’adoption du décret controversé, la commission européenne avait proposé une nouvelle directive pour mettre fin aux changements d’heure, également controversés en Europe. Pour les partisans de la théorie de l’alignement, une énième coïncidence…temporelle?