Alexandre Langlois, policier et lanceur d’alerte, suspendu «sur ordre de Castaner»

Alexandre Langlois, secrétaire général du syndicat de police VIGI, a été suspendu de ses fonctions de gardien de la paix affecté au Renseignement territorial pour douze mois dont six avec sursis. Il paie ses prises de position contre sa hiérarchie et dénonce une «décision personnelle» du ministre de l’Intérieur. Il s’est confié à Sputnik.
Sputnik

Depuis le début de l’année 2018 il a tour à tour dénoncé «une falsification des chiffres de la délinquance», «la responsabilité de la direction de la police nationale» dans la vague de suicides qui frappe la profession, les agressions sexuelles commises par un médecin de la police qui se verra d’ailleurs condamné à 12 mois de prison avec sursis. Durant la crise des Gilets jaunes, il a pointé à de nombreuses reprises la gestion du maintien de l’ordre et a invectivé plusieurs fois le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner. Se faisant, Alexandre Langlois, policier et secrétaire général du syndicat VIGI, s’est fait des ennemis.

​VIGI est même allé jusqu’à se constituer partie civile dans l’affaire Benalla, une décision qui, selon Alexandre Langlois, a fortement déplu au Président de la République. Un policier, un syndicaliste mais aussi un lanceur d’alerte, respecté d’une bonne partie des Gilets jaunes qui a fini par payer son insolence. Il avait été convoqué en conseil de discipline le 20 février dernier. Il faut dire que sa manière de communiquer agace au plus haut niveau de l’ État. La réunion s’était soldée sans décision particulière. Mais la sanction vient de tomber.

​Depuis le mercredi 3 juillet à minuit, Alexandre Langlois est suspendu de ses fonctions de gardien de la paix affecté au Renseignement territorial des Yvelines pour une durée de douze mois dont six avec sursis. Une sanction qui, selon le policer, aurait été dictée par Christophe Castaner en personne, et ce, malgré sa note professionnelle de «6 sur 7» assortie «d’ appréciations élogieuses» de sa hiérarchie.

​Sa sanction lui a été signifiée «par la directrice adjointe des ressources et des compétences de la police nationale pour le compte du ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner» selon l’Express. Aucun salaire ne lui sera versé pendant toute la durée de la sanction, lui qui est père de deux jeunes enfants et dont la femme vient de reprendre une activité qui, pour le moment, ne lui permet pas de se verser de salaire. «Le ministre de l’Intérieur et sa clique de hiérarques veulent m’asphyxier financièrement», assure-t-il. Mais il ne compte pas «arrêter le combat pour une police au service du peuple et non des intérêts particuliers de quelques-uns». En attendant, et afin de traverser la tempête, une cagnotte a été lancée pour venir en aide à sa famille. Elle dépasse déjà les 10.000 euros, preuve du soutien populaire dont bénéficie le policier. Sputnik France lui a donné la parole afin qu’il donne sa version des faits. Entretien.

Sputnik France: Tout d’abord, comment vous sentez-vous?

Alexandre Langlois: «Je me sens mieux. Je m’attendais à ce que cela finisse par arriver mais c’est toujours difficile de recevoir une telle nouvelle. J’ai eu la chance d’être bien entouré par mes collègues et mon chef de service qui étaient désolés pour moi. Bien évidemment, ma famille et mes amis ont été là pour me soutenir. Je constate également que je peux compter sur un large soutien de la population. Cela prouve bien que le combat que notre syndicat mène sert à quelque chose. Je suis motivé à continuer de me battre et à ne pas les laisser faire.»

Sputnik France: Vous dénoncez une «décision personnelle» de Christophe Castaner que vous jugez illégale…

Alexandre Langlois: «Parfaitement. Elle est personnelle car le conseil de discipline devant lequel je suis passé n’a rendu aucun avis. Il ne s’est pas prononcé pour une sanction. La décision revenait personnellement à monsieur le ministre. Deuxièmement, c’est la première fois au sein de la police nationale qu’un syndicaliste est condamné pour ses propos en tant que délégué syndical. De façon plus générale, la loi française garantit une liberté d’opinion et de parole plus large aux syndicats. Ce qui se passe ici peut-être qualifié de discrimination syndicale, d’ abus de pouvoir et nous allons tout faire pour qu’un juge regarde cela de plus près.» 

Sputnik France: D’après l’Express, votre hiérarchie dénonce des «accusations impertinentes», des «articles indignes», des «critiques outrancières», des «remises en cause injurieuses» ou «offensantes» et des «sous-entendus infamants» de votre part. Que lui répondez-vous?

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Alexandre Langlois: «C’est facile d’inverser les rôles. Je leur reproche exactement la même chose. On nous en a tenu rigueur à l’époque de la diffusion d’un tract mentionnant 24 suicides dans la police depuis la prise de fonction de monsieur Morvan, le directeur général de la police nationale. Nous en sommes à 87 aujourd’hui. Nous sommes en plein procès France Télécom-Orange qui voit une partie de la direction passer devant le tribunal au sujet de 19 suicides. Chez nous, les mesures prises concernent l’organisation de barbecues. Qui est infamant? Qui est une honte pour l’institution? Je pense que c’est plutôt notre directeur. On me reproche également d’avoir, en 2018, dénoncé la falsification des chiffres de la délinquance, plus particulièrement sur Marseille. Depuis, celui qui était à l’époque le directeur de la sécurité publique des Bouches du Rhône est devenu directeur central de la sécurité publique nationale grâce à ses bons résultats. Des victimes n’ont pas été écoutées comme elle auraient dû l’être, compte tenu de ce qu’elles ont subies. C’est une honte. Des collègues ont dû revoir des procédures en luttant contre leur conscience pour faire plaisir à la hiérarchie. Qui manque de dignité? Qui est une honte pour notre pays? C’est au niveau de la direction plutôt que du côté syndical qu’il faut chercher.»

Sputnik France: Il y a eu d’autres affaires…

Alexandre Langlois: «Le plus beau reste que l’on me reproche d’avoir dénoncé les agressions sexuelles et le comportement totalement déviant d’un médecin de la police nationale à Metz. En novembre 2018, nous avions demandé à Christophe Castaner une expertise psychiatrique de ce monsieur. Finalement la justice a fait son travail. Il a été condamné à douze mois de prison avec sursis, à une interdiction d’exercer la médecine et à une injonction de soins suite à expertise psychiatrique sans parler de son fichage au fichier des délinquants sexuels. Encore une fois, qui est la honte de la police? Qui est infamant? Qui est outrancier? La balle est désormais dans le camp de notre direction. Ces personnes inversent les rôles, essayent de camoufler leur incompétence et les abjections dont ils sont responsables à l’encontre de notre profession et de la population.»

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Sputnik France: Vous dites que des syndicats comme Unité SGP Police ou le Syndicat des commissaires de la police nationale (SNCP) ont appuyé votre hiérarchie afin qu’ elle vous sanctionne. Pouvez-vous nous en dire plus? 

Alexandre Langlois: «Ils oublient que nous avons des adhérents et des sympathisants un peu partout. Ces derniers nous informent. Nous savons que ces deux syndicats ont appuyé fortement la hiérarchie dans son combat contre nous. Nos propos leur déplaisaient. Nous leur faisions de l’ombre. L’ancien numéro 2 du SCPN avait déposé un recours contre VIGI avec une commission rogatoire. Unité SGP a fait de même, cette fois au nom même du syndicat. Ils n’avaient pas apprécié que l’on dise qu’ils avaient probablement fraudé aux dernières élections professionnelles. Nous les gênons car nous défendons réellement nos collègues. Eux défendent juste leurs carrières. Durant mon conseil de discipline, les représentants d’Alliance, syndicat majoritaire, se sont levés en qualifiant la réunion de mascarade et disant ne pas vouloir siéger pour condamner un syndicaliste. Unité SGP est resté à son poste, fidèle à l’administration jusqu’au bout.»

Sputnik France: Ne peut-on plus critiquer le pouvoir en France?

Alexandre Langlois: «Depuis l’ère Macron, on ne peut effectivement plus critiquer le pouvoir. Nous avons des échanges de l’ex-directrice de l’IGPN Marie-France Monéger-Guyomarc'h qui disait être pour la liberté d’expression syndicale, mais que nous devions nous soumettre au devoir de réserve et ne surtout pas critiquer l’institution, en sous-entendu. Je rappelle que monsieur Anicet Le Pors, qui a été l’initiative d’une importante loi sur la fonction publique, a déclaré qu’il n’avait pas mis le devoir de réserve dans sa loi car cela empêcherait de critiquer l’institution. On ne serait plus au service du public mais détournés de nos missions par le pouvoir en place. Nous sommes en plein dedans. Il y a un glissement vers un régime plus autoritaire voire totalitaire.»

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Sputnik France: Vous déclarez vouloir continuer le combat et ne pas vous taire. Quelles seront vos prochaines actions, sur le terrain judiciaire concernant votre sanction et sur le terrain syndical ?

Alexandre Langlois: «Sur le terrain judiciaire nous allons attaquer en référé afin de faire annuler la sanction qui nous semble lunaire et illégale. Il faut savoir que lorsque l’on passe en conseil de discipline, un rapport est rédigé par une assistante sociale afin de mesurer les conséquences d’une sanction sur la vie familiale du concerné. Ils savent pertinemment que si l’on ne me verse plus de salaire, ma femme et mes enfants seront impactés. Ma compagne a arrêté de travailler pour s’occuper de notre plus jeune fils qui est né avec quelques difficultés il y a deux ans. Elle vient de reprendre une activité au sein d’une ferme équestre et ne gagne pas d’argent pour le moment. Ce sont des gens abjects car ils connaissent ces situations familiales difficiles et se servent de ces informations. Nous allons également étudier la possibilité de porter plainte au pénal puisque la discrimination syndicale et l’abus de pouvoir sont des infractions pénales. Le Défenseur des droits sera saisi ainsi que le médiateur de la police nationale. Je vais également saisir la commission de recours de la fonction publique. Je vais faire tout ce que je peux. Des députés et élus de différents bord ont été contactés afin qu’ils demandent au gouvernement s’ils ne seraient  pas devenus complétement fous par rapport aux valeurs défendues par le pays des droits de l’homme. Concernant les actions syndicales, nous allons continuer le combat. Je ne vois pas ce qu’ils peuvent me faire de plus. Nous continuerons à dénoncer malgré leurs tentatives pour nous faire taire. Leur politique est de nous asphyxier financièrement et de détruire nos vies de famille et nos vies privées. Nous avons décidé de ne pas nous arrêter afin d’avoir une police républicaine avec une hiérarchie exemplaire jusqu’au ministre de l’Intérieur qui devrait être au-dessus de tout soupçon au lieu de répéter des fake news et d’aller faire la fête en boîte de nuit pendant que des collègues sont sur le terrain. De plus, dès que nous avons communiqué sur mon sort et après la mise en place de la cagnotte, nous avons pu constater un engouement populaire et de nombreux collègues ont pris conscience des dérives totalitaires de cette institution.» 

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