Depuis la création de la fédération canadienne en 1867, deux langues officielles coexistent au Canada: l’anglais et le français. Dans son livre Disparaître? publié aux éditions Liber, Jacques Houle, ancien cadre à Emploi et Immigration Canada, s’inquiète de l’hégémonie de l’anglais, que l’augmentation des seuils d’immigration renforcerait. Sputnik s’est entretenu avec cet auteur, dont le livre connaît actuellement un succès de librairie au Québec.
Sputnik France: Selon vous, dès la conquête de la Nouvelle-France par les Britanniques en 1759, l’immigration a été utilisée pour réduire la proportion de francophones au Canada. Croyez-vous qu’il s’agisse encore d’une stratégie délibérée du gouvernement fédéral? Cet objectif n’a pourtant jamais été explicité par le gouvernement.
Jacques Houle: «Ce n’est pas exactement un objectif, mais une tendance, une conséquence. Le fait demeure: avant la Conquête de 1759, il y avait 100% de francophones. Graduellement, l’immigration –d’abord britannique– est venue réduire progressivement cette majorité de souche de langue maternelle française. Dès 1840, les Canadiens français étaient tombés à moins de 50%. Aujourd’hui, les Canadiens d’ascendance française représentent environ 21% à l’échelle canadienne. Selon les prédictions de Statistique Canada –le bureau officiel de la statistique du gouvernement fédéral– cette proportion est appelée à encore diminuer.
[…] C’est un phénomène historique. Les Britanniques ont plusieurs fois tenté d’imposer artificiellement une majorité anglaise en Amérique du Nord. […] Ce n’est pas un complot, mais une tendance qui sert la majorité de langue anglaise».
Sputnik France: Vous affirmez que les francophones hors du Québec ne seront pas en mesure de préserver leur langue. Dans quelques décennies, le français pourrait avoir disparu dans les provinces où les francophones sont déjà minoritaires. Au contraire, l’immigration ne renforce-t-elle pas la francophonie canadienne, compte tenu du grand nombre d’immigrés africains parlant français?
Jacques Houle: «Selon Statistique Canada, en 2011, la proportion de francophones au Canada, sans le Québec, était de 3,8%. Cette proportion va passer à 2,8% en 2036. C’est-à-dire que politiquement, nous ne faisons plus le poids hors du Québec. La seule exception étant la province du Nouveau-Brunswick –l’ancienne Acadie française– où là, les francophones vont se maintenir autour de 25%. En Amérique, l’avenir du français se joue donc exclusivement au Québec, où existe encore une majorité de langue maternelle française.
[…] Évidemment, les immigrants francophones africains et maghrébins parlent français. Cependant, rapidement, ils choisissent l’acculturation vers l’anglais. […] Rapidement hors du Québec, les gens réalisent que le français est une langue superflue, économiquement et socialement peu prestigieuse. L’immigré qui arrive ici comprend qu’il doit rapidement apprendre l’anglais. L’anglais est de plus en plus la langue que l’on exige pour être embauché».
Sputnik France: Vous proposez d’accueillir davantage de Français au Québec. En janvier dernier, le Premier ministre québécois, François Legault, avait déclenché une controverse en déclarant qu’il voulait privilégier cette immigration. Pourquoi est-ce la meilleure solution?
Jacques Houle: «Nous sommes une population de langue maternelle et de culture françaises. C’est donc normal de choisir et de privilégier des gens de langue française. À peine 40% des immigrants qui arrivent au Québec parlent français. […] Il y a actuellement environ 350.000 allophones au Québec [pour une population de 8,2 millions de personnes, ndlr] qui ne parlent pas français, mais qui, curieusement, parlent anglais…
[…] L’an passé, près de 30.000 jeunes Français ont voulu obtenir un permis de vacances-travail. Il y a un véritable intérêt de la part de jeunes Français de venir s’établir au Québec. Les taux de chômage sont très élevés en France, alors profitons-en. Par ailleurs, nous devons aussi accueillir des populations “francophonisables”, nos frères de langue latine, surtout d’Amérique latine: des latinos, des Catalans, des Espagnols, des Italiens, des Roumains, etc.»
Sputnik France: Si cette proposition vous paraît si naturelle, pourquoi choque-t-elle alors une partie de la classe politique?
Jacques Houle: «Dès que l’on essaie de lever le voile sur l’immigration, ça choque. On le voit partout en Occident, à moins de vouloir en faire l’apologie. Dès que l’on veut aller plus loin que cette fable heureuse sur les bénéfices, on rencontre un vent contraire. On ne veut pas vraiment prendre en compte les travaux intéressants –mais critiques– qui ont été faits sur cette question. […] Nous avons sacralisé l’immigration: on dit qu’elle est nécessairement bonne. Toutefois, cette démonisation du débat sur ce sujet fonctionne de moins en moins.»
Sputnik France: Vous n’êtes pas le seul auteur à évoquer la rupture grandissante entre Montréal et le reste du Québec. En s’anglicisant, la métropole québécoise se rattacherait symboliquement au Canada anglais et laisserait tomber le reste de la province, à grande majorité francophone. Est-il possible de freiner l’essor de l’anglais dans cette ville?
Jacques Houle: «L’immigration n’est pas la seule cause du déclin du français à Montréal. Par exemple, il y a de plus en plus de politiques de bilinguisme officieux. […] Il y a une attraction de plus en plus forte de l’anglais. L’embauche des travailleurs se fait de plus en plus dans cette langue. […] Il faut travailler en amont et en aval. Il faut absolument revenir à ce qui avait été développé par le grand René Lévesque [ancien Premier ministre québécois, ndlr], c’est-à-dire une politique de francisation de l’espace public. On pourrait aussi suggérer à la mairesse de Montréal, Mme Plante, d’arrêter sa manie de s’adresser chaque fois en anglais et en français aux gens. C’est clair qu’il y un relâchement. J’encourage le gouvernement Legault à adopter des mesures beaucoup plus sévères. Il faudrait enfin avoir une politique d’immigration un peu plus raisonnable».