Attaques terroristes en Tunisie: plus de symboles que de mal?

Un mort et huit blessés, tel est le bilan provisoire des attaques terroristes perpétrées jeudi à Tunis et revendiquées par Daech*. Sputnik a interrogé des chercheurs et spécialistes du groupe terroriste sur ces attentats qui demeurent «banales» tactiquement, mais pourraient s’avérer plus significatifs quant aux messages qu’ils portent.
Sputnik

En Tunisie, certains n’ont pas hésité à parler d’un nouveau «jeudi noir», du nom de ces événements dramatiques qu’a connus le pays en janvier 1978, sur fond de crise sociale entre le syndicat et le gouvernement. En ce jeudi 27 juin, la Tunisie était frappée par trois attaques terroristes. La première, perpétrée aux premières lueurs de l’aube, dans le mont d’Ourbata, dans le sud-ouest du pays, était passée presque inaperçue, et ne devait servir que de faire-valoir, puisqu’aucune perte n’a été enregistrée, ni même des dégâts matériels. La déflagration de deux bombes humaines, dans deux endroits différents de Tunis, a, en revanche, secoué l’opinion publique tunisienne. Un agent de la police municipale y laissa la vie, alors que le bilan fait état également de huit blessés. Les Tunisiens n’avaient pas le temps de souffler que leur Président venait d’être victime d’un «grave malaise» ayant nécessité son transport à l’hôpital militaire de la capitale, avec un état jugé «critique». Comble de la malédiction, en ce jeudi noir. Fakhri Louati, chercheur consultant en prévention de radicalisation violente, interviewé par Sputnik, rattache bien ces attentats à un cadre temporel. Toutefois, il s’agit moins d’un jour de la semaine que d’une célébration annuelle.

«On a tendance à oublier toute la symbolique de la date à laquelle ces attentats ont été perpétrés. La dernière semaine de juin est habituellement "riche" en attentats. Les terroristes de Daech* ont tendance à vouloir célébrer l’auto-proclamation de leur califat, qui a eu lieu vers la même période, en 2014, en perpétrant des attentats partout dans le monde. C’est une semaine où ils vont essayer de dire au monde entier qu’ils sont toujours là et qu’ils peuvent encore frapper, nonobstant la perte de territoires ou d’effectifs», analyse le chercheur tunisien.

«Ouvrir une brèche» pour permettre l’infiltration de djihadistes présents en Libye?

Double attentat contre la police à Tunis, plusieurs blessés (vidéo)
Perte de territoires et d’effectifs… ou du déclin programmé du califat éphémère de Daech*. Née dans le sillage de la guerre d’Irak et de la guerre civile syrienne, l’organisation terroriste poursuit son expansion territoriale jusqu’à contrôler, en 2015, de larges pans de ces deux pays. La consolidation du pouvoir en Syrie, ainsi que la coalition de plusieurs forces contre cette entité, accéléra sa chute… et la débandade des terroristes. C’est tout ce contexte régional que l’historien Faycel Cherif invite à prendre en considération, en faisant sa lecture des attentats de Tunis, revendiqués vendredi par Daech*. «Ce qui s’est passé à Tunis, on doit également le corréler à ce qui se passe dans la région. La guerre en Libye, la fin de la guerre en Irak et en Syrie, il y a beaucoup de terroristes en Libye qui sont à l’affût de la moindre faille sécuritaire, pour entrer en Tunisie […]. Il y a tout un plan que les terroristes poursuivent: […] ils veulent ouvrir une brèche, dont profiteront les terroristes nichés dans les montagnes, en pleine chaleur, et encerclés […] le danger, c’est aussi ce qui se passe sur les frontières libyennes avec beaucoup de terroristes qui veulent rentrer en Tunisie», prévient-il, jeudi, sur le plateau de la télévision nationale tunisienne. «Semer l’instabilité pour permettre l’infiltration de terroristes nichés dans un territoire voisin est une technique récurrente qu’on retrouve dans la littérature djihadiste», souligne Fakhri Louati. Toutefois,

«Si on regarde le modus operandi de ces attentats [de jeudi], on s’apercevra que ce sont des attaques perpétrées avec un matériel peu sophistiqué, ce qui exclut, d’emblée, que ces individus puissent être en contact direct avec des revenants, ou qu’ils bénéficient d’un quelconque soutien de leur part.»

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Le général à la retraite de l’armée tunisienne Jamel Boujeh ne pense pas, non plus, «que ce genre d’attaque s’inscrive dans une volonté des terroristes de permettre le retour des djihadistes qui sont actuellement positionnés en Libye. C’est d’ailleurs un scénario voué, d’avance à l’échec, tant la ceinture sécuritaire est opérationnelle, volet renseignement compris», explique-t-il à Sputnik.

Un rétablissement de l’appareil sécuritaire… mais grand risque d’essoufflement

Si cet ancien officier se félicite de la promptitude des services sécuritaires, c’est qu’on revient de loin. Avec le soulèvement populaire de janvier 2011, et la «restructuration» des services de sécurité qui avait suivi, la Tunisie entra dans un tourbillon d’instabilité politique et sécuritaire. Assassinats politiques, explosion de la radicalisation, et mêmes plusieurs attentats spectaculaires. En 2015, l’attaque contre le musée du Bardo, la ville balnéaire de Sousse, ou un bus de la garde présidentielle, firent des dizaines de morts, et marquèrent longuement les esprits. Le tout, sans oublier des dizaines de soldats, gendarmes et policiers, tombés sur le champ de bataille dans l’arrière-pays, notamment dans les zones montagneuses qui servent de base arrière aux terroristes. Si bien que l’ancien officier tunisien Jamel Boujeh minimise aujourd’hui la portée de ces deux attentats. «Une attaque banale, sur le plan tactique», estime-t-il.

«Les attaques asymétriques peuvent emprunter n’importe quel moyen, si bien qu’il devient difficile, aujourd’hui, de les contrecarrer à 100%. Regardez ce qu’il en est, par exemple, dans d’autres pays dans le monde, notamment en Europe. Paradoxalement, c’est là où votre force va constituer votre faiblesse. En effet, les armements classiques et lourds sont absolument impuissants à juguler ce genre d’attaques», explique le général à la retraite à Sputnik.

«L’appareil sécuritaire s’est rétabli, notamment en termes de traitement de l’information, d’une manière très efficace, approuve, pour sa part, Fakhri Louati. «On a pu le constater avec la réaction militaire, immédiate et efficace, dans la matinée de jeudi, dans le mont d’Ourbata, pour acculer les terroristes à la fuite, et plus généralement dans la gestion des autres attentats». Les autorités tunisiennes ont, de fait, abondamment communiqué, ces derniers temps, sur leurs «succès sécuritaires». Sous un état d’urgence sans cesse renouvelé, depuis 2015, des cellules sont régulièrement démantelées, souvent avant qu’elles ne passent à l’action, de mêmes que les cadres et militants de plusieurs groupes actifs ont été écroués ou «neutralisés». Ce fut notamment le cas, en mars dernier, de Houssem Thlithi, émir du groupe Jound al-Khalifa, affilié à Daech*.

«C’est une opération terroriste lâche et ratée, qui montre que les terroristes sont dans un état de désespoir, après les réussites sécuritaires et militaires remportées ces dernières années», lâche le chef du gouvernement Youssef Chahed, depuis le lieu du premier attentat, peu après le crime.

«Il y a deux principaux éléments qui font qu’on est en train de remporter cette bataille, d’un point de vue stratégique. Le fait, d’abord, que le peuple se tient derrière les forces de l’ordre. Cela s’est vérifié, en 2015, avec la défaite cuisante des terroristes à Ben Guerdane [dans le sud du pays, ndlr] où il leur a été porté un coup fatal [à la suite d’un assaut tenté par les terroristes de Daech*, auquel ont fait échec les forces de sécurité tunisienne avec l’appui de plusieurs habitants, ndlr]. Ensuite, étant frontaliers de la Libye, nous vivons aussi dans une configuration régionale qui fera de la déstabilisation de la Tunisie, un scénario insupportable pour nos partenaires de la rive nord de la Méditerranée», analyse le général à la retraite Jamel Boujeh.

Sur l’aspect stratégique, Fakhri Louati se veut, quant à lui, plus nuancé. Il estime que tant que «l’aspect politique de prévention de radicalité est insuffisant», la bataille stratégique n’est pas définitivement gagnée.

«Sans mécanisme de détection préventive important, l’effort sécuritaire encourt le risque de l’essoufflement, d’autant plus qu’il demeurera largement dépendant de la conjoncture socio-politique. Il serait préférable, en effet, que lors d’une grave crise politico-sécuritaire, par exemple, les forces de l’ordre se recentrent sur la gestion des aspects sécuritaires communs. Or, s’il n’y a pas de processus d’étouffement en amont des velléités de radicalisation, ces mêmes forces de sécurité risquent bien de se trouver submergées, puisque ces événements offrent un cadre d’action idéal pour les groupes terroristes», explique cet expert tunisien à Sputnik.

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En attendant, les terroristes se contenteront de «maintenir une présence, même occasionnelle, pour continuer à recruter. Ce processus se trouve facilité par leurs conditions de recrutement, en n’exigeant qu’une simple allégeance, même sans contact préalable, alors qu’avec Al-Qaïda*, il y avait tout un processus de recrutement, avant d’intégrer, finalement, un cercle fermé», explique Fakhri Louati à Sputnik. Du terrorisme en open source, en quelque sorte, du reste amplement dispensé dans des MOOCs disponibles sur la Toile…

Jamel Boujeh rattache l’attentat aux échéances électorales, prévues avant la fin de l’année, et au-delà, à toute la question démocratique. «On est à l’orée d’élections présidentielle et législatives. Et c’est une évidence qu’ils ne veulent absolument pas d’un pays démocratique dans la région. Sans compter qu’ils visent, à travers ces attaques, à frapper de plein fouet l’économie du pays en décourageant les touristes de venir».

Affichant des signes de rétablissement, le tourisme tunisien s’est nettement remis de la crise des années 2015 et 2016. Pour prévenir un quelconque impact négatif de ces attentats, survenus en pleine haute saison, sur les rentrées escomptées cette année, le tonitruant ministre tunisien du Tourisme, René Trabelsi, a entamé, vendredi, une tournée européenne. À l’attention des journalistes, des politiques ou des tours opérateurs, il a tenu à porter le même message: la Tunisie est une destination sûre pour les touristes européens.

L’expert en tourisme Moez Kacem estime, de fait, «la communication des autorités avec les partenaires étrangers doit être soutenue mais surtout transparente. Autrement, il y aura manque de confiance de leur part, qui va se traduire sur leurs flux touristiques». Autrement, Kacem ne croit pas que ces attentats impacteront de manière significative les entrées touristiques, prévues pour atteindre les neuf millions en cette année 2019.

«Les séjours sont d’ores et déjà vendus. Et puis, il faut dire que les touristes de la rive sud méditerranéenne ont gagné en résilience, ces dernières années. D’autant plus que leurs pays ne sont plus les forteresses de sécurité qu’ils pensaient. Il pourrait y avoir, éventuellement, des conséquences sur le secteur de l’artisanat. C’est à dire qu’il peut y avoir des touristes qui préfèreront se limiter à l’hôtel, plutôt qu’à s’aventurer dans les ruelles des médinas», minimise Moez Kacem, dans une déclaration à Sputnik.

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Au lendemain des attentats, «aucun gouvernement étranger n’a élevé le niveau de restrictions sur la destination Tunisie», indique, pour sa part, à Sputnik une source au sein du ministère tunisien du Tourisme. Les annulations des tours opérateurs à la suite de nouvelles restrictions de voyage émises par les gouvernements de leurs pays respectifs constituent, d’après Kacem, «un des indices qui permettent de mesurer l’impact de ce genre d’attentats sur la saison touristique, et ce, à côté des départs prématurés, de touristes actuellement en séjour en Tunisie. On a pu voir cela, en 2015, à la suite des attentats terroristes du Bardo et de Sousse».

Quoiqu’elles s’adossent à des considérations sécuritaires, ces restrictions demeurent aussi éminemment politiques. «C’est ce qui explique, précise encore Moez Kacem, qu’à la suite des attentats de Sousse et du Bardo, en 2015, des pays scandinaves ont élevé leur niveau d’alerte sécuritaire sur la destination Tunisie, alors que côté français, qui demeure le principal partenaire de la Tunisie, il n’y ait pas eu de changement».

*Organisation terroriste interdite en Russie

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