Audience et affluence, la Coupe du monde féminine 2019 bat son plein et connaît déjà un franc succès dans le monde professionnel. Dans le monde amateur, la pratique du football continue de susciter l’engouement auprès de plus en plus de femmes qui veulent s’essayer au ballon rond. À Moscou, GirlPower Football Club fait le pari de changer les mentalités en rendant le foot tendance. Comptant notamment parmi ses membres de jeunes femmes ambitieuses, venant de différents horizons (journalisme, droit, diplomatie ou encore cinéma), le collectif GirlPower FC séduit et rend le «foot féminin» plus attractif. À mi-chemin entre sport et lifestyle, GirlPower FC s’évertue à donner plus de poids au «football féminin» en Russie.
Sputnik France: Pourquoi avez-vous créé GirlPower FC?
Maria Soutchkova: «C’est une histoire intéressante. Au début, on a lancé une académie de football pour les enfants. On est parti du constat que les entraînements étaient très exigeants et qu’une grosse pression était mise sur eux pour qu’ils deviennent des champions, des footballeurs professionnels. L’idée était donc de créer un espace où les enfants pourraient jouer pour s’amuser, sans pression. Puis des mères [d’enfants inscrits à l’académie, ndlr] nous ont dit qu’elles aussi voulaient jouer. À partir là, l’aventure GirlPower FC a commencé. On a débuté avec 10 ou 15 filles, dont des mères de famille. Cinq ans plus tard, on comptait plusieurs centaines d’adhérentes qui s’entraînaient avec nous. Cinq équipes participent désormais à notre tournoi amateur à Moscou. Ça a donc pris de l’ampleur.
On lance d’ailleurs un projet spécial pour les petites filles. Habituellement, on fait des groupes mixtes car on pense que la mixité est une bonne pour les filles et les garçons. Cependant, on a décidé de créer un groupe exclusivement féminin pour qu’elles puissent faire leurs premiers pas dans le foot dans une ambiance accueillante. Et si elles aiment ce sport, si elles ont confiance en elles et si elles ont la force nécessaire, alors elles peuvent rejoindre des écoles ou des structures mixtes.»
Sputnik France: GirlPower FC est un nom qui s’inscrit dans une démarche d’«empowerment». Comment cela se traduit-il au sein de votre collectif?
Maria Soutchkova: «On a deux lignes distinctes. Pour les filles, on essaye de créer un espace sympa et bienveillant en leur expliquant qu’il est tout à fait normal qu’elles puissent pratiquer ce sport car comme partout, on fait toujours face à beaucoup de préjugés. Quant aux femmes, on essaye de faire leur comprendre que le football n’est pas qu’un sport, mais aussi un «lifestyle». C’est pourquoi on a collaboré avec plusieurs marques comme Levi’s et Adidas, réalisé des shootings pour Vogue, L’Officiel ou encore Soccer Bible, afin que le foot sorte en partie de la rubrique sport pour rejoindre celle de la mode et d’un certain art de vivre. Je pense que c’est ce mélange qui attire de nombreuses femmes et participe à briser les stéréotypes.»
Sputnik France: L’équipe nationale féminine Russe ne s’est pas qualifiée pour le mondial 2019 même si le «football féminin» continue de se développer. Selon vous, que faut-il mettre en place pour qu’il devienne aussi performant qu’en Angleterre ou aux États-Unis?
Maria Soutchkova: «Le manque de joueuses de haut niveau est un énorme problème. C’est certainement lié au système en place qui s’est toujours focalisé sur les hommes. À moins de créer un système de formation qui, dès l’enfance, nourrit un certain intérêt chez les filles, nous n’avons aucune chance d’être performantes, d’attirer des sponsors et d’avoir un football compétitif. Je pense qu’il faudrait améliorer la popularité du foot en mettant en place des évènements destinés aux petites et jeunes filles. Il faudrait également lancer des mesures pour faciliter l'accès aux entraînements, mais également construire des infrastructures et des institutions permettant l’émergence de futures professionnelles.»
«Il faut créer une image positive du football féminin en Russie afin de rendre les clubs plus populaires et faire décoller l’affluence des matchs.»
Sputnik France: Vous parlez d’accentuer la popularité du foot chez les filles. Ressentez-vous justement une certaine passion grandir en elles?
Maria Soutchkova: «Je dirais que oui. Je peux en attester avec la croissance de notre communauté. Il y a un réel engouement. Des filles viennent participer par vague à nos entraînements. Au tout début, bien évidemment, certaines avaient déjà joué au football, mais n’avaient nulle part où s’entrainer. Et lorsqu’elles ont entendu parler de nous, elles sont venues. Petit à petit, on a commencé à voir de plus en plus de femmes qui n'avaient jamais manifesté d’intérêt pour le football, ce qui était mon cas au début. […] C’est très étonnant parce qu'elles viennent sans attentes particulières, puis tombent amoureuses de ce sport. C'est comme si un monde totalement nouveau s'ouvrait à elles.»
Sputnik France: Quelles sont, pour vous, les difficultés que rencontrent encore les femmes russes dans le football et dans la société en général?
«Avec la Coupe du monde féminine, tout le monde parle de foot et des femmes, y compris en Russie.»
«Pourtant, indépendamment de cette compétition, on assiste à des changements: le football féminin est plus présent dans l’opinion publique et dans les médias. Je suis optimiste sur la manière dont les choses évoluent. Néanmoins, le point nodal reste le manque d’opportunités. Pour les filles, ils n’existent que très peu d’académies qui leur sont accessibles, car la plupart sont réservées aux garçons.»
«Même avec la plus grande détermination, elles doivent se battre avec acharnement pour exercer leur passion. Ce n’est pas une situation normale. C’est ce paradigme qu’on essaye de changer avec GirlPower FC.»
Sputnik France: Estimez-vous que le futur des femmes dans le foot est entre leurs pieds?
Maria Soutchkova: «C’est une question difficile car d’une part, il y a un développement fantastique comme en Angleterre ou aux Pays-Bas. On voit notamment à quel point la Coupe du monde est un succès en termes de billetterie et de couverture médiatique. On constate que les marques ont enfin réalisé qu’il y a un réel potentiel de développement. D’autre part, il y a encore beaucoup de stéréotypes à combattre, non seulement dans la société, mais aussi dans les institutions et le monde du foot. En Russie, en tout cas, le chemin est encore long.»