«Nous considérons que la mort ne doit pas être un marché.»
Nicolas Bonnet-Oulaldj, président du groupe PC-Front de gauche au conseil municipal de Paris, n’a pu qu’exprimer son désaccord le 13 juin dernier. Comme le relate Le Parisien, la création d’un nouveau parc funéraire en 2024 porte de la Villette a été approuvée par le Conseil de Paris, «dans la douleur». C’est la société privée, la SCF-FUNECAP, qui a été choisie plutôt que la SAEMPF, la société d’économie mixte des pompes funèbres de la Ville de Paris.
La même SCF-FUNECAP a été sélectionnée pour rénover le crématorium du Père-Lachaise et ses 5.900 crémations par an. Le bâtiment, classé monument historique, est le plus important du type en France et l’unique, pour l’instant, à Paris. En plus des travaux, d’un coût de 40 millions d’euros, selon Le Parisien, la SCF-FUNECAP obtient une délégation de service d’une durée de 30 ans pour les deux établissements.
«Après avoir cassé le monopole de l’Église sur les obsèques, l’État a chargé les communes de s’en occuper. Au début du XXe siècle, il existait partout des services municipaux. Petit à petit, par le biais de délégations de service public, les services d’obsèques ont été confiés à des entreprises privées. En 1993, les Pompes funèbres générales bénéficiaient d’un quasi-monopole, qu’elles ont perdu cette même année sous la pression de l’Union européenne et de son principe de libre concurrence non faussée. Le secteur a donc été libéralisé. Tout un tas d’entreprises s’est créé et s’est développé», explique Nicolas Pomiès de l’Union des Familles Laïques (UFAL), qui s’oppose aux privatisations.
C’est aujourd’hui FUNECAP, grand groupe créé par les financiers Xavier Thoumieux et Thierry Gisserot qui a remporté le gros lot. De quoi inquiéter Nicolas Pomiès:
«Lors de la période allant de 1993 à aujourd’hui, une sorte d’oligopole s’est constitué. La concurrence libre et non faussée européenne a finalement conduit à la disparition des petites entreprises, qui se sont fait absorber par de grands groupes comme FUNECAP. Aujourd’hui, quelques-uns d’entre eux se partagent la grande majorité du marché du funéraire français.»
Mais pourquoi ce passage au privé provoque-t-il un tel tollé? Éric Azière, président du groupe UDI-MoDem à Paris y voit des motivations idéologiques:
«Il y a une gauche parisienne, que l’on retrouve surtout chez les communistes, les insoumis et les écologistes, qui ne supporte pas les partenariats publics-privés. Ils n’acceptent pas que la ville de Paris délègue la gestion d’une partie des services publics au secteur privé. Nous, au groupe UDI-Modem, sommes historiquement de sensibilité libérale et donc à l’inverse plutôt favorable à ce type de partenariat. Nous ne sommes pas non plus dans le systématisme, mais quand cela fonctionne bien, nous sommes pour les favoriser. Les communistes, les insoumis et les écologistes voient une régie municipale souveraine et omnipotente.»
Dans une tribune au journal Le Monde, publiée le 5 juin, François Michaud-Nérard, ancien directeur général de la SAEMPF voit dans le choix de la municipalité de Paris une fragilisation du service public funéraire, qui pourrait «amener sa disparition» ce qui «contribuerait à faire exploser les prix des obsèques à Paris». Que nenni, lui a répondu Pénélope Komitès, adjointe (PS) à la mairie de Paris, qui s’est elle aussi fendue d’une tribune dans Le Monde afin de répondre à son détracteur. «Les tarifs qui seront mis en œuvre à compter du 1er septembre par l’attributaire proposé sont d’ailleurs soit équivalents soit inférieurs à ceux actuels. Leur évolution pendant les trente prochaines années fait elle aussi l’objet d’engagements stricts garantis par contrat», assure-t-elle.
Éric Azière abonde: «Le cahier des charges est très précis là-dessus. Un service social avec des prix bas sera maintenu. Cela ne changera rien concernant les tarifs pour les plus défavorisés.» Pénélope Komitès rappelle également qu’il ne s’agit pas de privatisation au sens classique. «Les deux crématoriums resteront les propriétés exclusives de la Ville de Paris et reviendront à la Ville dans trente ans», affirme l’élue citée par Le Parisien.
Pas de quoi convaincre Nicolas Pomiès:
«Sur tout un tas de sujets, on nous avait vendu la libre concurrence non faussée de l’Union européenne. Le résultat, c’est que le pouvoir d’achat des consommateurs n’a pas été défendu, c’est partout l’inverse qui s’est produit. Regardez ce qu’il se passe actuellement sur l’électricité… Nous allons assister à la même chose dans le funéraire. La privatisation va mener à l’inflation.»
Mourir coûte cher en France. Les proches des défunts se retrouvent souvent à devoir composer avec des situations financières délicates. «En ce qui concerne le coût global pour des obsèques avec une crémation, comptez en moyenne entre 2.150€ et 4.240€ en province et entre 2.600€ et 4.820€ en région parisienne et méditerranéenne», souligne le comparateur d’assurances Assurland.
Nicolas Pomiès pointe également un possible conflit d’intérêts pour la SCF-FUNECAP:
«Pour les familles qui ont de l’argent, il n’y a aucun problème. Elles paieront des sommes rondelettes. Mais pour les autres, c’est souvent des contrats d’assurance-obsèques qui sont souscrits. C’est à dire un prépaiement des obsèques par le futur défunt. Le souci, c’est que les groupes comme FUNECAP proposent non seulement leurs services d’obsèques, mais également leurs services d’assurance, en partenariat avec des assureurs. Ceci va provoquer de l’inflation. Si la personne qui fait le devis pour une assurance obsèques est celle qui fait la facture à la fin, forcément les prix vont grimper. Ce type de schéma n’est pas possible dans le service public.»
Éric Azière maintient que confier l’activité funéraire à des professionnels n’a rien d’aberrant: «L’État n’a pas à faire tout un tas de métiers, comme gérer les aéroports de Paris par exemple. Il gère d’ailleurs généralement très mal. Si les collectivités gèrent relativement mieux, elles ne le font pas non plus très bien. Le tri et le traitement des ordures ménagères sont un métier, le contrôle du stationnement payant aussi. Et l’on s’aperçoit qu’il est géré de manière plus rigoureuse par le privé.» Avant d’ajouter:
«La réalité, c’est que dans de très nombreuses communes de France, les opérations funéraires sont confiées à des commerçants dont c’est le métier. FUNECAP est un des leaders français du secteur. Nous avons besoin que les opérations funéraires soient faites de manière professionnelle à Paris. La situation des cimetières dans la capitale est plus que tendue. Nous avons besoin d’incinérations bien faites. FUNECAP a remporté un marché et je ne comprends pas que l’on puisse y voir une opération capitalistique plutôt que de l’efficacité par rapport à une situation très particulière à Paris. Je rappelle que cette ville compte environ 5.000 demandes d’inhumation par an pour 150 places disponibles. Se faire enterrer à Paris relève du parcours du combattant pour les familles. Les demandes d’incinération sont très importantes. La rénovation du crématorium du Père-Lachaise et la création du second établissement devraient permettre d’améliorer la situation.»
En plus d’une promesse de redevance d’un montant de 107 millions sur 30 ans pour FUNECAP contre 71 pour la SAEMPF, selon les informations du Monde, c’est le projet architectural du nouveau crématorium qui a fait la différence. «Il n’y avait pas photo» a déclaré Pénélope Komitès, toujours au quotidien vespéral.
Malgré le choix de l’architecte japonais Shigeru Ban, multirécompensé et notamment à l’origine de la Seine Musicale dans les Hauts-de-Seine, la SAEMPF a vu le projet présenté par FUNECAP l’emporter.
«Le projet de SAEMPF était absolument à côté de la plaque. Le terrain choisi pour la construction de ce second crématorium est situé en face de la ville de Pantin. Le projet de la SCF-FUNECAP offrait une transversalité et une transparence parfaite dans son architecture. L’autre projet prévoyait un mur de briques côté banlieue. Il donnait le sentiment que le bâtiment lui tournait le dos. Ce n’était pas très malin», déclare Eric Azière.
Reste que l’avenir de la SAEMPF ne semble pas compromis. Comme le rappelle Le Monde, l’entreprise est «largement bénéficiaire» et détient toujours 20% du marché des obsèques dans la capitale. Un marché qu’elle a réussi à sauvegarder face aux appétits de… la FUNECAP.
Pour sa part, Nicolas Pomiès voit un problème d’ordre éthique et une forme d’atteinte à la laïcité dans la privatisation des crématoriums parisiens:
«Ici par laïcité, j’entends non seulement la séparation de l’État et de l’Eglise, mais également des forces économiques. Il faut respecter le droit pour chaque citoyen, à certains moments de leur vie et même de leur mort, à bénéficier d’une déconnexion par rapport aux forces du marché. La laïcité protège et crée de l’égalité afin que les gens soient en mesure de pouvoir respirer en dehors des lois du marché. La mort d’un proche n’est jamais évidente pour les familles et elles devraient pouvoir passer ces épreuves et faire leur deuil sans avoir à gérer tous ces problèmes économiques. Nous allons droit vers un rapport marchand, comme si nous allions faire nos courses au supermarché. Les familles ne devraient pas être concernées par une concurrence du marché capitaliste quand elles disent adieu aux leurs.»