Samedi 22 Juin, les Mauritaniens se rendront aux urnes pour élire le successeur du Président Mohamed Ould Abdel Aziz dont le deuxième mandat arrivera à son terme au mois d’Août prochain. Elu en 2009, le Chef de l’Etat mauritanien n’a cessé de répéter, depuis un an, qu’il ne se représenterait pas pour un troisième mandat, non autorisé par la constitution mauritanienne actuelle.
Le Conseil constitutionnel a approuvé six candidatures, dont celle de Mohamed Ould Ghazouani, candidat soutenu par le Président sortant. Celui-ci, fidèle ami du Président Abdel Aziz, se présente sous la bannière de l’Union Pour la République (UPR), le parti au pouvoir depuis 10 ans. Militaire de carrière comme le Chef de l’Etat actuel, il a notamment participé au coup d’Etat de 2008 ayant permis au Président Abdel Aziz de s’emparer du pouvoir et de s’y maintenir jusqu’aux élections de cette année.
Dans cette élection qui se veut ouverte, ce dernier entend capitaliser sur le bilan sécuritaire d’Abdel Aziz mais hérite, cependant, d’une situation économique et sociale fragile comme le fait remarquer notre analyste :
« Le chômage, notamment celui des jeunes, atteint des niveaux jamais égalés, la dette extérieure, de l’aveu même de la Banque Mondiale atteint des records et des segments entiers de l’économie sont en déliquescence » résume Moussa Ould Samba Sy au micro de Sputnik France.
Des problèmes que le Dauphin désigné d’Abdel Aziz a adressé dans ses promesses de campagne et notamment en proposant la construction de "dix mille logements en faveurs des pauvres", comme l’indique l’agence de presse Al Akhbar, basé à Nouakchott.
Pour le Rédacteur en Chef du Quotidien de Nouakchott, une chose en tout cas est certaine: Ould Ghazouani ne pourra pas faire l’impasse sur les questions de lutte contre la pauvreté et de redressement de l’économie. D’autant que, selon le site Mondafrique, le taux de chômage est à 31,5% et la Mauritanie ne se classe qu’au 156e rang de l’Indice de Développement Humain (indice statistique mesurant la santé l'éducation et la pauvreté, ndlr).
La pauvreté, point nodale de l’élection
Pour la plupart des opposants, il s’agit en effet de thèmes de campagne largement repris. Mohamed Ould Boubacar, candidat indépendant, est l’un des plus sérieux challenger de Mohamed Ould Ghazouani. Il pense que le pouvoir d’achat des Mauritaniens n’a pas suffisamment décollé au cours des dernières années malgré les bons résultats de l’économie.
Ex Premier ministre, à la tête du gouvernement de transition de 2005 à 2007, Mohamed Ould Boubacar sait de quoi il parle. Il peut, de surcroit, compter sur le soutien de Tawassoul, parti d’opposition islamiste proche des frères musulmans, qui ratisse parmi les couches populaires en Mauritanie du fait de la très grande religiosité du peuple.
« C’est sans doute le parti politique mauritanien le plus structuré et le mieux organisé dans les joutes électorales », souligne Ould Samaba Sy qui s’attend à un score du candidat soutenu par Tawassoul.
La lutte contre la pauvreté est aussi un thème privilégiés dans la campagne de Mohamed Ould Mouloud, candidat pour l’Union des Forces du Progrès (UFP). Professeur d’histoire à l’université de Nouakchott, réputé proche de l’idéologie marxiste, il est le candidat de la Coalition des Forces du Changement Démocratique (CFDC), regroupant différents partis de la gauche « radicale ».
Ce dernier a reçu le soutien de poids d’Ahmed Ould Dadah, opposant historique, président du Rassemblement des Forces Démocratiques (RFD), qui a dû renoncer à se présenter du fait de la limite d’âge (75 ans). Un tel soutien est un plus incontestable, selon Ould Samba Sy pour qui:
« Un leader avec le passé militant d’Ahmed Ould Dadah ne peut être qu’un grand apport pour tout candidat en Mauritanie ».
La cohésion nationale et l’esclavage, autre enjeu majeur.
Candidat malheureux de la présidentielle de 2014 avec 9% seulement des voix dans une élection qui avait été largement boycottée par l’opposition, Biram Ould Dah Ould Abeid garde la même ligne qu’il y a cinq ans.
Ses combats politiques, notamment la défense de la population haratine (anciens esclaves des Maures, ndlr) lui ont valu deux passages en prison en 2014 et 2018 ainsi que de nombreux prix internationaux récompensant son engagement politique pour l’abrogation totale de l’esclavagisme.
Militant anti-esclavagiste avec un profil à l’international lui permettant de rebondir entre chaque arrestation, Biram Dah Abeid se présente sous la coalition IRA-Sawab, alliance entre son parti, l’Initiative pour la Résurgence du mouvement Abolitionniste et le mouvement Sawaab (parti nationaliste arabe et baathiste).
Cet Historien a décidé de faire campagne sur une critique « systémique » du Président sortant et de son dauphin, notamment sur la question des Droits de l’Homme et de la « cohésion nationale » (allusion au conflit ethnique entre les populations de part et d’autre du fleuve Sénégal en 1989, ndlr). Un pari apparemment réussi, selon la plupart des observateurs de la vie politique mauritanienne :
« Tout le monde s’accorde à dire qu’il a fait une campagne sans faute. Il a eu le discours le plus percutant et le plus critique envers le camp adverse. Il devrait faire une percée remarquable surtout qu’il a pénétré des milieux qui, jusqu’ici lui étaient relativement hostiles comme le mouvement Sawaab », commente pour Sputnik France Ould Samba Sy.
Autre candidat, Baba Hamidou Kane avait terminé lors de la présidentielle de 2009 avec moins de 2% des voix. Grâce à sa Coalition Vivre Ensemble (CVA), il espère cette fois ci améliorer nettement son score.
« Baba Hamidou Kane a été candidat par le passé, donc il est déjà connu. De plus il bénéficie de l’appui de larges pans de la société négro-africaine. Il devrait donc faire un score nettement meilleur que lors de sa précédente candidature », ajoute-t-il.
Journaliste de formation, il a notamment travaillé en tant que consultant pour l’ancien chef d’Etat Ould Ahmed Tayaa. Il espère gagner des voix en défendant une ligne basée sur la cohésion nationale et une plus grande égalité vis-à-vis des populations négro-mauritaniennes.
Candidat le moins expérimenté, Mohamed Lemine El-Moutrej El-Wayi, haut fonctionnaire au Trésor est très peu connu du grand public, d’autant qu’il se présente en candidat indépendant. Il propose un programme en 99 points couvrant une large panoplie de sujets sur le plan économique que social, mais selon tous les observateurs, ses chances de faire un bon score sont minces.
« Mohamed Lemine El-Moutreji El-Wayi est un candidat quasi inconnu du grand public qui n’a aucune chance de percer », affirme Moussa Ould Samba Sy
En campagnes officielles depuis le 7 juin, les candidats ne sont pas tous logés à la même enseigne. Ceux qui ont les moyens de parcourir les millions de kilomètres carrés du territoire mauritanien sont rares. La plupart se contente de meetings à Nouakchott et dans les grands centres urbains.
Considérées comme « ouvertes », ces élections présidentielles permettront-elles de surmonter le vote clanique, habituel dans ce pays désertique où l’appartenance tribale reste fondamentale ? Pour Moussa Ould Samba Sy, certains candidats pourraient réserver des surprises quant à l’issue finale « à condition que le scrutin soit véritablement transparent ». Encore faut-il pour cela que les Mauritaniens se déplacent pour aller voter en masse.