Dans un entretien accordé au média sud-africain Mail & Guardian, diffusée le 4 juin 2019, le ministre burkinabè de la Défense, Moumina Sheriff Sy, a estimé que l’opération Barkhane initiée en août 2014 par la France, avec ses ressources technologiques et militaires d’environ 4.500 hommes, aurait dû venir à bout des groupes djihadistes qui évoluent dans la région du Sahel.
«Ils ont peut-être 4.000 hommes dans la région, ils ont toutes les ressources militaires et technologiques, je suis donc surpris qu’ils n’aient pas été en mesure d’éradiquer ces groupe de terroristes. Il nous semble que, s’ils le voulaient vraiment, ils auraient pu les battre. Ont-ils un autre agenda?», s’est interrogé Sheriff Sy.
Ces propos du ministre de la Défense du Burkina, nommé en janvier 2019, semblent témoigner d’une perte de confiance dans la France. Par ailleurs, le ministre a exprimé des doutes sur les chances de réussite de la mission de lutte contre le terrorisme dévolue à la force conjointe du G5 Sahel.
De plus, la force a enregistré un sérieux revers lors de l’attaque, le 29 juin 2018. Une attaque de son quartier général à Sévaré, dans le centre du Mali, qui a occasionné trois morts et d’importants dégâts matériels.
Interrogé par Sputnik, le diplomate de formation burkinabè Paul Oumarou Koalaga, spécialiste des relations internationales, expert en sécurité et défense, notamment en ce qui concerne les questions de terrorisme et d’extrémisme violent, soutient que les propos du ministre Sheriff Sy, ainsi que les chances de réussite de la mission de le force conjointe du G5 Sahel, sont à relativiser.
Sputnik France: Le ministre de la Défense Sheriff Sy estime que la force conjointe du G5 Sahel ne réussira pas à accomplir sa mission de lutte contre le terrorisme dans la région. Il n’est d’ailleurs pas le seul à le penser, il y a notamment un ex-Général français, Clément Bollée, qui doute de l’efficacité de cette force sur le terrain. Partagez-vous leur point de vue ?
Oumarou Koalaga: Pour pouvoir mieux cerner la force conjointe du G5 Sahel, il faut revenir aux origines de sa création. Cette force n’avait pas initialement vocation à lutter dans la région.. Elle s’inscrivait, avec d’autres composantes, dans une dynamique d’ensemble pour la sécurité en luttant contre la grande criminalité. Mais étant donné l’urgence et les attaques terroristes répétées, il a fallu que cette force se mette en place et puisse agir. Cela pose naturellement un problème de logistique et de financement pour la force. Notons qu’il y a quand même déjà eu une dizaine d’opérations depuis le lancement officiel de la force dans les trois fuseaux (la force est composée de sept bataillons répartis sur trois fuseaux est, ouest et centre, ndlr). Il y a également eu une coordination entre l’ensemble des fuseaux pour essayer de monter progressivement en puissance, mais il y a encore plusieurs défis à relever, et le financement tarde à venir. Quand on regarde tout ce qu’il y a comme difficultés et obstacles, on peut évidemment se poser un certain nombre de questions.
Oumarou Koalaga: Tout d’abord, il faut comprendre le rôle de la force Barkhane dans la région du Sahel. Sa mission est une mission d’appui et de partenariat. L’opération Barkhane, tout comme les forces onusiennes au Mali, a un mandat. Par moment on s’interroge aussi sur ce que veulent réellement nos dirigeants voire les populations de façon plus globale : le gouvernement est très soucieux du respect de l’intégrité territoriale, de la souveraineté, mais il souhaite aussi une intervention. Il faut noter la complexité de l’action de l’opération Barkhane sur le terrain ; il faut savoir que populations locales voient l’opération Barkhane comme une force d’occupation.
La perception idéologique du ministre de la Défense Shériff Sy entre en ligne de compte. Mais si on pousse la réflexion, le ministre fait peut-être aussi dans la provocation pour fouetter l’orgueil du partenaire français afin qu’il puisse agir et démontrer le contraire.
Oumarou Koalaga: L’appréhension des habitants est légitime. J’ajouterai par ailleurs que déplacer le quartier général, équivaut à admettre une certaine victoire des terroristes. En dépit des difficultés, il aurait été convenable de trouver des mécanismes ou moyens de rester sur place à Sévaré. Cela donnerait un signal fort non seulement aux terroristes, mais rassurerait les populations, en leur faisant comprendre qu’elles ne sont pas seules.
Oumarou Koalaga: Ces morts sont assez regrettables. La situation actuelle n’honore pas le Burkina Faso. C’est vrai que cette menace est différente de toutes celles que le pays a connues auparavant. Mais quand on se trouve dans une zone trouble comme la zone sahélo-saharienne, et que l’on partage une frontière commune avec le Mali, qui est constamment attaqué, il aurait peut-être fallu anticiper et envisager des mesures fortes. La menace a révélé la fébrilité du gouvernement dans sa gestion et les insuffisances des forces de défense et de sécurité.
Sputnik France: La réaction des autorités burkinabè pour enrayer ces attaques vous paraît-elle appropriée ?
Oumarou Koalaga: Le gouvernement, du moins dans les discours officiels, montre beaucoup de volonté et de détermination à en découdre avec le terrorisme, mais force est de constater qu’entre ce qui se dit et la réaction sur le terrain, il y a un gouffre. Pour relativiser un peu tout ça, on peut mettre au crédit des autorités les deux opérations d’envergure menées avec le soutien de la France, pour essayer d’atténuer les choses dans le nord du Burkina à la fin du mois de mai. Des efforts ont été faits, le gouvernement a montré de bonnes intentions pour non pas éradiquer le terrorisme, mais pour le réduire, et minimiser la capacité de nuisance de ces forces ennemies.
Sputnik France: Que préconisez-vous pour lutter contre le terrorisme au Sahel et au Burkina en particulier ?
Oumarou Koalaga: Dans ce combat contre le terrorisme, il y a deux volets : un volet militaire et la résilience des populations. En termes de prévention, je pense qu’il faut beaucoup plus travailler sur la déradicalisation des jeunes ; contrer un certain nombre de discours extrémistes sur les réseaux sociaux notamment ; œuvrer à la cohésion sociale; et ne surtout pas oublier de mener des actions très urgentes pour mettre à l’abri les jeunes et les femmes qui vivent dans la précarité et sont les plus vulnérables devant les bras ouverts des terroristes.
En définitive, il faut savoir que seul, le Burkina dont les ressources sont limitées, ne pourra pas venir à bout des terroristes. Il va évidemment falloir compter sur les partenaires internationaux.