Pékin fait sa première victime dans la guerre commerciale contre les USA

Les autorités chinoises ont ouvert une enquête sur le plus grand service de livraison américain, FedEx, accusé de violer les droits et les intérêts des consommateurs chinois. Cette démarche fait suite à une plainte de la compagnie Huawei frappée par des sanctions sévères de la Maison-Blanche.
Sputnik

Selon les observateurs, les Chinois comptent montrer qu'ils n'ont pas l'intention de subir les coups de Washington et sont prêts à riposter. L'arsenal chinois renferme des punitions potentiellement «terribles» pour les États-Unis, écrit le quotidien Nezavissimaïa gazeta.

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Le géant américain du secteur de l'expédition FedEx est ainsi accusé par Pékin d'enfreindre les droits et les intérêts légitimes des clients chinois en transgressant des lois et des normes chinoises réglementant ce domaine d'activité.

«Ces derniers temps, la compagnie FedEx effectuait des livraisons en Chine à de mauvaises adresses, ce qui a porté un grave préjudice aux droits et aux intérêts des consommateurs et a enfreint les procédures de travail du secteur des livraisons de la Chine. Le département chinois compétent a décidé de mener une enquête», rapporte l'agence de presse Xinhua.

L'enquête sur la société logistique a été initiée par Huawei, devenue la cible de Washington dans sa guerre commerciale contre Pékin. Les Chinois ont accusé FedEx d'avoir envoyé plusieurs colis à leur siège aux États-Unis au lieu de les livrer directement dans les bureaux asiatiques de Huawei. Il était question d'importants documents commerciaux. Huawei ne comprend pas pourquoi le service d'expédition américain a agi ainsi. Se référant aux enregistrements de suivi des colis, la compagnie affirme que FedEx aurait cherché à modifier les itinéraires de deux autres colis du Vietnam adressés aux représentations asiatiques de la compagnie pour les renvoyer aux États-Unis.

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FedEx a présenté des excuses publiques pour ce «traitement incorrect» des colis de Huawei en affirmant que le changement d'adresse était dû à une erreur. De plus, la compagnie s'est dite prête à collaborer avec l'enquête chinoise.

La version en ligne du Quotidien du Peuple souligne qu'en Chine, personne ne dépasse le cadre de la primauté du droit et remarque que l'enquête montrera si ces colis ont été «livrés par accident» ou «interceptés».

L'histoire de FedEx constitue un nouvel épisode retentissant de la guerre commerciale qui s'intensifie entre Washington et Pékin. Et il ne faut pas s'attendre à ce que la confrontation entre les deux plus grandes puissances économiques s'arrête là. Vendredi dernier, le ministère chinois du Commerce a annoncé qu'il préparait une liste des «entreprises étrangères non fiables». De cette manière, Pékin contre-attaque après que le département américain du Commerce a inscrit Huawei sur liste noire.

«Les compagnies, les organisations et les personnes étrangères qui ne se soumettent pas aux règles du marché, s'écartent de l'esprit du contrat, décrètent des embargos ou cessent d'assurer les livraisons aux compagnies chinoises pour des raisons non commerciales et portent sérieusement atteinte à leurs intérêts et droits légitimes, seront inscrites sur la liste des entreprises non fiables», a déclaré le porte-parole du ministère du Commerce Gao Feng. Sans préciser quels pays et entreprises concrètement seront concernés par cette décision.

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«Il est évident que cette liste vise principalement les fournisseurs de Huawei, Intel, Qualcomm, ARM… en tout cas elle vise les compagnies non américaines, plus exactement les entreprises européennes, sud-coréennes et japonaises, qui pourront essayer de décider dans quelle mesure elles doivent respecter les règles américaines», analyse Andrew Polk, économiste chez Trivium China, dont les propos sont rapportés par le site Rappler. Selon ce dernier, les entreprises se retrouveront dans une situation où elles devront choisir entre les États-Unis et la Chine.

De son côté, le quotidien Global Times indique que la nouvelle liste «servira de facteur dissuasif créant une barrière de protection autour des compagnies chinoises». «La Chine est prête à mener une longue guerre économique et commerciale contre les USA», souligne l'éditorial du journal.

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Au sujet de l'enquête ouverte sur FedEx, Andreï Karneev, directeur adjoint de l'Institut de l'Asie et de l'Afrique affilié à l'Université d’État Lomonossov de Moscou, a noté que les Chinois n'avaient pas choisi cette société américaine par hasard mais pour sa popularité. En agissant ainsi, les autorités chinoises veulent montrer publiquement et avant tout à leur propre population qu'elles ne craignent pas les États-Unis et qu'elles sont à même de riposter.

«C'est typique de la Chine: ne pas perdre la face, montrer qu'elle ne tend pas constamment aux Américains tantôt une joue, tantôt l'autre, mais qu'elle les punit également. En même temps, elle le fait pour éviter une grave escalade susceptible d'entraîner des événements très négatifs. Je trouve que c'est la raison pour laquelle ils ont choisi un épisode pas très marquant. Dans le même temps, c'est une sorte de satisfaction psychologique pour les Chinois. Nous avons aussi tapé les Américains sur le nez, laissant entendre que la prochaine fois nous pourrons utiliser quelque chose de plus terrifiant», a déclaré l'expert à Nezavissimaïa gazeta.

Il rappelle que les Chinois disposent de plusieurs autres punitions plus «terribles» pour les Américains. Notamment l'interdiction totale d'exporter des terres rares aux USA - dont ces derniers dépendent sérieusement - ou encore la vente d'obligations du Trésor américain.

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Les experts admettent que l'épisode de FedEx ait pu être déclenché par Pékin pour faire de la place à la compagnie chinoise Alibaba Group, géant mondial du commerce en ligne. Toutefois, Andreï Karneev est sceptique quant au fait que cela ait pu constituer un motif pour les autorités chinoises.

«Si c'était le cas, Pékin agirait autrement. Quand ils cherchent à s'emparer d'un marché ou d'un segment de marché, ils agissent au contraire de manière non publique, en douceur et lentement», précise l'expert.

Et d'ajouter que dans les conditions de la tension actuelle, le gouvernement chinois agit de sang-froid sans céder à la panique.

«Actuellement, la Chine s'efforce de créer au niveau international l'impression suivante: regardez, les Américains agissent comme un éléphant dans un magasin de porcelaine, transgressent les règles, alors que nous protégeons la liberté du commerce, nous luttons contre le protectionnisme, nous sommes opposés à commettre des infractions au profit de nos compagnies. Je pense que les allusions au sujet d'Alibaba ne sont pas très justes. Du moins, je serais très étonné s'il s'avérait que tout cela a été organisé pour cette compagnie», reconnaît Andreï Karneev.

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur de l'article repris d'un média russe et traduit dans son intégralité en français.

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