Des «barbecues» pour lutter contre les suicides dans la police? «C’est pitoyable»

32 policiers se sont suicidés depuis le début de l’année. Devant cette hécatombe, la direction de la police nationale a distribué une note visant à renforcer la convivialité entre collègues en organisant notamment des «barbecues». Une initiative jugée sévèrement par Loïc Travers, secrétaire national adjoint d’Alliance. Il s’est confié à Sputnik.
Sputnik

 

«C’est n’importe quoi!»

Loïc Travers, secrétaire national adjoint de la section Île-de-France du syndicat de police Alliance, est loin d’être convaincu par la dernière initiative de la direction de la police nationale afin d’endiguer la vague de suicides qui frappe la profession.

​Dans le cadre du programme «mobilisation contre le suicide», une note a été distribuée le 27 mai aux chefs de service de la police nationale. C’est Éric Morvan, directeur des flics de France, qui en est à l’origine. Et le contenu peut sembler… déconcertant. Comme le relate FranceInfo, qui a eu accès au document, ce dernier «appelle les policiers à renforcer la “convivialité” entre collègues avec des initiatives de groupe, “organiser des temps collectifs de loisirs autour d’un barbecue, d’une sortie sportive ou d’un pique-nique”.»

«Nous n’avons pas attendu cette note pour mettre en place des moments de convivialité entre collègues, que ce soit pendant les temps de pause en service ou hors du service. Nous fêtons les naissances, les mariages, les prises de galons, etc. Le fait de rappeler aux chefs de service qu’il faut de la convivialité au sein de la police nationale est pitoyable. Cela devrait être un outil managérial utile et utilisé. Si ce n’est pas le cas, c’est que nous avons affaire à de mauvais chefs. Mettre en avant les tableaux de bord et les statistiques en oubliant les hommes est inhumain», s’insurge Loïc Travers.

Le 31 mai, un commandant divisionnaire fonctionnel s’est donné la mort à son domicile en Seine-et-Marne. Il s’agit du 32e membre de la police nationale depuis le début de l’année. Une tendance qui s’accélère dramatiquement, puisqu’en 2018, 35 policiers et 33 gendarmes se sont suicidés, selon le ministère de l’Intérieur.

​Une situation qui a poussé fin avril la place Beauveau à ouvrir une cellule «alerte prévention suicide» à destination des policiers. Elle a notamment pour but de «faciliter l’appel à l’aide et à sensibiliser la hiérarchie afin d’identifier les personnes fragilisées et de les accompagner» selon BFMTV. La ligne de soutien psychologique qui était déjà en service voit ses horaires étendus 24 h/24, 7 jours sur 7.

Un retour vers plus de souplesse?

Selon FranceInfo, «l’idée générale de la note est que le renforcement des liens entre collègues améliore l’humeur générale, le sentiment d’appartenance à un groupe et limite l’isolement des plus fragiles». Une goutte d’eau dans l’océan pour Loïc Travers, qui juge que ce type d’initiative «améliorera la situation d’un ou deux pour cent»:

«Cela ne va pas permettre de lutter efficacement contre le mal-être des forces de l’ordre. Nous avons fait plus de 30 propositions en ce sens afin d’améliorer les conditions de travail des policiers. Cela passe par des locaux décents, des voitures en bon état, du matériel correct, etc. Il y a tout un tas d’autres mesures qui pourraient aider les policiers. Par exemple, on pourrait favoriser l’installation de jeunes policiers en région parisienne. Comment voulez-vous qu’ils s’en sortent avec 1.800 euros de salaire et 1.000 euros de loyer?»

«Et ce n’est évidemment pas avec un barbecue que l’on va régler le mal-être dans les rangs de la police!», affirme à nos confrères du Figaro David Le Bars, secrétaire général du syndicat des commissaires de la police nationale (SCPN). D’après lui, la réforme de la police de 1995 a «militarisé» la fonction. Elle aurait banni les «moments de détente», comme l’explique Le Figaro.

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Pour David Le Bars, «la tendance hiérarchique a été de tout interdire». «Les hauts responsables s’ingénient aujourd’hui à recréer ce que l’Administration a détruit. On en est là!», tempête quant à lui Patrice Ribeiro, secrétaire général de Synergie-officiers, toujours au Figaro.

Le moment est-il venu de desserrer à nouveau la vis? «Le management est beaucoup trop vertical au sein de la police nationale. Il faut qu’il soit davantage horizontal et participatif», assure Loïc Travers. Mais encore une fois, le membre d’Alliance voit les priorités ailleurs:

«Un autre point crucial concerne la protection fonctionnelle. Quand les policiers sont attaqués, c’est tout un pataquès pour obtenir le soutien de l’État pour se défendre. Je vous donne un exemple précis: la rébellion. Elle a une définition précise au niveau judiciaire, mais l’Administration a introduit la “rébellion passive”. Résultat? Si un collègue est blessé dans le cadre d’une “rébellion passive” ou que sa montre ou ses lunettes sont cassées, voire ses vêtements détériorés, eh bien il ne bénéficiera pas de la protection fonctionnelle et ne pourra pas être indemnisé.» 

Ces dernières semaines, plusieurs manifestations de policiers ont eu lieu pour dénoncer la vague de suicides qui touche les gardiens de la paix. Le 12 mars, un rassemblement s’est tenu à l’appel de plusieurs associations au Trocadéro à Paris. D’autres sont-ils à attendre? Loïc Travers assure que rien n’est prévu à court terme du côté d’Alliance. Pourtant, le policier s’impatiente:

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«Nous avons la sensation de ne pas être une priorité. Une réunion pilotée par le ministère de l’Intérieur devait être organisée le 13 juin pour faire un point sur la situation dans la police et les suicides. Elle a été reportée. 32 policiers se sont suicidés depuis le début de l’année et on reporte une telle réunion. C’est un signal vraiment très mauvais.»

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