19 membres de la police nationale se sont suicidés depuis le début de l'année… sans compter un gendarme, un membre de la police municipale et un employé de l'administration pénitentiaire. Ce sont les chiffres macabres de l'association des Femmes des Forces de l'Ordre en Colère (FFOC). Cette dernière et plusieurs autres organisations (CLIP, MPC, UPNI, H.S, ASSOPOL, UED) ont lancé un appel au rassemblement des forces de l'ordre dans la capitale.
À 20h ce 12 mars, au Trocadéro, des policiers et leurs proches tenteront d'attirer l'attention des pouvoirs publics sur leurs «conditions de travail déplorables et inadmissibles, qui poussent chaque année des dizaines de collègues au suicide», comme le souligne une lettre ouverte des organisateurs aux syndicats de la police nationale. Notre correspondant sera sur place.
#ProtégeretMourir #RéagirPourLaPolice
— FFOC (@_FFOC_) 7 mars 2019
Parce que l’union fait la force 💪
Nous appelons tous les syndicats à nous rejoindre!@alliancepolice @UNITESGPPOLICE @UNSAPOLICE @VIGI_MI @francepolice @PoliceSCSI @ScpnCommissaire @Alternative_PN @FpipPolice… pic.twitter.com/m4RgRvBs62
Entre des manifestations des Gilets jaunes qui se succèdent depuis plusieurs mois, celles pour l'Algérie et les récentes émeutes à Grenoble, les forces de l'ordre sont très sollicitées. Mais le malaise remonte à loin. En 2016, un mouvement inédit avait lancé pour plusieurs mois des milliers de policiers en colère dans la rue. Équipés de leurs brassards «police» et pour certains le visage dissimulé, ils défilaient, notamment la nuit, à Paris ou en province. Cet élan de protestation avait été déclenché par l'attaque de deux véhicules de police au cocktail Molotov à Viry-Châtillon, dans l'Essonne. Un drame qui avait vu deux fonctionnaires grièvement blessés.
Pour Aurélie Laroussie, rien n'a changé:
«La preuve, nous redescendons dans la rue. En 2018, la commission d'enquête sur l'état des forces de l'ordre, présidée par les sénateurs Michel Boutant et François Grosdidier, a produit un énorme travail qui a donné un excellent rapport. De nombreuses propositions en sont ressorties, notamment afin de lutter contre le fléau des suicides dans la profession. À l'heure actuelle, rien n'a été acté. Cela s'est perdu dans les hautes sphères. On ne sait pas.»
Ne sentant pas écoutée, son association a voulu agir. Avec les autres organisateurs de la manifestation, elle souhaite prolonger le combat entamé en 2016. A l'époque, c'est l'association Mobilisation des policiers en colère (MPC) qui avait impulsé la fronde. Elle a été fondée par Maggy Biskupski, une policière de 36 ans qui s'est suicidée avant d'être retrouvée à son domicile le 12 novembre dernier.
Le retour des Gyros bleus?
«Castaner a promis 33 millions aux policiers et aux gendarmes. Nous attendons. Cela suffit, les effets d'annonce», lance, agacée, Aurélie Laroussie. Afin de donner plus de poids à leurs demandes, les organisateurs du rassemblement ont lancé un appel aux syndicats. Si certains, comme Vigi ou France Police-Policiers en colère, ont confirmé leur participation à Sputnik France, pas de trace d'une quelconque annonce en ce sens venant des trois principales organisations que sont Alliance, l'UNSA et Unité SGP Police FO.
«Nous aussi nous avons cherché… Nous avons invité tous les syndicats à nous rejoindre. À la base, nous sommes des associations apolitique et asyndicale, mais l'heure est grave. Nous estimons que nous devons tous nous unir pour la cause. Quelques syndicats ont accepté d'être présents, mais pas de réponse du côté des trois majoritaires.»
Sputnik France a tenté de contacter plusieurs responsables d'Alliance afin de connaître leur position. Nous n'avions toujours pas obtenu de réponse au moment d'écrire ces lignes.
Dans leur lettre aux syndicats, les organisateurs font référence à des «revendications communes». Pour la présidente de FFOC, elles sont «plus ou moins les mêmes qu'en 2016»:
«Nous demandons plus de matériel et d'effectifs. Vous avez des voitures de police dans des états pas croyables ou des gilets pare-balles périmés. Il faut aussi revoir les cycles horaires, qui sont totalement incompatibles avec une vie sociale et de famille, ce qui peut également jouer sur les suicides. Une réponse pénale adaptée pour les délinquants est urgente. Vous avez des femmes et des hommes qui font le boulot sur le terrain, mais des individus parfois arrêtés des dizaines de fois sont toujours dehors. Je veux bien que les prisons soient pleines, mais nos policiers ne peuvent pas travailler pour rien. C'est décourageant.»
En tant que femme de policier, elle dénonce un quotidien compliqué, fait de peur et d'intimidations, comme lorsque l'une de ses adhérentes a reçu une menace de viol sur le pare-brise de son véhicule:
«Être femme de policier en France en 2019, c'est faire un bisou à son mari avant qu'il prenne son service et espérer qu'il rentre en vie et non blessé. C'est subir insultes et menaces sur les réseaux sociaux ou dans la vie réelle. Certaines femmes de policier ne peuvent même pas faire sécher l'uniforme de leur mari dans le jardin. Ce sont des pneus crevés. C'est cacher le métier de nos maris. C'est dire à nos enfants de garder secrète la profession de leur papa ou de leur maman à l'école. En début d'année scolaire nous inscrivons "fonctionnaire" pour la profession. Pas plus.»
Le rassemblement de ce 12 mars est soutenu par plusieurs personnalités médiatiques et politiques. Le scénariste et réalisateur Olivier Marchal, connu notamment pour la série «Braquo» a publié une vidéo rappelant qu'il a lui aussi été «flic»: «Parce que je vous aime, vous les flics, parce qu'heureusement que vous êtes là, parce que je ne regrette pas d'avoir été flic, parce que je suis fier d'avoir été flic, parce que j'ai perdu deux potes qui se sont suicidés, parce qu'il est arrivé ce qui est arrivé à Maggy [l'ancienne présidente de l'association MPC Mobilisation des Policiers en Colère, ndlr]», a-t-il lancé.
Sauront-ils retenir l'attention du ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner? C'est le but affiché, comme le rappelle Aurélie Laroussie: «Si on peut le voir, on va lui expliquer les choses de la base. Les secrétaires généraux des trois syndicats majoritaires sont peut-être déconnectés du terrain. Ce n'est pas le cas des associations qui sont à l'initiative du rassemblement et qui subissent des conditions de travail inacceptables tous les jours. Nous n'allons pas aller dans le sens de monsieur Castaner, mais il va falloir qu'il entende ce que nous avons à lui dire sur le quotidien des forces de l'ordre et nos propositions. Les policiers ont des idées et savent ce qu'il faut faire pour régler les problèmes.»
Aurélie Laroussie sait que l'entrevue ne sera pas simple à obtenir:
«J'ai écrit à plusieurs reprises à l'Élysée et au ministère de l'Intérieur. Mon dernier courrier reçu par Monsieur Castaner en novembre 2018 faisait mention d'un "non" catégorique, sans explication. Il ne souhaitait pas recevoir notre association, nous les femmes, les veuves et les orphelins.»
Le 20 décembre dernier, les Gyros bleus avaient investi la place Clemenceau à Paris pour protester contre les conditions de travail des policiers. Des photos de membres des forces de l'ordre en veste fluo commençaient à fleurir sur les réseaux sociaux. L'exécutif avait (relativement) réussi calmer la grogne en multipliant les annonces, notamment sur le pouvoir d'achat des policiers. Quelques semaines plus tard, ces derniers sont de nouveau dans la rue. Et selon Aurélie Laroussie, en cas de silence radio des autorités, cela ne fait que commencer:
«Nous souhaitons que le rassemblement se déroule avec la même énergie que les manifestations de fin 2016. Nous commençons à peine. Nous attendons d'être reçus le 13 mars, jour du Conseil des ministres, par monsieur Castaner. Sans cela, le mouvement est appelé à continuer et grossir. Aujourd'hui, c'est Paris, mais les choses commencent à bouger à Lyon, Toulouse ou d'autres grandes villes. C'est le moment où ils ont le plus besoin de leur police. Il va falloir nous écouter pour de bon et nous prendre au sérieux.»