Au Burkina Faso, une urgence humanitaire sans précédent

Depuis 2018, la situation humanitaire au Burkina Faso a pris une ampleur inédite. Dans le pays, en proie à des attaques meurtrières dans ses parties nord et Est, le nombre de personnes déplacées a doublé en moins d’un an et l’insécurité alimentaire menace des millions de personnes. Décryptage.
Sputnik

Les attaques armées se sont multipliées ces dernières années au Burkina Faso. Et avec elles, le nombre de morts, de personnes déplacées et en insécurité alimentaire.

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Depuis 2015, ces attaques armées, attribuées à des groupes djihadistes par les autorités burkinabè, ont fait plus de 300 morts. Elles touchent essentiellement le nord et l’Est du pays, et sont devenues particulièrement fréquentes et meurtrières à partir de 2018. Tant les forces de défense et de sécurité, les civils, que les communautés religieuses sont les cibles d’hommes armés, le plus souvent non identifiés.

D’avril à mai 2019, cinq attaques ont notamment ciblé la communauté chrétienne catholique.

Le 12 mai, le prêtre célébrant et cinq fidèles de l’église catholique de Dablo, une commune de la province du Sanmatenga, à environ 200 kilomètres au nord de Ouagadougou, ont été abattus en pleine messe. Le lendemain de cette attaque, ce sont quatre personnes d’une procession en l’honneur de la vierge Marie qui ont péri dans une embuscade à Zimtenga, dans la région du Centre-nord. Le 26 mai, quatre fidèles ont été tués pendant la messe dans une église de Toulfé, un village de la région du Nord.

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Toutes ces attaques, et les menaces qui les accompagnent généralement, occasionnent des déplacements massifs de populations. Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA) estime à plus de 160.000 le nombre actuel des personnes déplacées. Ces derniers ont trouvé refuge dans des communautés hôtes ou sur des sites dans les régions du Sahel, du Nord, de l’Est et du Centre-Nord.

«Plusieurs personnes pourraient voir leur situation alimentaire et sanitaire se détériorer à l’approche de la période de soudure et de la saison des pluies. Également, le manque d’abris pour plusieurs milliers de famille reste une préoccupation majeure. L’accès aux services sociaux de base reste préoccupant pour les déplacés et les familles d’accueil.

En plus des personnes déplacées, près de 147.000 personnes dans les régions où les centres de santé sont fermés ou n’assurent qu’un service minimum ont besoin de soins médicaux et services de santé», s’inquiétait OCHA dans une note publiée à la mi-mai.

Par ailleurs, en raison de l’insécurité, un millier d’écoles sont actuellement fermées au Burkina, une situation qui prive environ 146.000 enfants d’accès à l’éducation.

Sur le terrain, le processus d’enregistrement des déplacés par le Conseil National de Secours d’Urgence et de Réhabilitation (CONASUR), une structure publique à vocation sociale et humanitaire, est limité, car de nombreuses zones restent difficilement accessibles. C’est le cas de la commune d’Aribinda, durement touchée par les attaques et dont l’accès aux humanitaires est actuellement restreint.

Située dans le nord, dans la province du Soum et la région du Sahel, Aribinda, l’une des plus grandes communes rurales du Burkina, a multiplié ces derniers mois les appels à l’aide au gouvernement sur les réseaux sociaux. La situation globale dans le pays préoccupe les organisations humanitaires.

«Il y a une préoccupation exclusivement humanitaire du CICR pour ce qui est en train de se passer au Burkina et comment les choses pourraient évoluer à la fois dans le nord et dans l’Est, où il y a une augmentation des violences armées. Le nombre d’incidents armés enregistrés sur toute l’année 2018 est similaire à celui des trois premiers mois de 2019. Et cela continue d’accélérer. Il y a des dizaines de milliers de déplacés aujourd’hui», confie à Sputnik Steven Anderson, le coordinateur communication pour le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), dans la délégation régionale basée à Abidjan, qui couvre huit pays, dont le Burkina Faso.

Dans un contexte sécuritaire qui s’est grandement détérioré, les humanitaires ne sont pas épargnés par les intimidations, voire les attaques.

«Nous faisons tout pour prévenir des situations d’attaque de notre personnel. On travaille dans un esprit de prévention de toute situation problématique en termes de sécurité. On doit faire preuve d’une certaine prudence sur le terrain et avoir un modus operandi adapté qui nous permette d’avoir accès aux populations», explique Steven Anderson.

Au Burkina Faso, une urgence humanitaire sans précédent

En mai 2019, le CICR a distribué des vivres –du mil, du riz, des haricots, de l’huile, du sucre et de sel– à 17.400 personnes déplacées dans la région du Sahel, dans le nord du pays. Les femmes enceintes, les mères allaitantes et les enfants de moins de cinq ans ont, quant à eux, reçu de la farine pour préparer de la bouillie enrichie. L’organisme international prévoit deux nouvelles distributions alimentaires, pour les mêmes personnes, dans les deux mois à venir.

Le Programme Alimentaire mondial (PAM) estime que sur l’ensemble du territoire burkinabè, près de 3,7 millions de personnes devraient être sous pression alimentaire, de juin à août 2019.

Outre les attaques armées qui favorisent l’insécurité alimentaire, il y a aussi l’action non négligeable du changement climatique à prendre en compte. Dans le Sahel ouest-africain où les cycles de pluie sont altérés, les sécheresses occasionnent une baisse dramatique des rendements agricoles. Cette situation accentue l’insécurité alimentaire qui affecte plus de 10 millions de personnes.

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La situation humanitaire au Burkina, en particulier dans le nord, est d’autant plus alarmante que le pays abrite depuis 2012 plus de 20.000 réfugiés maliens qui ont fui leur pays, en proie à une crise humanitaire encore plus préoccupante. Ces derniers vivent pour la plupart dans des camps dans la région du Sahel.

«Les réfugiés maliens et les personnes déplacées internes, ce sont des problématiques difficiles qui se superposent. Pour les réfugiés, nous concernant, on œuvre quand ils ont ce type de besoins, à assurer le rétablissement du contact avec leur famille restée au Mali», déclare à Sputnik Steven Anderson.

Au 12 mai 2019, le plan d’urgence de 100 millions de dollars lancé par les Nations unies pour l’assistance humanitaire à 900.000 personnes dans le besoin n’était financé qu’à 35%, selon OCHA. Et à cette date, aucune somme sur les 14,1 millions de dollars prévus pour assister les réfugiés n’a été perçue.

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