Alstom, Renault… «l’absence de stratégie industrielle en France est létale pour l’industrie française»

Renault rejoindra-t-il les fleurons industriels que la France a perdus sous Macron? Alors que General Electric annonce des suppressions d’emplois chez l’ex-Alstom au lendemain d’élections, les cas d’Alcatel-Lucent, Lafarge ou encore de Technip reviennent à l’esprit. Des projets de fusion tous passés par l’un des bureaux d’Emmanuel Macron.
Sputnik

«Les entrepreneurs français sont morts, les seuls qui restent sont dans l’industrie du luxe et dans l’industrie du tourisme», fulmine Marc German au micro de Sputnik.

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Ce spécialiste en intelligence compétitive, diplomatie d’entreprise et en industrie de la défense, réagissait aux deux principales annonces de ces derniers jours: lundi 27 mai, l’annonce d’un mariage à «50-50» entre Renault et Fiat-Chrysler et le lendemain, celle d’un plan social de General Electric dans les sites repris à son ancien concurrent tricolore Alstom.

D’ailleurs, élus locaux et salariés de Belfort s’y attendaient… et nous aussi. Ainsi, l’Américain GE, non content de ne pas tenir ses promesses envers le gouvernement français de créer 1.000 emplois nets d’ici 2018, en annonce la suppression de 1.050, «essentiellement sur les sites de Belfort, Bourogne et Boulogne-Billancourt». Comme quoi, les lendemains des Européennes sont décidément particulièrement propices aux annonces qui fâchent…

Damien Meslot, Maire Les Républicains (LR) de Belfort, ne mâchait d’ailleurs pas ses mots à l’encontre d’Emmanuel Macron, l’accusant d’avoir demandé au groupe américain d’attendre le lendemain des élections européennes pour annoncer un tel plan. Emmanuel Macron, qui avait défendu bec et ongles le projet de rachat d’Alstom par son concurrent américain lorsqu’il était secrétaire général adjoint de l’Élysée puis ministre de l’Économie de François Hollande.

«Si cela avait été annoncé une semaine avant les élections, il y aurait eu une forte incidence sur le résultat, notamment local, de ces Européennes», souligne Marc German.

C’est pour lui une «évidence», soulignant aussi l’exposition du bassin d’emplois de Belfort aux «soubresauts économiques». La crise, un angle d’attaque que semble avoir pris Bruno Le Maire, lorsqu’il soutient devant l’Assemblée nationale que ces suppressions d’emplois sont une conséquence logique de l’«effondrement du marché» des turbines à gaz, produit phare de l’ancien fleuron énergétique français.

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Le visage ferme, le ministre de l’Économie s’engage à veiller à «ce que chacun des salariés bénéficie d’un accompagnement personnalisé». Souhaitant garantir «l’avenir industriel de Belfort», Bruno Le Maire évoque, notamment, le «TGV du futur», espérant que ce projet puisse permettre à «quelques dizaines de salariés de retrouver des activités» sur le site historique d’Alstom.

Des déclarations du locataire de Bercy «d’un cynisme absolument incroyable», juge Marc German, rappelant que les pertes d’emplois indirectes qui suivront cette réduction de voilure de GE en France «seront certainement plus importantes encore».

«Si l’on s’en tient aux fondamentaux, qui serait de dire que gouverner, c’est prévoir, eh bien ceux qui nous gouvernent aujourd’hui sont des sourds et aveugles et n’ont aucune capacité d’avoir des perspectives à moyen terme –je ne parle même pas du long terme– pour l’outil industriel français», s’emporte Marc German.  

Les propos de Bruno Le Maire ne passent pas non plus au niveau des syndicats, qui, devant la presse, déclarent qu’ils trouvent «choquant et inacceptable qu’un ministre de l’Économie française relaie des informations trompeuses», notamment concernant les chiffres de production de turbines avancés par le ministre. «Aujourd’hui, nous avons beaucoup plus d’activité, car nous faisons des turbines beaucoup plus complexes», ajoutent-ils. Des syndicats qui s’étonnent que «depuis le rachat d’Alstom, la valeur ajoutée est créée en France, mais les bénéfices sont localisés en Suisse.»

«C’est aussi une affaire humaine, l’entreprise est incarnée. Elle est incarnée par ceux qui la font vivre, qui assument la production de ses équipements»,

regrette Marc German, qui fustige la vision de gestionnaires n’ayant comme intérêt «que le cours de bourse de leur entreprise ou ses résultats pour ses actionnaires.» Quant à la production, à en croire les syndicats, elle sera délocalisée en Hongrie et aux États-Unis. Délocalisée, tout comme l’ingénierie, qui, elle, partirait pour l’Inde, la Pologne et le Méxique.

«Il y a plus qu’une faute politique, on assiste à un véritable crime économique», assène notre intervenant.

Alstom – Siemens: épilogue d’une affaire d’État
Une attitude du gouvernement qui interpelle, à l’heure où un autre mariage «entre égaux», comme avait été présentée la fusion avortée entre Siemens et la branche ferroviaire d’Alstom, pointe le bout de son nez: celui entre Renault et Fiat-Chrysler. D’ailleurs, pour cette opération qui ambitionne de créer un leader mondial de l’automobile, tout comme à l’époque du rachat d’Alstom par GE, le ministre de l’Économie «exige» des garanties sur l’emploi. Comme le soulignait à juste titre un éditorialiste sur BFMTV, s’il «est dans son rôle», Bruno Le Maire n’est en revanche pas en mesure d’«exiger» de telles garanties.

L’annonce de cette nouvelle fusion d’un fleuron français avec un groupe étranger a fait les gros titres des chaînes d’informations continues, dont de nombreux éditoriaux avancent les «gros avantages» pour Renault: avançant le fait que le futur groupe deviendrait le troisième constructeur mondial, jouirait d’«une sorte de constellation de marques qui couvriraient un petit peu tous les segments de marché» ou encore la notion phare de «taille critique».

Un argument également mis en avant en son temps par Patrick Kron, PDG d’Alstom, pour justifier la vente de l’entreprise dont il était responsable à son concurrent américain. Une cession qui, si elle s’effectuait avec l’Américain, garantissait au patron français une prime de plusieurs millions d’euros. «Qu’a-t-on à y gagner?», s’interroge Marc German sur ce projet de nouveau mariage entre un fleuron industriel français et l’un de ses concurrents.

«On met en avant l’argument que cela ouvrirait le marché américain à l’entreprise française… rien n’est moins sûr. La politique de Trump, qui est une politique protectionniste, ne permet pas d’envisager un accès facile et libre au marché américain.»

Renault restera en Iran: Carlos Ghosn joue-t-il à la roulette russe avec les USA?
Un marché loin d'être une priorité pour l’ex-PDG du groupe français, Carlos Gohn, qui tenait à favoriser d’autres débouchés à travers le monde sans trop s’exposer à l’extra-territorialité de la justice américaine, comme par exemple en Iran. «On est dans une absence de véritable stratégie», regrette Marc German, soulignant que cette proposition du groupe italo-américain –applaudie par Mattéo Salvini– traduit la vision à long terme de Fiat, et non celle de Renault.

«Je veux bien croire que Fiat-Chrysler, qui a fait la proposition, a mis en place une stratégie, qui lui permette de faire cette proposition, mais quid de Renault-Nissan, qui est empêtré dans l’affaire Carlos-Ghosn», relate notre spécialiste en intelligence compétitive.

Celui-ci s’interroge sur l’ampleur de cette affaire judiciaire qui a coûté au groupe français sa tête, comment un homme porté aux nues il y a encore peu et ayant «une vision gagnante pour l’industrie automobile française» est aujourd’hui «lâché de toutes parts.» Il faut dire qu’un différend existerait entre Carlos Gohns et Emmanuel Macron du temps où celui-ci était à Bercy.

En effet, comme relaté par nos confrères de Capital, le jeune ministre de François Hollande avait engagé une «bataille d’ego» avec le PDG en faisant monter -à l’insu de ce dernier- l’État français au capital du Groupe, provoquant la colère des Japonais. Un passif entre les deux hommes qui entre en ligne de compte pour expliquer la position de la France face aux démêlés judiciaire que traverse son ex-capitaine d'industrie.

«On ne peut pas occulter le fait que le soutien politique dans lequel sont produits ces véhicules ait une incidence sur la destinée de l’entreprise. Or, l’absence de soutien politique et l’absence de stratégie industrielle en France est totalement létale pour l’industrie française.»

Technip, Alstom, Alcatel: les crashs des «Airbus de...», façon Macron
Marc German rappelle le sort de STX, les chantiers de l’Atlantique, dont l’italien Fincantieri est parvenu à prendre le contrôle avec le concours du l’État français. Rappelons également les autres «Airbus de…» soutenus par Emmanuel Macron. Des projets de fusion «entre égaux» s’étant immanquablement soldés par une perte de contrôle d’un fleuron français au profit d’un concurrent, parfois plus petit: Lafarge, leader mondial du béton, tombé dans l’escarcelle de son outsider helvète Holcim, Technip, gobé par son jeune concurrent américain FMC Technologies, sans oublier l’ex-géant mondial des télécoms, Alcatel-Lucent, racheté en bourse avant d’être démantelé par le finlandais Nokia, alors en perte de vitesse.

Là aussi, le ministre de l’Économie, Emmanuel Macron, avait avancé des «garanties pour l’emploi» pour faire passer la pilule et, là aussi, ces dernières avaient été bafouées.

«C’est toujours le proposant qui l’emporte. Quand on propose à un concurrent une fusion, même à 50-50, c’est qu’on a prévu le coup d’après», souligne Marc German. S’il est convaincu que dans le cas de Renault, «les racines profondes qui prédestinent à une telle fusion seront toujours connues après coup», il est également persuadé que les racines de telles débâcles françaises plongent dans la structure même du management tricolore.

«À la tête de ces entreprises, vous n’avez pas, justement, d’entrepreneur. L’entrepreneuriat, cela ne s’apprend pas, cela ne se décrète pas et les profils des gens qui dirigent nos entreprises sont souvent des profils de gestionnaires. Le gestionnaire a comme Leitmotiv l’absence de prise de risques, or, l’entreprise c’est du risque. L’entreprise c’est de la prise de décision, c’est du risque calculé, mais c’est du risque!»

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