Tant que les milices sont à Tripoli, Haftar refusera le cessez-le-feu (ministre des Affaires étrangères)

Deux semaines après la visite en France du Premier ministre libyen el-Sarraj, Macron a reçu à l’Élysée son ennemi juré, le maréchal Haftar, mais n’a pu lui arracher la promesse d’un cessez-le-feu. Interrogé par Sputnik France, le ministre des Affaires étrangères d’Haftar lève le voile sur les raisons de cette intransigeance affichée.
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Le communiqué de l'Élysée, laconique, est tombé mercredi 22 mai sur le coup des 19 h 00 (heure de Paris) annonçant l'entretien d'une heure qu'Emmanuel Macron a eu «en toute discrétion» avec le maréchal Khalifa Haftar, commandant général de l'Armée nationale libyenne. Une rencontre à laquelle a participé le ministre français des Affaires étrangères, Jean Yves Le Drian, selon des observateurs sur place.

Deux semaines jour pour jour après la visite en France du Premier ministre libyen Fayez el-Sarraj, qui dirige le gouvernement d'union nationale (GNA), la seule entité libyenne à être reconnue par la communauté internationale, Emmanuel Macron reçoit son ennemi juré de la Cyrénaïque (à l'Est du pays), dans le but de «faciliter le dialogue entre les acteurs libyens, dans le contexte des opérations militaires en cours aux abords de Tripoli», précise le communiqué de l'Élysée.

​Les demandes à l'égard du commandant général de l'Armée nationale libyenne autoproclamée ont porté sur trois points: veiller à la protection des populations civiles, travailler à l'établissement d'un cessez-le-feu ainsi qu'à la reprise des négociations politiques. Sans qu'apparemment Emmanuel Macron ne parvienne à faire entendre raison à son interlocuteur sur les deux derniers points.

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Car, selon des sources élyséennes citées le 23 mai au matin dans la presse française, dès que la question du cessez-le-feu a été évoquée, la réponse du maréchal Haftar a été cinglante: arguant que le GNA, dirigé par Faïez el-Sarraj, avait été «entièrement phagocyté par les milices» qui contrôlent Tripoli, il a aussitôt demandé: «avec qui négocier un cessez-le-feu dans ces conditions?»

Quant aux conditions d'une trêve en vue de favoriser la reprise d'un dialogue politique, le chef de guerre libyen a fait la réponse du berger à la bergère. Après avoir longuement expliqué pourquoi et comment il avait été, selon lui, contraint de lancer l'offensive sur Tripoli le 4 avril dernier, à cause notamment du refus du GNA de tenir les engagements pris dans le cadre de la feuille de route devant mener à des élections, il s'est obstiné dans son refus de déposer les armes, même si, —toujours de source élyséenne-, il a admis pendant son tête-à-tête avec le Président de la République «qu'une discussion politique inclusive était nécessaire» et qu'il était «d'accord pour y participer, mais seulement au moment où ces conditions seraient réunies».

Lors de la visite officielle le 8 mai dernier à Paris de Faïez el-Sarraj, Emmanuel Macron avait évoqué «la délimitation d'une ligne de cessez-le-feu sous supervision internationale». Il en a reparlé avec son adversaire, l'idée étant de séparer les belligérants autour de Tripoli dans des «couloirs sous supervision de l'Onu et de sa mission sur place»; mais le mécanisme de cette cessation des hostilités sur le terrain reste encore à définir, en attendant d'amener les deux parties à la table des négociations.

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De passage à Paris vendredi 10 mai, Abdulhadi Ibrahim Lahweej, qui se présente comme ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale du gouvernement intérimaire libyen —le camp d'Haftar-, a levé en partie le voile sur les raisons de l'intransigeance du maréchal lors d'un entretien réalisé dans les locaux de Sputnik France:

«Les raisons pour lesquelles nous piétinons militairement aux portes de Tripoli depuis le 4 avril, c'est parce que les Nations unies nous ont expressément demandé de protéger les populations civiles», a-t-il martelé au micro de Sputnik France.

Abdulhadi Ibrahim Lahweej a réfuté l'hypothèse d'un universitaire marocain cité par Sputnik France, qui explique cet arrêt de la progression des troupes du maréchal Haftar par le refus d'accepter le versement d'une rançon à l'une des milices de l'Ouest qui défendent la ville. Il a réitéré la volonté du gouvernement intérimaire de défaire militairement toutes les milices sur lesquelles s'appuie le GNA, dont certaines sont ouvertement affiliées à des groupes terroristes:

«Partout sur le territoire libyen, nous avons pu progresser en ralliant derrière nous d'anciens militaires dans l'Armée nationale, ainsi que les populations. Nous allons en faire de même à Tripoli, car les Libyens ne veulent pas d'un gouvernement protégé par des groupes terroristes. C'est pour cela, aussi, que nous avons le soutien d'un certain nombre de grandes puissances qui ne nous voient pas comme des oppresseurs, mais comme des libérateurs, seuls capables de stabiliser durablement la Libye», a-t-il ajouté.

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Souvent accusée de jouer un double jeu en Libye, la France, suivie en cela par l'Allemagne, l'Italie et la Grande-Bretagne, pays dans lesquels Fayez el-Sarraj, s'est également rendu début mai pour tenter de rallier des soutiens, a décidé quant à elle de garder toutes ses options ouvertes. 

En plus de la lutte contre les groupes terroristes et la stabilisation durable de la Libye, Emmanuel Macron a d'ailleurs réaffirmé au Maréchal Haftar que le démantèlement des réseaux de trafiquants, en particulier ceux liés aux migrations clandestines était l'une des priorités de la France en Libye.

Pour Abdulhadi Ibrahim Lahweej, c'est sans doute la question la plus épineuse pour les pays européens qui ont «délocalisé» à Tripoli le refoulement des migrants clandestins pour les empêcher d'arriver en Europe en passant par l'Italie:

«La manière dont le GNA se sert des migrants subsahariens pour faire pression sur les gouvernements européens est honteuse! À l'Est de la Libye, nous les traitons avec dignité et leur permettons de s'intégrer, y compris en les aidant à trouver du travail et pas comme s'ils étaient de vulgaires marchandises», s'insurge le ministre libyen, qui avait servi du temps de Mouammar Kadhafi comme secrétaire d'État à la question des réfugiés.

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En visite en Algérie, deuxième étape de sa tournée maghrébine, Fayez el-Sarraj continue de rechercher des soutiens tous azimuts. Avec les responsables algériens, il va discuter ce 23 mai des développements internes et régionaux, à la lumière de l'escalade militaire près de Tripoli, qui persiste en dépit des efforts diplomatiques intenses pour la circonscrire.

Depuis un an, le représentant spécial des Nations unies pour la Libye, Ghassan Salamé, travaille à une conférence nationale de réconciliation, initialement prévue à Ghadamès, à la mi-avril. Avec les Égyptiens, les Saoudiens, les Émiratis et les Russes soutenant le maréchal Haftar, tandis que les Qataris, les Turcs, les Frères musulmans soutiennent pour leur part el-Sarraj, cette conférence n'a toujours pas pu avoir lieu à cause des «divisions de la communauté internationale», s'énerve l'envoyé des Nations unies. Reste à ceux qui, à l'instar de la France, ont pris une position d'équilibre, à savoir les Américains et les Britanniques, à faire en sorte que le dialogue ne soit pas rompu. 

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