Après deux mandats successifs, le Président Alassane Ouattara, 77 ans, ne devrait a priori pas se représenter en 2020. Sa succession est donc ouverte. Et les prétendants, parmi lesquels figure Guillaume Soro ex-président de l’Assemblée nationale et ex-chef de la rébellion qui occupait la moitié nord de la Côte d’Ivoire de 2002 à 2011, ne manquent pas.
Une compétition électorale sous haute tension: le Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP), la coalition au pouvoir est à couteaux tirés avec son ancien allié, le Parti Démocratique de Côte (PDCI). De plus, le Front Populaire Ivoirien (FPI), parti créé par Laurent Gbagbo qui avait boycotté la présidentielle de 2015, ambitionne de revenir aux affaires. C’est pourquoi de nombreux Ivoiriens craignent un nouvel épisode sombre de l’histoire du pays en 2020, à l’image des troubles de 2010-2011.
La crise postélectorale de 2010-2011 avait fait plus de 3.000 morts, selon le rapport de la commission d’enquête nationale rendu en août 2012. Cette crise politico-militaire s’est déclenchée après que le Président sortant, Laurent Gbagbo, reconnu vainqueur par le Conseil constitutionnel, et Alassane Ouattara, intronisé par la Commission électorale indépendante et la communauté internationale, ont chacun revendiqué la victoire à l’élection présidentielle de novembre 2010.
Interrogé par Sputnik, Mamadou Koulibaly, candidat investi par le parti Liberté et Démocratie pour la République (LIDER) pour la présidentielle de 2020, s’est prononcé sur ces tensions préélectorales. Il a été président de l’Assemblée nationale de janvier 2001 à mars 2012 et était, à ce titre, le deuxième personnage de l’État ivoirien après Laurent Gbagbo. Après la crise postélectorale, il a quitté le FPI pour fonder en juillet 2011 LIDER. Il est, depuis décembre 2018, le maire d’Azaguié, sa ville natale, située à 40 km au nord d’Abidjan.
Sputnik France: Faut-il craindre de nouveaux troubles lors de la présidentielle de 2020 en Côte d’Ivoire?
Mamadou Koulibaly: «Pour que tous ceux qui ont vécu la période de 2010-2011 gardent leur sérénité, il faut que l’on évite de faire les élections dans les mêmes conditions. À la présidentielle de 2010, il y avait notamment une mésentente autour de la Commission Électorale Indépendante (CEI) qui n’était pas du tout aux normes pour faire de bonnes élections.
Très souvent, les changements de régime qu’il y a eu dans notre pays sont intervenus avec le soutien de l’armée. À ce jour, certains font comme si nous avions une armée nationale républicaine, alors que ce n’est pas encore le cas. Nous avons une armée instrumentalisée. Il y aura des élections en 2020, et elle sera là. Les forces armées devront se présenter comme des forces nationales et non des forces claniques ou des milices de partis politiques.
Il faut aussi faire la mise à jour de la liste électorale dans des conditions bien meilleures que cela n’a été le cas pour les élections de 2010. Si en 2010, il y a eu du grabuge, c’est aussi parce que la liste électorale n’était pas bien établie. Tous les jeunes majeurs n’avaient pas été recensés. Le recensement général de la population de 2014, qui a été très mal organisé et est truffé d’insuffisances, indique que les nationaux de 18 ans et plus, et donc qui peuvent voter, sont à peu près 10 millions. De 2014 à aujourd’hui, il s’est déjà écoulé cinq ans. Si on fait un recensement aujourd’hui, en ôtant les décédés et en ajoutant les nouveaux majeurs, on devrait trouver trois à quatre millions de personnes supplémentaires. Au bas mot, environ 14 millions d’Ivoiriens qui doivent figurer sur la liste électorale. Aux municipales de 2018, il y avait 6,5 millions d’inscrits sur la liste. Il y a donc au moins la moitié de l’électorat réel qui est oublié. Tous les électeurs doivent être inscrits sur la liste, quitte à ce qu’ils choisissent de ne pas aller voter. C’est un droit et non un privilège. On est à 18 mois des élections, personne, sauf nous, ne parle de mise à jour de la liste électorale.
Si tous ceux qui doivent être sur la liste électorale le sont, que les réformes nécessaires de la composition de la CEI sont faites et que la commission est acceptée de tous, que le Code électoral est revu, qu’aucun parti politique n’est exclu du processus, que les forces de défense et de sécurité sont disciplinées pour n’être qu’au service de la nation, alors on peut espérer des élections au cours desquelles le vainqueur aura gagné et le vaincu aura perdu. Mais si l’une de ces conditions n’est pas remplie, il y a encore des risques de conflit.»
Mamadou Koulibaly: «Mes adversaires pour 2020, je n’en vois pas encore. Ce qui me paraît certain, c’est que la classe politique ivoirienne étant tellement vaste, je présume que tous les chefs et autorités au sommet de l’État sont de potentiels adversaires. Me concernant, il y a un congrès qui m’a désigné comme le candidat de mon parti, j’évolue dans ce sens.»
Sputnik France:Quand on observe la scène politique ivoirienne, chaque parti semble avoir une base électorale. Vous, en avez-vous une?
Mamadou Koulibaly: «J’ai une base électorale, mais pas au même sens que celle des autres, parce que leurs bases sont plus vieilles. La mienne est plus neuve, jeune, et n’entre pas forcément dans le tableau standard des bases électorales en Côte d’Ivoire. C’est-à-dire qu’elle n’est pas fondée sur une localisation géographique ou une ethnie. Je déplore l’exploitation des ces phénomènes qui divisent le peuple ivoirien à des fins politiques.
Explicitement, selon notre Constitution, un parti politique, une élection, un régime démocratique sont faits pour construire la nation ivoirienne. Et pour la construire, il faut avoir comme instrument politique des partis qui ne sont pas guidés par l’ethnie, la région, la religion, qui sont des choses qui catégorisent les Ivoiriens en groupes parfois non intégrables. Si vous avez une base essentiellement musulmane, comment espérez-vous construire une nation avec ceux qui ont des bases chrétiennes ou autres? Il y a de nombreux jeunes qui pensent que je suis une opportunité, de nombreux paysans qui souhaitent la réforme foncière que je propose, des cadres d’administration et du secteur privé, qui sont convaincus que le programme que je propose est une opportunité pour eux.»
Sputnik France: Le passé a montré qu’il n’est a priori pas possible de remporter des élections en Côte d’Ivoire sans alliance. Est-ce que vous seriez disposé à accepter notamment une alliance avec le FPI ou encore un possible candidat comme Guillaume Soro?
Il y a quand même des conditions: il faudrait que cette alliance ne soit pas fondée sur des affinités ethniques, religieuses ou autres, mais sur la base d’un programme clair. Je suis disposé à m’allier, mais on pose sur la table les programmes et on voit ce qu’on peut construire ensemble. À partir de là, les personnes avec lesquelles on aura le plus grand dénominateur commun, on pourra aller ensemble. C’est en tout cas la direction du parti qui va au final décider lequel des probables cas d’alliance paraît le meilleur. Pour la question du choix, c’est encore ouvert, le parti n’a pas exclu quelqu’un à ce jour. Le parti m’autorise à discuter avec tous ceux qui veulent s’allier à moi. Ce sont les discussions qui me permettront de savoir avec qui je partage le même feeling, qui peut être un bon complément pour moi. Une fois toute discussion effectuée, il revient au partir de trancher. Mais une alliance, c’est fait pour gagner des élections.»
Sputnik France: Pour remporter une présidentielle, il faut aussi parfois des soutiens sur le plan national comme international, en avez-vous?
Mamadou Koulibaly: «Les soutiens, je suis en train de les construire. Si par soutiens, vous voulez dire le nombre de personnes qui seraient prêtes à descendre dans la rue si Koulibaly appelait à un rassemblement, je vous dirais que je n’en suis pas sûr. Mais si vous parlez du nombre de personnes qui veulent voir leur vie s’améliorer si je suis Président, je dirais oui. Tous les Ivoiriens gagneraient à ce que le système politique dans lequel nous sommes change. Que nous passions à un régime qui leur donne du respect, qui s’occupe des problèmes collectifs de façon plus sérieuse, qui réalise ce pour quoi il a été mis en place, qui autorise à demander des comptes et qui rend compte.
J’ai surtout du soutien en termes de qualité. En termes de gens à même d’être des leaders d’opinion capables de répercuter mon discours, le discours de LIDER. Pour ce qui est de savoir si ces derniers ont de l’argent pour financer ma campagne, s’ils sont capables, en allant voter de me faire gagner en l’état actuel des choses, je ne sais pas encore. Mais il faut savoir que cela n’est encore certain pour personne, c’est d’ailleurs pour cela que tout le monde court dans des jeux d’alliance, que tout le monde cherche des moyens humains et financiers. Je suis dans le même cas. Sauf qu’il y en a qui ont derrière eux une machine qui a 60 à 70 ans d’existence, et moi sept à huit ans d’existence. Mais chacun a ses forces et faiblesses. Me concernant, la nouveauté est l’une de mes forces. De même que mon programme, mon refus du clanisme ethnique, régional, religieux. Donc je n’ai aucun complexe.»
Sputnik France: Vous avez plusieurs fois affirmé que votre objectif est de changer la vie des Ivoiriens, de l’améliorer. À défaut d’être Président de la République, accepteriez-vous le poste de Premier ministre, si cela vous était proposé?
Sputnik France:Les questions d’identité et de nationalité sont récurrentes en Côte d’Ivoire. Des organisations internationales et le gouvernement ivoirien collaborent notamment pour essayer de solutionner la question de l’apatridie. Le HCR estime à au moins 700.000 le nombre de personnes apatrides ou qui manquent de documents pour prouver leur nationalité. Quel regard portez-vous sur cette situation? Avez-vous des pistes de solutions pour régler ce problème?
Mamadou Koulibaly: «Je suis actuellement le maire d’Azaguié. Je vois arriver chaque jour des gens, une vingtaine, une trentaine parfois, qui viennent se faire établir des documents administratifs et qui disent n’avoir aucun papier [pas d’acte de naissance en l’occurrence, ndlr]. Quand c’est ainsi, je fais formuler des requêtes qui sont adressées au tribunal pour que le magistrat et le procureur qui y sont vérifient et leur établissent par la suite les documents qu’il faut. Il n’est pas normal que dans un pays, le système d’état civil soit tel que de nombreux citoyens finissent par se retrouver sans papiers.
Sputnik France: Il y a l’échéance électorale de 2020 qui cristallise les inquiétudes des Ivoiriens, certes, mais il y a notamment aussi la menace terroriste qui pèse sur le pays. En 2016, une attaque revendiquée par Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI)* a fait 19 morts à Grand-Bassam, une ville balnéaire prisée, située à 40 km au Sud-est d’Abidjan. Depuis quelques jours, les troupes ivoiriennes sont en alerte en raison de rumeurs d’attaques armées imminentes aux frontières nord partagées avec le Mali et le Burkina, deux pays fortement secoués par des attaques terroristes. Que pensez-vous de toute cette situation?
Ces guerres asymétriques ne peuvent pas être menées par l’armée comme des guerres régulières. Elles nécessitent de puissants instruments de renseignement et une mutualisation des forces militaires, sécuritaires et administratives. Et le problème étant régional, il faut que les États fassent du renseignement de qualité ensemble et créent des corps armés spécialisés communs. Dans nos pays, nous n’avons pas suffisamment de militaires et de moyens pour sécuriser nos frontières. Et je ne parle pas des postes-frontière, je fais allusion à tous les cours d’eau, toutes les forêts, toute la brousse le long des frontières, qui sont des endroits où ces hommes armés peuvent passer.»
* Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) est une organisation terroriste interdite en Russie