Cette centrale nucléaire flottante va offrir de nouvelles opportunités à l'Arctique russe

La centrale nucléaire flottante Akademik Lomonossov, un dispositif unique en son genre, est prête à l'exploitation. C'est un long voyage qui l'attend désormais à destination du port de Pevek, dans la Tchoukotka, écrit le quotifien Vzgliad.
Sputnik

Pourquoi cet endroit a-t-il été choisi pour la centrale flottante? Quelles sont ses particularités par rapport aux centrales nucléaires traditionnelles? Et quels avantages indirects la Russie pourrait-elle en tirer?

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Selon un communiqué du producteur d'électricité nucléaire Rosenergoatom (soumis à l'autorité de l'Agence fédérale de l'énergie atomique Rosatom), la centrale nucléaire flottante Akademik Lomonossov est prête à l'exploitation. Les essais des systèmes de propulsion de la centrale sont terminés. Les deux réacteurs de la centrale flottante fonctionnent à pleine puissance. Cet été, l'Akademik Lomonossov sera remorqué jusqu'au port arctique de Pevek dans la Tchoukotka, où il devrait commencer à produire de l'électricité d'ici décembre 2019, écrit le quotifien Vzgliad.

En quoi ce projet est-il important pour l'Arctique russe et pourquoi un dispositif aussi peu ordinaire a-t-il été choisi pour alimenter en électricité la région Nord?

La centrale nucléaire de Bilibino, la seule et l'unique

A l'heure actuelle, le système énergétique isolé de la Tchoukotka est alimenté en électricité grâce à deux types de centrales: thermiques et nucléaires. Le «cœur» de la Tchoukotka est la centrale nucléaire de Bilibino, qui produit près de 75% de l'électricité du système énergétique isolé de Tchaoun-Bilibino. Mais la centrale de Bilibino est un producteur déterminant d'électricité pour toute la Tchoukotka également: cette centrale fournit environ 40% de la consommation totale d'électricité dans le district autonome de la Tchoukotka.

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Le système énergétique de Tchaoun-Bilibino, en dépit de son isolement et de sa taille réduite, a une importance stratégique pour la Russie. Près des villes de Bilibino et de Pevek se trouvent plusieurs grandes entreprises d'extraction d'or, de grandes mines riches en métaux industriels et en terres rares; et des réserves prometteuses d'uranium ont également été découvertes dans la région.

A l'époque de l'URSS, le problème de l'alimentation de Bilibino et de Pevek en électricité a été réglé «à la militaire»: la centrale nucléaire de Bilibino (plus exactement thermonucléaire, car elle fournissait également la ville de Bilibino en chauffage) a été équipée de quatre réacteurs nucléaires EGP-6 à eau bouillante modéré au graphite. La construction de l'EGP-6 en faisait une évolution des réacteurs soviétiques AMB-100 et AMB-200, qui ont ensuite donné naissance au tristement célèbre projet RBMK-1500 de Tchernobyl.

Malheureusement, il s'est avéré par la suite que cette solution avait conduit à un problème insoluble: les réacteurs à eau bouillante modérés au graphite engendraient d'importantes quantités de combustible nucléaire usagé. Comme l'a fait remarquer le directeur adjoint de Rosenergoatom Vladimir Asmolov, le problème de la fermeture de la centrale de Bilibino était qu'«une évacuation de combustible coûtait aussi cher que la centrale elle-même». Cependant, il était devenu pratiquement impossible de poursuivre l'exploitation des EGP-6: les réacteurs, installés encore en 1970, atteignaient la limite de leurs capacités d'exploitation.

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Les problèmes réglés par la centrale nucléaire flottante

Une centrale nucléaire flottante permet de pallier les lacunes des centrales stationnaires: à l'issue de son exploitation, elle peut être remorquée dans un endroit plus approprié pour le recyclage des réacteurs. De plus, la coque et le générateur peuvent être réutilisés. L'Akademik Lomonossov est doté du nouveau réacteur à eau pressurisée KLT-40S, qui a fait ses preuves sur les brise-glaces Taïmyr et Vaïgatch, ainsi que sur le cargo Sevmorpout.

Le réacteur à eau, contrairement au réacteur à eau-graphite, est plus exigeant en ce qui concerne l'enrichissement du combustible nucléaire initial. Mais c'est en même temps un avantage pour les conditions du Nord: le combustible peut être chargé dans le réacteur par des campagnes espacées d'un an et demi ou deux, tandis que les réacteurs à eau-graphite impliquent des opérations pratiquement permanentes avec des barres de combustible, comprenant leurs déplacements à l'intérieur de la zone active.

Certes, la puissance limitée de la centrale flottante rend sont électricité relativement coûteuse: le montant d'un kilowatt de la puissance de la centrale avoisine 540.000 roubles (plus de 8.000 dollars), soit dix fois plus que le kilowatt-heure des turbines à gaz économiques.

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Mais pour les conditions du Nord, un tel projet peut être tout à fait bénéfique: un réacteur à gaz ou diesel nécessite une utilisation permanente de gaz ou de combustible liquide, dont le coût monte en flèche pour son acheminement ou la production directement sur place dans les régions éloignées de l'Arctique ou du Nord. D'autant que les régions de Pevek ou de Bilibino ne disposent pas de grands gisements de gaz (contrairement à Norilsk, par exemple).

Naturellement, personne ne renoncera aux centrales thermiques de Pevek et de Bilibino: l'alimentation en électricité et en chauffage de réserve a une importance cruciale pour le Nord. De plus, le transfert factuel de la centrale nucléaire de Bilibino à Pevek implique également de nouvelles constructions logistiques: il est prévu de construire à Bilibino une centrale diesel de réserve d'une puissance de 24 MW et d'une chaufferie à eau fonctionnant au diesel. Ces sites permettront de préserver cette ville importante dans le Nord russe.

Par ailleurs, cette situation de coût élevé de l'électricité n'est pas seulement observée dans la Tchoukotka. De nombreux territoires insulaires tropicaux dépendent tout autant aujourd'hui de l'acheminement de combustible liquide bon marché pour générer de l'électricité. Sachant que la tendance à l'augmentation du prix du pétrole persiste à l'échelle historique. Et les tarifs du kilowatt de la centrale nucléaire flottante, qui paraissent élevés aujourd'hui, pourraient parfaitement s'avérer compétitifs d'ici 5-10 ans.

Dans ce cas, la Russie disposerait déjà d'un projet vérifié de centrale nucléaire flottante susceptible d'être exporté.

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur de l'article repris d'un média russe et traduit dans son intégralité en français.

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