Haïti: «le renvoi du Premier ministre pourrait plonger le pays dans une nouvelle crise»

En Haïti, le Premier ministre Jean-Henry Céant a été destitué par les députés. Depuis les manifestations contre la corruption de février dernier, le pays traverse une grave crise. Selon le chef du parti d'opposition UNIR, Clarens Renois, le départ de M. Céant a été orchestré par le Président et pourrait aggraver la situation. Entrevue.
Sputnik

C'est un nouveau rebondissement dans la crise qui afflige Haïti depuis début février. Le 18 mars dernier, 93 députés sur 103 ont voté en faveur du départ du Premier ministre Jean-Henry Céant. Un désaveu majeur pour le principal intéressé. Ce dernier n'a pas encore quitté ses fonctions, disant attendre la décision finale du Sénat. Toutefois, son départ ne serait qu'une question de temps, car tout porte à croire que le Sénat va entériner la décision.

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La perle des Antilles vit d'intenses troubles politiques depuis que des manifestants réclament le départ du Président Jovenel Moïse. Le Président est accusé de ne pas avoir amélioré l'économie du pays et participé à des affaires de corruption. Les opposants au Président l'accusent avant tout d'avoir détourné des fonds du Petrocaribe, un prêt accordé à Haïti par le Venezuela. Une enquête sur cette affaire a déjà été ouverte et le Président fait partie des personnes visées par la Cour supérieure des comptes.

Selon l'ex-candidat présidentiel et chef du parti d'opposition UNIR, Clarens Renois, le renvoi du Premier ministre vise d'abord à satisfaire le Président Moïse. En incitant les députés à voter contre le Premier ministre, le Président aurait voulu se débarrasser de lui, le jugeant trop indépendant. Le Premier ministre précédent, Jack Guy Lafontant, lui aurait été plus favorable.

«Visiblement, le Président ne s'entendait pas bien avec le Premier ministre qui était en fonction. Ils ont eu des désaccords assez épiques, et la majorité au parlement qui soutient le Président a décidé de renvoyer le Premier ministre pour lui permettre d'en choisir un autre. C'est donc un acte qui est favorable au Président de la République», a expliqué Clarens Renois au micro de Sputnik France.

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Le vote des députés viserait ensuite à calmer le jeu politique, mais pourrait avoir l'effet inverse, selon M. Renois. Tout dépendra du choix du prochain Premier ministre. Si Jovenel Moïse décidait de nommer à ce poste une personne jugée trop près de lui, il pourrait en payer le prix. Le peuple haïtien se méfierait de plus en plus du pouvoir et serait prêt à redescendre massivement dans la rue.

«Compte tenu de ce qui a été fait, la destitution du Premier ministre pourrait plonger le pays dans une nouvelle crise politique. Il faudra attendre les prochains jours pour savoir. Il faut comprendre que ce Premier ministre disait vouloir faire le procès de la corruption liée au scandale du Petrocaribe. […] Même s'il n'avait pas toute la confiance de la population, Jean-Henry Céant avait une certaine écoute», a souligné le président de l'UNIR.

Ce chef d'opposition estime que Jean-Henry Céant a servi de «bouc émissaire» dans cette crise. Même si Jovenel Moïse décidait de nommer un nouveau Premier ministre transparent, la crise ne pourrait seulement être réglée par des «arrangements institutionnels». M. Renois essaie d'être optimiste, mais craint que la destitution du Président ne déstabilise davantage le pays.

«La destitution de ce Premier ministre pourrait être vue comme une bonne chose, parce que ce Premier ministre n'était pas du camp politique du Président. Mais de l'autre côté, ça pourrait précipiter d'autres mouvements de crise, d'autant plus que le Parlement et l'opinion sont divisés sur la question», nous a indiqué M. Renois.

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Cette nouvelle survient dans un contexte où de nombreux habitants de l'île appréhendent le retour en politique de l'ancien Président Michel Martelly. Selon plusieurs observateurs, Jovenel Moïse serait d'ailleurs au pouvoir grâce à M. Martelly, dont l'influence serait encore très grande au gouvernement.

Le Premier ministre Céant, un bouc émissaire?

Tout récemment, des Haïtiens de la diaspora sont intervenus dans les médias québécois pour demander l'annulation du concert de M. Martelly, prévu à Montréal le 22 mars prochain. Il faut rappeler que l'ancien Président est avant tout un chanteur populaire, dont le nom d'artiste est «Sweet Micky».

​Certaines personnes considèrent la musique de Sweet Micky comme vulgaire, voire «misogyne». C'est du moins le cas de plusieurs organismes montréalais. La maison d'Haïti, la Coalition féministe contre la violence envers les femmes, la Concertation des luttes contre l'exploitation sexuelle et le Mouvement contre le viol et l'inceste ont notamment signé une lettre demandant l'annulation du concert.

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La lettre a été envoyée au Premier ministre du Canada, Justin Trudeau, et au maire de Montréal, Valérie Plante.

«Nous, des femmes œuvrant dans des organisations venant en aide aux femmes victimes de violences sexuelles, nous unissons nos voix pour attirer votre attention sur une situation qui nous préoccupe au plus haut point. En effet, Michel Martelly, alias Sweet Micky, un misogyne notoire qui fait l'apologie du viol s'apprête à venir performer sur scène à Montréal, le 22 mars 2019», peut-on lire dans la lettre de ces organismes.

Clarens Renois est convaincu que Michel Martelly prépare son retour en politique en faisant des tournées de concerts et en courtisant la diaspora. M. Martelly aurait déjà utilisé sa musique pour être élu président en 2011. Il s'agirait de sa principale méthode de communication.

«M. Martelly a construit sa popularité avec sa musique. C'est une musique grivoise, vulgaire et très osée. […] Dans plusieurs vidéos, il fait plusieurs gestes obscènes auxquels vous ne croirez pas, il faut les voir. C'est une personne très intelligente qui a su flatter les bas instincts de la population haïtienne, et c'est grâce à ça qu'il est parvenu au pouvoir», a mentionné Clarens Renois.

La politique et la musique pop font-elles bon ménage? Quoi qu'il en soit, de Port-au-Prince à Montréal, les Haïtiens semblent inquiets pour leur pays.

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