Au bord de l'une des routes principales du quartier Emana, à la périphérie de Yaoundé, Aliou, un conducteur de moto taxi de 18 ans, vient se procurer sa dose journalière de tramadol, un antidouleur contenant de l'opium, qu'il consomme depuis deux ans.
«Au début, je buvais ça pour calmer ma douleur au bras après mon accident, mais maintenant, je prends ça pour travailler le soir. Ça me met bien et je peux travailler toute la nuit», nous confie-t-il, pas du tout gêné par nos questions.
«Mes clients sont des conducteurs de gros engins, des maçons, des conducteurs de moto, beaucoup d'autres personnes qui font des travaux d'endurance et même des élèves», relate Alexis.
En 2016, la vente et la consommation du tramadol au Cameroun ont été particulièrement actives et évolutives. Les dégâts de ce médicament, devenu une drogue pour nombre de Camerounais, dont des travailleurs et des jeunes, se sont multipliés de manière inquiétante. Devant les cas de violences et autres abus perpétrés par des mordus du tramadol dans les rues et les établissements scolaires, le gouvernement camerounais a pris des mesures fermes pour y mettre fin. Depuis lors, la commercialisation du tramadol dans les rues est proscrite et hautement inspectée. On note en parallèle une hausse spectaculaire du prix de vente du tramadol et de tous les produits associés.
«Il y a encore quelques mois, un comprimé de tramadol coûtait selon le grammage 50FCFA [environ 7 centimes d'euros, ndlr] pour 50 mg, 100FCFA pour 100 mg, 150FCFA pour 120 mg. De nos jours, les comprimés coûtent entre 500FCFA [75 centimes d'euros, ndlr] et 1.000FCFA. Les capsules injectables coûtent 600FCFA [92 centimes d'euros, ndlr] l'unité. Cette hausse peut s'expliquer par le fait que la demande se faisait de plus en plus forte pour ce qui est du tramadol. Le gouvernement sachant le danger de ce produit a resserré l'étau au niveau des entrées», nous explique Alexis, pharmacien de rue.
«Quand il [le tramadol, ndlr] ne nous vient pas directement de nos fournisseurs du Nigéria, il nous vient de quelques fournisseurs du marché central de Yaoundé. Ils nous visitent très souvent pour nous proposer discrètement le produit sur nos étals. On a nos codes»,
nous glisse-t-il avant de poursuivre
«Quand j'ai le tramadol, je vends à un rythme satisfaisant, parce que j'ai des abonnés. Ce médicament ne traîne dans mon comptoir que lorsque ces derniers ne reviennent pas; en réalité, je me méfie des nouveaux clients, car ils peuvent être des policiers déguisés.»
Les consommateurs lui reconnaissent certaines vertus stimulatrices; toutes choses qui leur vaut de s'astreindre à des sacrifices pour pouvoir se procurer comme d'accoutumée cette «panacée».
«Moi je prends le tramadol pour le plaisir que ça me procure. Mais beaucoup en prennent par suivisme. Ce sont pour la plupart des délinquants qui en prennent pour avoir du courage pour faire face à quelques représailles ou pour influencer leurs camarades», nous a confié sous anonymat un consommateur.
«Je consomme du tramadol depuis l'année passée. J'ai eu l'envie d'essayer sur le conseil de certains amis. Ils m'ont dit que c'est une substance qui fait planer et fait aussi maigrir. Je suis devenu un abonné, surtout parce qu'il me donne plus de vigueur pendant les rapports sexuels.»
Souleymanou, 20 ans, un autre élève d'un lycée de la ville, apporte un témoignage similaire.
«Le tramadol m'aide à avoir le courage.»
Facile d'accès, cette drogue s'est ainsi introduite dans les cours d'école au Cameroun où, selon le comité interministériel de lutte contre la culture et le trafic des stupéfiants, 12.000 jeunes scolarisés âgés de 13 à 15 ans consomment du tramadol ou du cannabis. Une consommation qui n'est pas sans conséquence, comme l'atteste Pierre, enseignant dans un établissement de la ville de Yaoundé, où de plus en plus des élèves sont interpellés pour consommation de tramadol.
«Ceux de nos élèves qui ont été pris pour consommation du tramadol se faisaient remarquer par leur agressivité. Ce sont pour l'essentiel des élèves qui n'assistent pas à tous les cours, qui parlent mal aux enseignants et qui sont à l'origine des bagarres. Sommeil, absentéisme, troubles du comportement meublent leur quotidien.»
«Le tramadol n'est vendu que sur prescription en pharmacie. C'est un dérivé de la morphine. Ses effets son dévastateurs. On le prescrit aux patients qui ont des douleurs rebelles […] Même utilisé selon les prescriptions, il peut altérer la réactivité, comme par exemple provoquer la somnolence et les vertiges, de telle manière que la capacité de conduire ou de manipuler des machines s'en trouve entravée. Ceci est particulièrement vrai en combinaison avec de l'alcool ou d'autres substances à effet psychotrope», précise-t-il au micro de Sputnik France.
Danielle Noudjio, médecin généraliste, renchérit.
«Il [le tramadol, ndlr] devient une drogue parce que ceux qui en consomment font des associations étranges ou le prennent à des doses peu recommandables pour avoir certains effets.»