Le Grand débat national ne se passe pas aussi bien que prévu pour le gouvernement. Il y eut le lycéen affirmant que «tout est prévu à l'avance», les critiques sur l'omniprésence de Macron, sans parler des doutes des Français qui ne croient pas en la démarche. Dernier couac en date? Les organisateurs éprouvent toutes les peines du monde à convaincre des citoyens de participer aux réunions finales. C'est le 15 mars que les débats seront clos au niveau local. Ceux qui désirent participer sur Internet ont jusqu'au 18 mars. Ensuite, 18 conférences régionales doivent précéder la grande synthèse d'avril, si les chambres d'hôtel et les prises en charge des déplacements arrivent à convaincre assez de Français.
D'après Jérôme Fourquet, directeur du Département opinion publique à l'IFOP, qui s'est confié au Parisien, «c'est une France urbaine, socialement favorisée et retraitée qui s'est exprimée, du moins sur Internet». Il ajoute que «la carte des non-contributeurs correspond à celle du non à Maastricht». Un électorat que l'on imagine peu favorable à Emmanuel Macron.
Céline Crespin ne fait pas partie des fans du Président. Cette Gilet jaune de Vendôme, dans le Loir-et-Cher, occupe un poste de technicienne supérieure à la sécurité sociale. Elle a tout de même souhaité prendre part au Grand débat. «Le gouvernement nous a ouvert une porte et il était important de saisir cette opportunité pour leur montrer qu'on voulait bien jouer le jeu et débattre pour plus de justice sociale et fiscale», explique-t-elle. Mais vite déçue par l'organisation, elle a décidé, avec des membres de son collectif de Gilets jaunes, de mettre en place un Grand débat alternatif. Elle s'est confiée à Sputnik France afin de nous raconter cette aventure qui a accouché de dizaines de propositions. Entretien.
Sputnik France: Comment s'est déroulée l'organisation du Grand débat dans votre commune?
Céline Crespin: «à Vendôme, quatre dates, qui correspondaient aux grands thèmes [la transition écologique, la fiscalité, la démocratie et la citoyenneté, l'organisation de l'État et des services publics, ndlr], ont été fixées pour des réunions publiques. Lors de la première, des Gilets jaunes et d'autres citoyens étaient présents. On nous a expliqué que chacun avait trois minutes pour présenter sa liste de revendications. Le problème, c'est que nous ne pouvions pas discuter entre nous. Certains ont donc récité leur petite liste de courses et des sujets très intéressants émergeaient. Des individus voulaient réagir et surtout interagir. Débattre, quoi! Tenter de formuler une revendication qui aurait pu satisfaire le plus grand nombre. Mais l'animateur de la séance coupait court à la moindre velléité de discussion pour passer le micro à quelqu'un d'autre et ainsi de suite. Un Grand débat sans débat… Qu'est-ce que c'est?»
Sputnik France: Vous avez donc décidé d'organiser votre propre collecte de doléances en parallèle…
Céline Crespin: «En fin de séance, les organisateurs se regroupaient et choisissaient les doléances à faire remonter au préfet et au gouvernement. Ensuite, ils annonçaient leur choix. Étonnamment, la manière dont avaient été formulées certaines revendications ne correspondait plus au sens d'origine. Il a fallu reprendre pas mal de choses. Gilets jaunes ou pas, la plupart des participants ont été très déçus. On s'est rendu compte que le vrai débat se faisait à l'extérieur de la salle, sur le parking! C'est à ce moment que les gens débattaient réellement. Et c'est là que nous est venue l'idée d'organiser notre propre Grand débat.»
Sputnik France: Comment vous êtes-vous organisés?
Céline Crespin: «Les administrateurs de notre collectif de Gilets jaunes local ont créé une adresse mail et mis en place un cahier de doléances à notre quartier général si l'on peut dire (rires). Chaque personne, Gilet jaune ou non, pouvait librement faire ses propositions et en discuter. En quelques semaines, nous avons recueilli 275 doléances. Un mot que je n'apprécie guère, mais qui est employé par le gouvernement dans le cadre du Grand débat. Alors on s'aligne.»
Sputnik France: Qu'avez-vous fait de ces propositions?
Céline Crespin: «Plusieurs personnes de notre collectif de Gilets jaunes, qui compte aussi bien des personnes sans emploi que d'anciens ingénieurs, des cadres, des agriculteurs, des fonctionnaires, des professeurs, des femmes au foyer, des retraités et même un sans domicile fixe, ont travaillé pendant quatre semaines en plusieurs groupes de travail. Ils ont analysé les doléances, les ont regroupées en grands thèmes et les ont comptabilisées. Il se trouve que ce sont les revendications liées aux institutions qui sont ressorties en premier, devant celles concernant l'économie et le pouvoir d'achat. L'écologie vient derrière. Après ce traitement qui se voulait objectif, neutre et sans la moindre déformation, nous avons apporté le résultat à un avocat de la ville de Blois qui soutient notre démarche. Il a veillé à ce que les revendications soient applicables aux niveaux juridique, administratif et sociétal. Nous voulions des propositions béton et surtout réalisables.»
Sputnik France: Quelles propositions avaient la cote?
Céline Crespin: «Sans rentrer dans les détails qui sont consultables en ligne, plusieurs revendications ressortaient beaucoup, comme celles relatives à la révision des avantages et rémunérations des représentants politiques ou la hausse du SMIC. La révision du système d'imposition pour une équité et une justice fiscale était beaucoup demandée, comme le rétablissement d'un impôt sur la fortune modifié, qui taxerait davantage les détenteurs de capital que les patrimoines immobiliers familiaux. La question des retraites et son indexation sur l'inflation a également été mise en avant. J'invite les lecteurs à consulter l'ensemble des propositions qui concernant aussi des thèmes comme l'immigration, les médias ou la politique extérieure.»
Sputnik France: Que comptez-vous faire de tout ce travail?
Céline Crespin: «Nous l'avons remis à la dernière séance publique du Grand débat afin que tout cela remonte au préfet. Nous souhaitons également le médiatiser. La presse locale est venue nous voir. Nous avons contacté des médias nationaux, mais pour le moment, pas de réponse. Nous voulions montrer que le mouvement des Gilets jaunes, qui est tourné en ridicule par le gouvernement et certains médias, n'est pas composé de "Jojos les Gilets jaunes sur leurs ronds-points". Nous voulions prouver notre sérieux et le travail citoyen que nous étions capables de réaliser.»
Sputnik France: Qu'attendez-vous des résultats du Grand débat national?
Céline Crespin: «On sait pertinemment que nous n'obtiendrons rien. Des membres du gouvernement commencent à anticiper la déception. Nous sommes clairs dans ce que nous voulons. Maintenant, nous allons pouvoir comparer nos propositions avec ce qui sera mis en place par l'exécutif. Et on ne lâchera rien. C'est certain.»