«Mon Dieu, gardez-moi de mes amis. Quant à mes ennemis, je m'en charge». Emmanuel Macron a dû méditer ce mot de Voltaire au vu des réactions suscitées par son dernier coup de communication politique.
«Réformistes» contre «nationalistes», tel était le tableau de la campagne des Européennes dressé par Emmanuel Macron, transposition à l'échelle communautaire d'une recette éprouvée en France, celle qui lui a permis d'accéder à l'Élysée. Lundi 4 mars, via une tribune publiée simultanément dans les principaux quotidiens des 28 États membres, le Président s'est ainsi adressé aux «citoyens d'Europe», les mettant notamment en garde contre la tentation du «repli» ou de la «résignation». Cependant, tout ne s'est peut-être pas passé comme prévu dans la distribution des rôles…
Quelques jours plus tard, c'est au tour de la chef de file de l'Union chrétienne-démocrate (CDU), le parti d'Angela Merkel qu'Emmanuel Macron s'évertue à percevoir comme une indéfectible alliée dans sa vision de la construction européenne, de lui adresser une réponse… explosive.
Le catalogue des contre-propositions d'Annegret Kramp-Karrenbauer est en effet fourni: création d'un siège européen (au détriment de la France?) au Conseil de sécurité de l'ONU, suppression du siège à Strasbourg du Parlement européen ou encore acceptation d'un projet de porte-avions européen… sans oublier le «Non» ferme adressé aux propositions sociales qu'Emmanuel Macron a incluses dans sa tribune: «bouclier social» et salaire minimum européen. En somme, aux yeux de Berlin, après des décennies de concessions économiques de l'Allemagne, l'heure semble être venue pour la France de faire des concessions politiques, résume l'économiste Jean-Marc Daniel sur le plateau de BFM Business.
«Le premier enjeu est de préserver notre prospérité. Dans le marché unique européen comme ailleurs, il faut produire des richesses avant de les distribuer»,
assène ainsi Annegret Kramp-Karrenbauer dans une tribune publiée le 10 mars dans l'hebdomadaire Welt am Sonntag. Surnommée «AKK», elle est pressentie pour remplacer Angela Merkel à la tête de la CDU, au pouvoir depuis plus de 15 ans. Dans la presse française, on tempère en soulignant qu'AKK n'est pas «membre du gouvernement et ne détient aucun mandat» et que par conséquent sa tribune dominicale n'a «évidemment pas le même statut» que celle du Président. Ceci tendrait pourtant à remettre la tribune d'Emmanuel Macron à sa juste place, celle d'un simple texte de campagne électorale et non d'une communication de chef d'État à chef d'État. Mais dès le lendemain, les propositions de celle qui est pressentie pour devenir la future chancelière ont été adoubées par Angela Merkel. «Je pense qu'il s'agit d'un très bon concept pour l'avenir», a-t-elle ainsi déclaré le 11 mars. Autant dire que l'on semble loin de la lune de miel du «couple» franco-allemand régulièrement invoqué par le locataire de l'Élysée.
«Cet attelage, finalement, les Allemands eux-mêmes n'en veulent pas. Pas plus que les vingt-six autres pays, puisque l'idée de l'Europe ce n'est pas l'idée de deux nations phares qui entraîneraient tous les autres derrière. C'est une mauvaise façon d'agir que met en place monsieur Macron et finalement il se retrouve bien seul sur son projet européen,» commente pour Sputnik François Cocq.
Le discours de la Sorbonne, un plaidoyer «enflammé» pour une Europe «souveraine, unie, démocratique»- relu par Angela Merkel- et au cours duquel Emmanuel Macron fustigeait déjà les idées «qui se présentent comme des solutions préférables», que sont celles du «nationalisme, identitarisme, protectionnisme, souverainisme de repli», visant tout particulièrement Victor Orban et ses alliés politiques en Europe.
Un manichéisme, sur lequel nous revenions fin août 2018, lorsque Jean-Yves le Drian vantait devant les ambassadeurs le couple franco-allemand, «moteur de la relance européenne» et adressait un avertissement, sans les nommer, aux pays qui ne respecteraient pas les «principes fondamentaux».
«Avec ce manichéisme, le Président fait courir à notre démocratie et à l'Europe un lourd danger», fustigeait le président des Républicains, Laurent Wauquiez, dans une tribune publiée le 9 mars, dénonçant une «volonté d'enfermer le débat européen dans un choix binaire». Le président du conseil régional d'Auvergne-Rhône-Alpes souligne un manque d'actes concrets d'Emmanuel Macron depuis son discours de la Sorbonne, tout comme François Cocq, aux yeux duquel Emmanuel Macron mène sur la thématique européenne une «politique uniquement communicationnelle».
«Il y a une certaine cohérence, déjà lorsqu'on accepte de voir que monsieur Macron, finalement, aujourd'hui est un illibéral au même titre que ceux auxquels il est confronté, notamment monsieur Orban.»
Le cofondateur du Parti de Gauche, pousse la comparaison entre le Premier ministre hongrois et le Président français, qui selon lui serait «lui aussi pour une forme de renforcement de l'État», du moins un État qui «se reconcentrerait uniquement sur ses fonctions régaliennes, laissant l'ensemble du champ économique aux marchés». Parallèlement, la critique de l'Allemagne vis-à-vis de la France n'est pas non plus une surprise pour l'élu LFI, «étant donné leur modèle de dérégulation total, où l'État lui-même, n'a plus aucun rôle» et ajoute
«Le parallèle va même plus loin puisque comme monsieur Orban, monsieur Macron fait feu de tout bois contre toutes les oppositions internes. Pour cela, tous les moyens pour organiser le désordre public sont bons pour ce gouvernement.»
Le parallèle s'arrête peut-être là, puisque les deux dirigeants divergent sur la question de la souveraineté. François Cocq regrette ainsi l'offensive d'Emmanuel Macron, menée au nom de la souveraineté européenne sur les souverainetés des États membres. Pour lui, «Emmanuel Macron est au milieu du gué»:
«Monsieur Macron est à la fois en échec avec les uns, avec les autres, il se retrouve tout seul pour son projet, il n'y a aucune cohérence, il ne peut rien construire sur ces bases-là sinon continuer à déconstruire l'existant et la souveraineté des différents peuples.»
«Il est l'adversaire résolu de tous les peuples européens et en même temps, il ne satisfait même pas l'Union européenne technocratique telle que nous la connaissons aujourd'hui», ajoute François Cocq. Pour l'auteur de L'impératif démocratique, Emmanuel Macron «est en échec sur toute la ligne».
«L'Union européenne ne veut pas de ce rôle politique, elle se contente très bien d'être une puissance de relégation pour laisser libre cours au marché et à la libre concurrence et elle n'a pas besoin de s'embarrasser d'un pouvoir politique puisqu'elle vise juste à laisser faire les choses et à être un imperium technocratique», développe-t-il.
«Le modèle de monsieur Macron n'est absolument pas celui-là,» conclut-il. Pire à ses yeux que d'être «en échec», c'est la démarche conflictuelle dans laquelle s'inscrit le Président français qui inquiète François Cocq:
«Notez que monsieur Macron est en guerre politique avec tout le monde: il est en guerre politique dans notre pays, puisqu'il est en guerre politique avec les Gilets jaunes, il est en guerre politique avec les corps intermédiaires, il est en guerre politique avec les cadres institutionnels, puisque c'était encore le cas avec le Sénat il y a quelques jours, mais il est en guerre politique, on l'a vu, avec la Hongrie, avec l'Italie, avec la Russie, aujourd'hui en confrontation affirmée avec l'Allemagne.
Ce n'est pas la place centrale, la place pour projeter les valeurs universalistes que sont celles de la République française. Monsieur Macron abaisse notre pays.»