Le FMI émet un avis de «tempête» sur l’économie mondiale

L’optimisme n’était pas de mise au World Government Summit de Dubaï. Christine Lagarde, présidente du FMI, a déclaré devant des décideurs politiques et économiques internationaux que des «nuages» s’accumulaient sur la croissance mondiale. Sylvie Matelly, économiste et directrice adjointe de l’IRIS, décrypte l’avertissement pour Sputnik.
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«Quand il y a trop de nuages, il faut un éclair pour déclencher la tempête.»

Christine Lagarde a lancé un avertissement au World Government Summit de Dubaï le 10 février. Alors qu'elle s'exprimait devant un parterre de personnalités des mondes politique et économique, la patronne du FMI a prévenu son audience que «quatre nuages» planaient sur la croissance mondiale: tensions commerciales, resserrement des taux d'emprunt, Brexit et ralentissement de l'économie chinoise. Fin janvier, le FMI tablait sur une croissance de 3,5% en 2019. C'est 0,2 point de moins que sa précédente projection d'octobre… qui avait déjà été abaissée.

«L'économie mondiale ralentit. La Chine est en difficulté. Mais des risques pèsent aussi sur les États-Unis et Wall Street, qui a vécu des derniers mois compliqués, notamment au niveau des valeurs technologiques. Ceci fait craindre le pire. Un certain nombre d'indicateurs laissent penser que les années où le FMI se réjouissait d'une croissance mondiale au rendez-vous, qui permettrait de réduire durablement le chômage sont derrière nous», explique à Sputnik France Sylvie Matelly, économiste et directrice adjointe de l'IRIS; l'Institut de Relations Internationales et Stratégiques.

Alors que la joute commerciale entre Washington et Pékin fait rage depuis plusieurs mois, les négociations ont repris le 11 février, mais c'est début mars qu'une nouvelle salve de sanctions commerciales doit entrer en vigueur. Elle portera notamment sur le passage de 10% à 25% des droits de douane sur l'équivalent de 200 milliards de dollars d'importations chinoises annuelles aux États-Unis. C'est avec cette échéance en vue que Jeffrey Gerrish, représentant adjoint au Commerce des États-Unis, a entamé des discussions préliminaires avec Pékin. Elles précèdent d'autres tractations qui devraient avoir lieu les 14 et 15 février, toujours dans la capitale chinoise. Seront présents côté américain Robert Lighthizer, représentant pour le Commerce, et Steven Mnuchin, secrétaire au Trésor. Dans le camp d'en face, ce sont le vice-Premier ministre Liu He et Yi Gang, gouverneur de la banque centrale, qui représenteront la Chine. Les acteurs auront de quoi faire si l'on en croit les récentes déclarations de l'Administration Trump qui disait qu'il y avait «encore beaucoup de travail».

​Preuve de la tension qui règne entre les deux premières puissances économiques mondiales, Washington a profité de la reprise des négociations pour faire passer deux de ses destroyers en mer de Chine méridionale. Cette zone voit transiter près d'un tiers du commerce mondial et Pékin la considère comme faisant partie de son territoire. C'est donc sans surprise que la manœuvre américaine a provoqué une réaction de la Chine. Elle a accusé les États-Unis de chercher «à provoquer des troubles».

Un Brexit plus incertain que jamais

Les tensions commerciales ne sont que l'un des nuages évoqués par Christine Lagarde. D'autres menacent. Le durcissement des politiques monétaires des banques centrales, par exemple.

«Il faut replacer tout cela dans un contexte global. Ce durcissement des politiques monétaires était dans les tuyaux depuis des années. La Réserve fédérale y préparait les entreprises et les partenaires économiques des États-Unis. Plus largement, les Banques centrales se sont rendu compte qu'après la crise de 2008, elles avaient fait tout leur possible pour éviter l'effondrement, avec succès, mais qu'elles s'étaient aussi mises dans une situation compliquée en agissant trop vite et trop fort. C'était un mal nécessaire, mais elles ont considérablement réduit leurs marges de manœuvre en cas de nouveau choc», analyse Sylvie Mattely.

Le 30 janvier, la FED (Banque centrale américaine) a laissé ses taux inchangés et a annoncé qu'elle se montrerait «patiente» concernant de futures hausses. Le ralentissement de l'économie mondiale et l'absence d'accélération de l'inflation l'ont poussé à la prudence. De l'autre côté de l'Atlantique, Mario Draghi, patron de la Banque centrale européenne (BCE), informait en décembre que l'institut basé à Francfort laisserait ses taux directeurs inchangés à un plus bas historique jusqu'à la fin de l'été 2019, au minimum. Reste qu'aux États-Unis, 2018 a enregistré pas moins de quatre hausses de taux. Ce resserrement de la politique monétaire augmente le coût de l'agent. En Europe, Mario Draghi a annoncé la fin du programme de rachat d'actifs, le «quantitative easing», en jargon économiste, après trois ans et demi et 2.600 milliards d'euros injectés. Tout ceci participe d'une stratégie de la sécurité face à une multiplication des risques pour l'économie mondiale, selon Sylvie Matelly:

«La logique actuelle est celle d'une restauration progressive des marges de manœuvre. Les choses sont devenues d'autant plus pressantes ces derniers mois avec plusieurs signes, tels que la guerre commerciale américano-chinoise, la baisse des marchés et plus largement le ralentissement de la croissance mondiale, qui laissent à penser qu'une nouvelle crise majeure est possible dans les prochains mois. Ce n'est en aucun cas une certitude. Mais c'est envisageable.»

Le sort du Brexit ne relève absolument pas, lui aussi, de la certitude. Le 15 janvier, Theresa May, Premier ministre britannique, a essuyé une défaite attendue au Parlement. L'accord de Brexit négocié durant des mois entre Londres et Bruxelles a été largement rejeté par les parlementaires de Sa Majesté. Un événement qui rend le spectre d'un «no deal» plus menaçant que jamais. Le négociateur en chef de l'UE pour le Brexit, Michel Barnier, a rencontré dans la soirée du 11 février son homologue britannique, Stephen Barclay, pour de nouvelles discussions.

«C’est la pire bulle spéculative sur les marchés depuis 1929 et elle va exploser»
Quelle menace pour la croissance mondiale ferait peser une sortie sèche du Royaume-Uni de l'Union européenne?

«C'est l'inconnue absolue. Certains vous expliquent que cela serait une catastrophe, que l'économie du Royaume-Uni va s'effondrer. Les mêmes choses avaient été dites suite au référendum en juin 2016. Reste que, pour le moment, la résilience de l'économie britannique est étonnante. Est-ce que c'est le cas car le Brexit n'a pas encore eu lieu? Cela serait logique.
Mais d'autres, comme les "hard brexiters", considèrent que le Royaume-Uni est un pays extrêmement résilient, qui aime la liberté et l'autonomie et qu'à partir du moment où vous restaurez cette liberté, tout ne peut qu'aller mieux pour l'économie. Ils pensent que la Nation était handicapée par ce qu'ils considèrent comme la bureaucratie lourde de l'Union européenne et qu'en sortir sera une bonne chose. C'est très compliqué de savoir ce qu'il va se passe, r de même que les conséquences qu'aura le Brexit sur l'économie mondiale», répond Sylvie Mattely.

L'incertitude qui règne est compliquée à gérer pour le monde des affaires. «Il faut que quelque chose bouge du côté britannique, c'est la clarté ou le mouvement qui doit avoir lieu au Royaume-Uni», a appelé de ses vœux Michel Barnier le 11 février, à l'issue d'une rencontre avec le Premier ministre luxembourgeois, Xavier Bettel. Le Brexit est programmé le 29 mars. Dans 45 jours…

«Ce qui handicape le plus les entreprises qui travaillent avec le Royaume-Uni, c'est l'incertitude. Theresa May, depuis plusieurs mois, est dans l'hésitation. Elle ne parvient pas à mettre tout le monde en ordre de bataille, soit pour accepter et préparer une sortie sans accord ou, au contraire, faire accepter l'accord qu'il a eu avec Bruxelles. Encore le 11 février, elle disait vouloir obtenir un délai pour négocier avec son Parlement. Elle ne veut pas sortir sans accord, mais elle n'a pas les moyens de le faire accepter. Nous sommes dans une impasse absolue. On ne sait même pas, à 50 jours de l'échéance, si le Royaume-Uni va sortir de l'Union européenne et dans quelles conditions», s'inquiète Sylvie Mattely.

Dernière inquiétude partagée par Christine Lagarde et non des moindres: le ralentissement de l'économie chinoise. Habitué des croissances à deux chiffres, l'Empire du Milieu aura vu son PIB augmenter de 6,6% en 2018, d'après le Bureau national des statistiques (BNS). Un plus bas en 28 ans, ce qui inquiète les spécialistes. Et à raison à en croire Sylvie Mattely:

«Le talon d'Achille de la Chine est sa dette et plus globalement la question financière. L'économie du pays a un vrai paradoxe. Elle a accumulé des excédents colossaux durant des années et donc beaucoup d'argent. Cette manne financière a été investie partout sur la planète, des bons du Trésor américains à la Route de la soie en passant par l'Afrique. Et parallèlement, les marchés financiers chinois sont fragilisés par un endettement très fort, qui menacent d'un krach et donc d'une crise dont l'ampleur est impossible à prévoir. Cela serait une première dans le cas de l'économie chinoise.»

Une étude de la banque Goldman Sacchs citée par La Tribune souligne que l'endettement total du pays atteint 317 % du PIB, dont 205 % pour la seule dette privée. Pire, cette dernière serait composée en majorité de créances douteuses.

Les Gilets jaunes nous avaient (presque) fait oublier la crise économique qui vient
Du côté des raisons d'espérer, on trouve la stratégie des dirigeants chinois. Ces derniers essayent depuis des années de transformer l'économie du pays en lui faisant passer un cap, comme l'explique Sylvie Matelly:

«L'objectif des autorités chinoises est de faire ralentir cette croissance trop largement fondée sur les exportations pour se repositionner et se renforcer au niveau de sa consommation intérieure. Cette dernière avait tendance à augmenter moins vite depuis le début des années 2000, avant de retrouver des couleurs ces dernières années. Il y a clairement une volonté de la part de Pékin de stabiliser l'économie et de la rendre moins dépendante de l'extérieur. La question qui se pose est la suivante: est-ce que le possible krach lié à ce trop fort endettement arrivera plus vite que la stabilisation de l'économie? C'est une véritable incertitude. D'autant plus que nous sommes face à une situation assez nouvelle.»

​Bref, la situation chinoise est difficile à décrypter. Son système basé sur un étonnant mélange entre capitalisme économique et dirigisme politique rend compliqué toute anticipation, comme le souligne Sylvie Mattely. Cette dernière s'interroge:

«Est-ce que ce dirigisme va suffire à éviter une crise économique majeure? C'est toute la question. Mais c'est clairement une épée de Damoclès qui pèse sur l'économie chinoise et donc sur l'ensemble de la planète. Son ralentissement a déjà des effets négatifs sur un certain nombre de pays, je pense notamment à l'Allemagne. S'il venait à devenir plus brutal, les conséquences seraient très graves pour de nombreuses nations, pays européens en tête, et cela bien au-delà de la guerre commerciale que se livrent Pékin et Washington.»

 

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