«Nous ne voulons pas renforcer notre dépendance vis-à-vis de la Russie, nous ne voulons pas nuire aux intérêts des pays de l'UE comme la Pologne et la Slovaquie.»
Telles seraient les explications données par une source du Süddeutsche Zeitung, au sein des «cercles gouvernementaux» français, pour justifier un retournement de position de la France vis-à-vis du Nord Stream 2.
Le Süddeutsche Zeitung évoquait donc dès le 6 février la possibilité qu'une «intervention personnelle» d'Emmanuel Macron amène Paris à revoir son choix. Un vote qui pourrait bien remettre en cause le projet de second gazoduc, reliant directement la Russie à l'Allemagne via la mer Baltique, un projet qui a par ailleurs été condamné par un vote du Parlement européen à la mi-décembre.
«Si la France changeait d'avis et basculait dans le camp des opposants à Nord Stream 2 en soutenant l'extension des pouvoirs de la Commission et sans vouloir employer de termes excessifs- cela pourrait être perçu comme une trahison par nos partenaires allemands, puisque jusqu'à présent on les soutenait sur ce dossier», réagissait Philippe Sébille-Lopez, que Sputnik a interrogé peu avant l'officialisation de la position parisienne.
L'analyste s'est montré «surpris» par ce qui n'était encore qu'une rumeur. Il a tenu à se montrer prudent, notamment à la vue du caractère particulièrement vague de l'article, d'autant plus que Paris et Berlin tiennent plus que jamais à s'afficher comme le moteur de l'Europe. Dernier épisode en date de cette idylle, la volonté de Paris de «partager» son siège au Conseil de Sécurité de l'Onu avec Berlin…
«Si sur un dossier aussi central, Paris venait à changer de position, il est évident que la question de la fiabilité de la parole de l'État français vis-à-vis de ses partenaires européens serait posée.»
Pour Philippe Sébille-Lopez, les principaux arguments avancés par Paris selon l'article du Süddeutsche Zeitung- à savoir de ne pas faire faux-bond à nos partenaires Européens de l'Est- seraient peu justifiés dès lors que le choix de la Pologne en faveur du GNL américain est lui aussi politique. En outre la Pologne selon lui, «reste un pays de transit pour un autre gazoduc russe». Quant à la Slovaquie «elle n'assure que le prolongement de l'axe de transit Ukraine Autriche, avec peu de droits de transit en cause».
«Donc je ne vois pas en quoi la décision du gouvernement français changerait quoi que ce soit aux intérêts de la Pologne. Pour la Slovaquie, c'est minime, donc ce sont à mon avis de fausses bonnes raisons pour justifier une décision qui pourrait ne pas être politiquement très bien reçue en France et encore moins à Berlin», ajoute Philippe Sébille-Lopez.
Pour Philippe Sébille-Lopez, «La Pologne a déjà pris ses dispositions» en matière d'approvisionnements énergétiques, via du GNL Qatari, mais aussi deux contrats d'approvisionnement en GNL américain dans l'avenir du gaz norvégien livré par un gazoduc passant par le Danemark et la Baltique.
Cependant, au petit jeu de «à qui profite le crime?», un pays apparaît particulièrement concerné par un possible échec du gazoduc de 55 milliards de m3 de capacité annuelle. Un pays déjà appelé à perdre les recettes des droits de transit de 16 milliards de m3 de gaz russe à cause du Turkish-Stream, perdant ainsi son positionnement géostratégique vis-à-vis de la Russie alors même que —comme le souligne notre intervenant- il est «appelé à rejoindre l'OTAN à terme»:
«Pour l'Ukraine, il y a par contre un vrai problème. C'est-à-dire le manque à gagner sur les droits de transit que touche l'Ukraine, autour de 2 milliards [de dollars, ndlr] par an. Cette question-là est bien réelle.»
Philippe Sébille-Lopez rappelle ainsi qu'«à plusieurs occasions, l'Ukraine, en tant que pays de transit, a démontré que ses relations avec Moscou pouvaient remettre en cause sa fiabilité comme pays de transit.», renvoyant ainsi aux origines du Nord Stream 2.
«Avec le Nord Stream 2 il ne s'agit pas d'augmenter cette dépendance au gaz russe, simplement de changer les voies d'acheminement. C'est-à-dire que le gaz russe qui passe aujourd'hui par l'Ukraine passerait en partie par le Nord Stream 2. Donc, on n'augmenterait pas, au moins dans un premier temps, la dépendance en volume.»
Richard Grenell, ambassadeur américain à Berlin, a ainsi brandi le spectre des sanctions début janvier. Parmi les premiers concernés, les Allemands Wintershall et Uniper, l'Autrichien OMV, le Néerlando-Britannique Shell et… le français Engie. Une Allemagne dépeinte par Donald Trump, lors d'un discours au sommet l'Otan, comme «prisonnière» de la Russie, comme le soulignait alors Libération.
«Vis-à-vis de l'Europe, on ne peut pas dire que Nord Stream2 va modifier la donne actuelle, si ce n'est qu'il y a un pays qui clairement perd sa position stratégique en tant que pays de transit, c'est l'Ukraine. L'Ukraine n'étant pas encore dans l'Europe aujourd'hui, la question se pose d'ores et déjà à un autre niveau- celui de l'élargissement de l'Otan à l'Ukraine, d'où le double intérêt des Etats-Unis, à la fois pour ce volet militaire stratégique et sur celui des exportations de GNL américain vers l'Europe»
Au-delà des questions d'élargissement de l'alliance atlantique, la question énergétique est évidemment omniprésente. Comme le souligne notre intervenant, les États-Unis sont actuellement en situation de surproduction de gaz, et il leur faut impérativement sécuriser des débouchés à l'exportation pour leur GNL, souligne l'analyste.
«Pour les États-Unis,- sans le Nord Stream2- leurs exportations de GNL seront moins en compétition avec du gaz russe gazoduc et ils apparaîtront bien sûr en plus comme un simple fournisseur alternatif de gaz.»
Lors d'un point de presse électronique, si le quai d'Orsay précise que «les travaux se poursuivent avec nos partenaires, en particulier avec l'Allemagne, sur les modifications qui pourraient être apportées au texte», l'Élysée annonçait qu'Emmanuel Macron annulait sa participation à la prochaine conférence sur la sécurité de Munich du 15 au 17 février.