«L'initiative que je porte, avec Faker Korchane, provoque beaucoup de réactions. Soutiens et questions pleuvent. L'attente est visiblement très grande.»
«Il est temps que les femmes musulmanes se fassent entendre et que l'islam leur fasse la place qu'elles méritent. Le Coran a trop longtemps été lu avec des lunettes d'homme. Les textes peuvent être interrogés autrement.»
Encore au stade de projet, l'idée a déjà ses détracteurs. Le Docteur Karim Ifrak, chercheur scientifique au CNRS et spécialiste de l'islam, s'est exprimé auprès de Sputnik France. Pour nous, il analyse la nature de cette initiative, sa faisabilité et ses possibles conséquences. Entretien.
Sputnik France: Certains parlent déjà de Kahina Bahloul comme de la «première femme imam de France». Dans un article pour lequel vous avez collaboré et qui a été publié par The Conversation, vous dites que ce n'est pas le cas. Du moins par encore.
Sputnik France: Vous rappelez que de telles initiatives ont déjà été prises par le passé. Avec un succès qui ne s'est pas confirmé dans la durée…
Karim Ifrak: «En 2012, un projet de mosquée ultra-inclusive ouverte aux homosexuels était sur les rails. Son instigateur voulait y encourager les prières menées par des femmes. Aujourd'hui, on ne sait pas trop ce qu'est devenu ce projet, mais l'idée d'une imam femme en France ne date pas du début 2019.»
Sputnik France: Kahina Bahloul a déclaré au Point qu'il était «acquis depuis le XIIe siècle et les écrits d'Ibn Arabi que rien n'interdit à une femme de diriger la prière». Êtes-vous d'accord?
Sputnik France: Le projet «Fatima» a déjà ses détracteurs. Certains s'en prennent notamment à Kahina Bahloul, en raison de ses origines algériennes et de son féminisme qu'elle dit universaliste et non islamique… Ne devrait-elle pas s'attendre à beaucoup d'obstacles semés par ses adversaires?
Karim Ifrak: «Je ne pense pas. Tout d'abord, ses détracteurs ne sont pas légitimes. Je suis contre leurs méthodes et je tiens à souligner que ce qu'elle subit est totalement injuste. Et s'ils se livrent à des actes répréhensibles, ils doivent être punis par la loi. Pour revenir au projet de Kahina Bahloul, il est, selon moi, loin d'être irréalisable. Ses détracteurs oublient que nous ne sommes pas dans un pays ultra-musulman, mais en France. Les individus ont le droit de croire ou de ne pas croire, de pratiquer ou non. Cela signifie que ce projet a toutes ses chances, au même titre qu'un autre. Va-t-il voir le jour ou pas? C'est une autre affaire.»
Karim Ifrak: «Dans la sphère de l'islam religieux, il y a une distinction entre l'islam des mosquées et l'islam hors-mosquées. Le premier est celui de la pratique religieuse classique. Le second est celui où s'épanouit la spiritualité. L'idée de Kahina Bahloul se réclame d'un projet d'imamat construit autour de la mosquée. Se faisant, son rayonnement ne touchera pas l'ensemble de la communauté musulmane, mais uniquement celle qui est dans les mosquées. En France, on trouve entre 7 à 8% de pratiquants assidus de la religion musulmane. Sur cet ensemble, ceux qui seront susceptibles d'être intéressés par le projet de Kahina Bahloul ou d'autres de ce type seront en comité réduit.»
Sputnik France: Peut-on s'attendre à un certain adoubement par l'État du fait que ce projet d'inclusivité est dans l'air du temps?
Karim Ifrak: «Pas forcément. Kahina Bahloul et d'autres personnes qui ont ce type d'intentions ont été invitées aux assises de l'islam. Mais elles l'ont été de la même façon qu'un certain nombre d'autres acteurs musulmans. Cependant, je souhaite attirer l'attention sur le fait que l'État est bien évidemment au courant que Kahina et les autres portent ces projets et que le fait de les avoir invitées est une façon indirecte de les reconnaître.»
Sputnik France: De tels projets visant à rendre l'islam de France plus inclusif peuvent-ils permettre de le réhabiliter, lui dont l'image a beaucoup souffert ces dernières années?
Karim Ifrak: «C'est une question complexe. Difficile de dire si cela va dans le bon sens ou va profiter à redorer l'image de l'islam en France. Nous avons besoin de temps pour voir les retombées concrètes sur le terrain avant de tirer des conclusions. Je rappelle encore une fois que ces projets ne sont pas encore devenus réalité. Rien n'a été fait de manière concrète. Patience avant de tirer des conclusions.»