La démocratie par la force: comment les USA s'ingèrent un peu partout dans le monde

Après l'ultimatum lancé au Président du Venezuela Maduro, la crise dans ce pays est entrée dans une nouvelle phase, encore plus dangereuse. On perçoit clairement la main des États-Unis derrière les manifestations de l'opposition vénézuélienne qui ont ébranlé le régime à Caracas, écrit le quotidien Izvestia.
Sputnik

La tentative de coup d'État au Venezuela n'est que l'un des nombreux cas où la Maison-Blanche, qui parle sans arrêt de protéger la démocratie ou de prévenir les génocides, s'ingère sans gêne dans les affaires d'autres pays, selon Izvestia. La géographie des putschs soutenus par les Américains est large, de l'Ukraine au Laos en passant par la Grenade et le Vietnam. Voici les exemples les plus marquants des luttes de Washington pour les «valeurs éternelles» à l'étranger, qui poursuivent en réalité des objectifs bien différents.

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Une lutte systémique

La plupart des cas récents d'ingérence des États-Unis dans l'ordre politique d'autres pays ont été constatés pendant la guerre froide, contre l'Union soviétique. Cherchant à renforcer leurs positions géopolitiques, les deux rivaux idéologiques tentaient régulièrement de placer «leur» gouvernement dans différents pays. Étant donné qu'à l'issue de la Seconde Guerre mondiale la composition des camps opposés était globalement déterminée, les pays d'Asie, d'Afrique et d'Amérique du Sud sont devenus l'arène principale des actions de l'URSS et des USA.

Les motifs politiques derrière lesquels l'administration américaine se cachait dans ses actions étaient étroitement liés aux intérêts économiques des États-Unis. La détermination à obtenir le contrôle des couloirs de transport et des ressources naturelles — pétrole et gaz en tête — était camouflée par la volonté d'empêcher l'islamisation du Moyen-Orient ou de stopper la propagation des idées communistes en Asie et en Amérique latine.

Les mécanismes de frein tels que l'Onu n'étaient souvent pas une barrière efficace contre les tentatives de la Maison-Blanche de redessiner la carte politique mondiale.

L'opération Ajax

Au début des années 1950, les États-Unis et le Royaume-Uni ont décidé qu'ils ne voulaient plus se résigner à la nationalisation du secteur pétrolier de l'Iran lancée par le Premier ministre Mohammad Mossadegh, démocratiquement élu. Dans cette situation, la Compagnie pétrolière anglo-iranienne, fonctionnant sous la forme de concession, perdait des millions de revenus. De plus, l'Occident était inquiet de l'éventuelle expansion de la coopération entre Téhéran et Moscou — l'URSS aidait l'Iran confronté au blocus économique en lui fournissant du pétrole.

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L'idée britannique d'un coup d'État en Iran a été soutenue par l'administration républicaine de Washington, dont les principaux figurants étaient le directeur de la CIA Allen Dulles et son frère John Foster Dulles, secrétaire d'État. L'opération, baptisée Ajax, a été directement planifiée par le représentant d'une autre dynastie politique américaine influente: le chef de la section Moyen-Orient de la CIA Kermit Roosevelt, petit-fils du 26e Président des USA Theodor Roosevelt.

Au final, en 1953, les alliés occidentaux ont financé et organisé des manifestations contre le Premier ministre iranien, l'accusant de corruption et de visées anti-islamiques et antimonarchiques. Après une série d'altercations entre les opposants et les partisans du premier ministre à Téhéran, Mohammad Mossadegh a été arrêté, puis condamné.

Ce dernier a cédé sa place au Premier ministre «élu» par Londres et Washington: le général Fazlollah Zahedi, ex-ministre de l'Intérieur renvoyé par Mossadegh en 1951. Le général a dirigé le cabinet pendant moins de deux ans avant d'être expulsé du pays par le chah, devenu un allié des USA dans la région. En revanche, la Compagnie pétrolière anglo-britannique (devenue par la suite British Petroleum) et cinq compagnies pétrolières américaines ont reçu un contrôle de 80% sur l'exploitation des hydrocarbures perses.

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Le rôle de la CIA dans le renversement de Mohammad Mossadegh n'a été officiellement confirmé qu'en 2013, après la déclassification des dossiers par les Archives de la sécurité nationale des USA.

Même si à l'époque, l'implication des services secrets américains dans les événements de Téhéran était pratiquement incontestable, pour des raisons évidentes Langley avait refusé de confirmer les faits.

Se battre pour la «juste cause»

Un autre cas marquant d'ingérence dans les affaires d'un autre État a été l'opération américaine au Panama en 1989. Il ne s'agissait plus seulement d'actions secrètes des renseignements et de leurs agents parmi la population locale: les USA ont procédé à une invasion à part entière en envoyant au Panama près de 26.000 hommes et plus de cent véhicules blindés.

L'opération Just Cause a trouvé sa source dans le mécontentement extrême suscité à Washington par le dirigeant du Panama, Manuel Noriega. Arrivé au pouvoir après la mort du dictateur Omar Torrijos dans une catastrophe aérienne, il irritait les Américains avant tout pour son intransigeance dans l'usage du canal de Panama — à partir de 1999, le contrôle de cette artère de transport cruciale devait passer des mains des USA au Panama, et les tentatives de Washington de revoir cet accord étaient rejetées par Manuel Noriega.

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De plus, déçu par la politique économique imposée par les USA via le FMI, ce dernier avait décidé de trouver de nouveaux amis parmi les pays latino-américains et notamment au Nicaragua (où, d'ailleurs, la lutte des Contras contre le gouvernement de Daniel Ortega était également activement soutenue par les USA). Au final, les tribunaux américains ont proclamé Noriega criminel de guerre, alors que le Président Ronald Reagan, sous couvert de lutte contre le trafic de drogue (et le dictateur panaméen trempait effectivement dans ce business, en aidant notamment les narco-barons colombiens), de protection de la démocratie et de garantie de la sécurité des citoyens américains et du canal de Panama, a lancé en décembre 1989 l'opération Just Cause.

Après plusieurs jours de combats ayant entraîné des centaines de morts, Noriega s'est réfugié à l'ambassade du Vatican. Les Américains ont réussi à le faire sortir en installant des enceintes puissantes près de la mission diplomatique, dans lesquelles ils ont passé du heavy metal à plein volume. Le général n'a pas supporté la pression et s'est rendu trois jours plus tard. Il a ensuite été extradé en Floride où il a été condamné à 30 ans de prison. Il est mort en détention en mai 2017.

Après son renversement, Noriega a été remplacé par le politicien d'opposition Guillermo Endara, qui a prêté serment à la base américaine. Ce dernier est resté au pouvoir jusqu'en 1994. Malgré les déclarations américaines concernant le succès de l'opération Just Cause, l'économie du Panama a stagné et le chef de l'État n'était soutenu que par 12% de la population. Fin 1999, le canal, qui était à l'origine de l'intervention militaire, a été tout de même remis au Panama.

Coup double pour l'Irak

Certains pays ont été envahis plus d'une fois par les USA. L'un des exemples les plus connus est celui de l'Irak, où Washington a mené deux grandes opérations — à la fin du XXe siècle et au début du XXIe siècle. La première, Tempête dans le désert, avait pour prétexte l'invasion de l'Irak au Koweït: Bagdad jugeait que ce territoire lui appartenait et accusait le Koweït de lui voler des hydrocarbures.

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En janvier 1991, le Président George H.W. Bush a annoncé le début de l'opération. Les frappes aériennes et les tirs de missiles ont été suivis par une opération au sol. Le seul contingent américain dépassait 420.000 hommes, ce qui a permis à Washington et à ses alliés de défaire en quelques jours les forces de Saddam Hussein.

Sur le plan militaire, la victoire des USA était incontestable et la réussite de l'opération irakienne est restée comme l'un des principaux exploits de l'ex-président américain décédé le 30 novembre 2018. Le motif de l'invasion était suffisamment fondé: le Conseil de sécurité des Nations unies avait laissé à Bagdad un mois et demi pour retirer ses troupes du Koweït, mais l'Irak ne s'était pas plié à l'ultimatum.

Par contre, les résultats de la seconde campagne américaine en Irak lancée en 2003 par George W. Bush sont bien plus contestables. Elle avait pour prétexte un prétendu programme de fabrication d'armes de destruction massive par Saddam Hussein.

En février, pendant la réunion du Conseil de sécurité des Nations unies, afin de prouver la nécessité d'utiliser la force contre Bagdad, le secrétaire d'État Colin Powell avait même brandi une fiole qui contenait prétendument des spores d'anthrax retrouvées en Irak. Cependant, un an plus tard, il a reconnu que les informations qu'il avait rendues publiques sur les armes de destruction massive en Irak s'appuyaient sur des données incorrectes, voire falsifiées.

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Mais les USA et leurs alliés, cette fois moins nombreux, étaient déjà entrés en Irak — et pour y rester. Après la phase active de la campagne, les militaires américains ont dû contrer pendant plusieurs années les attaques de la guérilla, tandis que l'image de Bush, qui le 1er mai 2003 avait annoncé en grande pompe que la mission était accomplie, avait été affectée par les nombreux scandales liés aux sévices que des militaires américains faisaient subir aux combattants et aux membres du parti Baas faits prisonniers.

La capture et l'exécution de Saddam Hussein peut être considérée comme le résultat principal de l'opération Iraqi Freedom, qui a duré plusieurs années pour les USA. Certains supposaient même que George W. Bush avait lancé le conflit pour se venger du dirigeant irakien qui planifiait l'assassinat de son père.

Cependant, en l'absence d'Hussein, le pays s'est enfoncé dans le gouffre d'une guerre civile entre les sunnites et les chiites. De leur côté les USA, outre les pertes de personnel et les dépenses financières colossales, n'ont fait que renforcer leur réputation de gendarme du monde ne lésinant pas sur les moyens pour atteindre ses fins.

Le «messianisme américain»

Au printemps 2018, l'ambassade de Russie à Washington a publié sur Facebook les informations d'un chercheur américain de l'université Carnegie-Mellon indiquant qu'entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et 2000, les États-Unis s'étaient ingérés au moins 80 fois dans les élections dans 45 pays, et ce «sans tenir compte de l'organisation de coups d'État militaires et de révolutions de couleur».

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Sur la même période et depuis le début du siècle, Washington a participé à des dizaines de conflits locaux et régionaux — le site AlterNet a recensé près de 80 cas depuis 1953.

La disposition des États-Unis à s'ingérer dans pratiquement tous les litiges en utilisant l'armée ou les services secrets agissant sous couverture diplomatique est bien illustrée par la plaisanterie sur le sujet: «Pourquoi n'y a-t-il jamais de coups d'État à Washington?— Parce qu'il n'y a pas d'ambassade américaine.»

AlterNet indique également qu'«approximativement la moitié des coups d'État organisés par les USA a échoué» et que «le succès n'est jamais garanti». «Cependant, il est rare que des Américains meurent ou se retrouvent en détresse après des putschs ratés. Ce sort est toujours réservé aux habitants du pays où le coup d'État a été perpétré, ce sont eux qui en paient le prix, confrontés à la violence, au chaos, à la pauvreté et à l'instabilité», écrit le site.

Le politologue Sergueï Kozlov, doyen de la faculté de politique et de relations internationales à l'Institut d'administration de Sibérie, estime que la disposition des USA à s'ingérer dans toutes les «querelles» est une particularité de la mentalité américaine.

«Il est propre aussi bien aux élites américaines qu'aux simples Américains de s'imaginer un certain rôle particulier des USA, une sorte de messianisme américain. C'est l'idée selon laquelle les USA auraient le droit de s'ingérer dans toutes les affaires partout dans le monde qui justifie à leurs yeux le fait d'influencer la situation dans d'autres pays», résume-t-il.

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur de l'article repris d'un média russe et traduit dans son intégralité en français.

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