«Vous savez, BFM, ils ne m'invitent plus depuis que Macron est élu», s'insurge Gérard Filoche.
La faconde gouailleuse de l'ancien trotskyste n'apparaît plus sur la chaîne d'information en continu, il faut le rappeler, surtout depuis un tweet antisémite de novembre 2017. Rapidement supprimée, cette publication lui vaudra également des poursuites judiciaires pour provocation à la haine et une mise au ban du parti socialiste. Mais l'inspecteur du travail à la retraite ne se repose pas. Bien au contraire, il continue ses harangues énergiques lors de meetings et de visite des ronds-points occupés par des Gilets jaunes. Il appelle les manifestants à la grève générale, seul moyen selon lui, pour faire plier le gouvernement.
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Très affable, il nous reçoit chez lui, face aux Halles de Paris, dans un modeste appartement qu'il partage avec sa femme. Partout aux murs, des affiches, des prospectus appelant à la lutte finale: le camarade Filoche aux accents de «Tonton flingueur» revit sa jeunesse. Toujours «au stade des étudiants», cette «situation prérévolutionnaire» pourrait selon Filoche atteindre le même degré d'insurrection que mai 68, si et seulement si, les Gilets jaunes parvenaient à bloquer les entreprises:
«On ne peut gagner contre un pouvoir comme Macron que si on a 15 millions de grévistes. L'exemple de mai 68, c'est mon âge, j'avais 20 ans, j'ai expérimenté, j'ai vu comment ça s'est répandu comme une traînée de poudre dans toutes les entreprises et il y avait 11 ou 12 millions de grévistes sur 13 millions de salariés. C'est la plus grande grève de l'histoire de l'humanité, 90% de grévistes dans tout le pays. Tout était arrêté: les gardiens de musée, chirurgiens-dentistes, les cinéastes à Cannes, les pompistes, il y avait des mouvements dans les couvents […] Le pouvoir a été obligé de négocier, l'augmentation de salaire en juin 68 a été de 33%.»
Le soixante-huitard franchement assumé estime que la violence jusqu'alors affichée a réussi partiellement à faire plier Emmanuel Macron, mais qu'elle ne permettra pas à l'ensemble de la population française de se joindre au mouvement. Gérard Filoche place les Gilets jaunes dans la lignée des mouvements sociaux initiés depuis quatre ans par les syndicats pour lutter contre la loi El-Khomri et Nuit Debout, sous le mandat de François Hollande. Si ces luttes sociales n'ont absolument pas été entendues par le gouvernement d'alors, les Gilets jaunes en seraient la traduction désorganisée et plus violente. Et il se montre inarrêtable dans sa diatribe contre les fameux premiers de cordée:
«Les gens n'acceptent plus le creusement des inégalités, ils n'acceptent plus qu'il y ait 1% des riches qui possèdent tout, ils n'acceptent plus que dans le monde, il y a 26 milliardaires qui possèdent plus que 3 milliards et demi d'humains et en France c'est 78 milliardaires. Il y a deux milliardaires qui possèdent plus que 20 millions de Français.» Sur l'affaire Carlos Ghosn, il enchaîne: «les premiers de cordée, c'est les plus pourris.»
Pour lui, donc les Gilets jaunes sont de gauche. Peut-être faudrait-il lui rappeler que les syndicats, la CGT, la CFDT et FO ont à l'origine refusé de participer au mouvement, prenant largement leurs distances avec cette mobilisation contre la taxation supplémentaire du diesel, qui partait donc plutôt à droite. On se souvient de Philippe Martinez, qui déclarait en novembre refuser de défiler à côté du FN. Mais il est vrai que le mouvement a évolué, réclamant davantage de justice sociale. Gérard Filoche défend sa paroisse, tout en nuances:
«Il y a 5% de casseurs, de fachos, de gens très détestables là-dedans. 95% de gens qui sont à gauche et qui cherchent une solution sociale […] Sur un rond-point où j'étais dans le Vaucluse, où on dit que c'est à droite, pas besoin de discuter longtemps avec les gens pour voir que vous augmentez les retraites, augmentez réellement le SMIC […] Mettez en cause le partage des richesses et vous faites une réforme fiscale: c'est ça ce que veulent les gens […] la tonalité, la dynamique, c'est une dynamique sociale. Pas du tout une dynamique de droite.»
Il faut le dire, la gauche a réussi à noyauter le mouvement initialement contre les impôts, le faisant évoluer vers un mouvement principalement contre les inégalités. Les trotskystes, aguerris aux stratégies entristes, ont réussi à imposer dans le champ médiatique leurs revendications telles que le retour de l'ISF sur le capital. Gérard Filoche l'explique à demi-mot:
«Il y a toute une pédagogie qui se passe. Les gens sont souvent partis, ils ne savaient pas bien ce qu'était l'impôt, ils ne savaient pas bien toujours ce qu'étaient les cotisations sociales. Ils disaient pouvoir d'achat, mais ils ne voyaient pas la part salaire. Maintenant, tout cela s'éclaircit. Les gens parlent salaire davantage, ils parlent de plus en plus de l'impôt progressif, ils ont distingué avec la TVA, ils comprennent que ce n'est pas la même chose, les taxes et l'impôt, ils comprennent l'impôt sur les sociétés, la mise en cause du CAC 40 est de plus en plus fréquente.»
Gérard Filoche, qui a terminé sa carrière d'inspecteur du travail en 2010, réclame aussi l'augmentation du SMIC à un niveau extrêmement important, à 1.800 euros net. À titre de comparaison, Jean-Luc Mélenchon demandait en 2017 un montant de 1.326 euros.
«Une augmentation, nette, immédiate massive pour absolument obliger les grandes entreprises, celles qui ont des dividendes, à redistribuer les richesses. Les petites [entreprises, ndlr] s'en porteront mieux, parce qu'elles auront des clients […] Si vous augmentez les salaires, c'est la solution contre le chômage, parce que vous relancez l'économie.»
La gauche, parlons-en: que faisait-il réellement au Parti socialiste? Comment Gérard Filoche et Manuel Valls ont-ils pu cohabiter au PS jusqu'en 2017? Adhérent dans le grand parti de la gauche en 1994 avec 150 autres militants, il a toujours été le partisan de l'union de toutes les gauches. Faisant fi des divergences internes, il s'est battu le premier pour une candidature commune en 2017 entre le candidat de la France Insoumise et Benoît Hamon. Mais les frondeurs, dont il est à l'origine, ne sont-ils pas les premiers responsables de la chute de Hollande, puis de Hamon?
"Il [ndlr: le parti socialiste] paie la trahison de François Hollande. Le quinquennat de François Hollande a été le pire de toute la gauche en un siècle, il a défait ce qu'avait fait Blum, Mitterrand et Jospin […] Le bilan de Hollande est absolument maudit […] Il a liquidé la gauche, il a liquidé le Parti socialiste.»
Il se remémore les débats intenses rue de Solférino, au siège du PS:
«J'avais demandé en janvier 2016 au bureau national, il faut dire à Hollande qu'il ne représente pas. Je me rappelle Cambadélis qui me disait, tu crois que je vais aller annoncer ça au Président? Je lui dis oui, va lui dire, parce que sinon ça sera une catastrophe, mais à la fin, il ne s'est pas représenté.»
Pour lui, le PS, c'est de l'histoire ancienne. Exclu du parti par Rachid Temal à cause d'un tweet qui lui a valu une inculpation d'incitation à la haine, pour laquelle il a finalement été relaxé le 12 décembre 2018, il est dorénavant membre du réseau «Gauche démocratique et sociale». Il est également le fondateur de la revue mensuelle «Démocratie & Socialisme» et l'auteur prémonitoire de Macron ou la casse sociale (Éd. de l'Archipel) au début 2018. Se montrant très virulent à l'égard de l'actuel Président, il appelle les Français à un rapport de force suffisant pour obliger le chef de l'État à dissoudre l'Assemblée nationale ou même à se démettre:
«Ce type-là est une anomalie de l'Histoire, c'est une individualisation forcenée de la finance, il y a quelque chose de fanatique et d'illuminé dans son comportement. Donc il peut casser, on ne sait jamais les ressorts individuels de types comme ça. Ils n'ont pas de parti, ils n'ont pas de conscience, pas beaucoup d'Histoire, ils n'ont pas de traits humains, ils n'ont jamais bossé, ils ne savent pas ce que c'est la vie sociale réelle, donc ça peut casser.»